Les talons de la jeune femme claquaient sur les dalles de pierre. La chaleur lui tiraillait les tempes. Malgré la vigilance de Joris, elle n'avait rien avalé depuis la veille et cela commençait à se faire ressentir. Avec difficulté, elle s'assit sur un petit banc de pierre. Soudain, un bruit attira son attention.
Une petite tête brune apparut derrière un buisson. Le garçonnet devait avoir environ sept ans. Ses yeux étaient aussi bleus que la glace. Mais ce qui frappa davantage Marie, ce fut la tristesse qui peignait son visage. Une tristesse sans pareille. Lorsqu'il s'aperçut qu'elle l'avait remarqué, il s'enfuit à l'intérieur du bâtiment. Maudite aphasie ! Si elle l'avait pu, elle lui aurait demandé d'attendre, de lui parler. Même s'ils ne parlaient pas la même langue, elle aurait voulu faire un geste pour lui signifier qu'il n'avait pas à avoir peur d'elle.
Rapidement, elle s'élança à sa suite dans le couloir mais le perdit de vue après trois secondes à peine. Désespérée et faible, elle se posa contre le mur. Des gouttes de sueur coulaient le long de son front et la nausée l'envahissait peu à peu. Si Joris la trouvait dans ce lamentable état, il ne faisait aucun doute qu'il la gronderait pour ne pas avoir pris soin d'elle. Pire encore, de ne pas lui avoir dit qu'elle se sentait mal. Mais elle détestait l'idée de paraître faible.
Une porte entrouverte en face d'elle attira son attention. Curieuse, elle la poussa timidement. Un somptueux piano noir trônait en son centre. Le verni brillant lui donnait de beaux reflets. Hypnotisée, elle l'effleura du bout des doigts. Voilà bien longtemps qu'elle n'avait touché à un instrument de musique. Durant ses études, une amie avait insisté pour l'aider financièrement à prendre des cours de chant et de piano. Elle avait appris la flûte et la guitare seule, les cours étant trop chers. Elle ne put résister à la tentation de s'asseoir sur le tabouret recouvert de velours émeraude. Le besoin qu'elle avait autrefois de jouer des heures durant refaisait surface, comme par magie. Ses doigts se mirent à danser sur les touches. Emportée par la mélodie de "River Flows In You" de Yiruma, elle ferma les yeux.
Lorsqu'elle rouvrit les paupières, le garçonnet se trouvait face à la elle. Les paroles de Mya lui revenaient en mémoire comme des flashs. Ces enfants ont tous vécu des expériences traumatisantes. Mais cet enfant, lui, avait une mystérieuse expression sur son visage. Un mélange de tristesse, de regret et de culpabilité. Il la fixait, les larmes aux yeux. Visiblement, cette mélodie lui rappelait un souvenir particulièrement émouvant. Touchée de voir le petit être moins farouche, elle rejoua la mélodie. Puis une fois encore lorsqu'il s'assit à ses côtés. A la fin de la troisième fois, sa petite main agrippa son tee-shirt et il lui offrit le plus beau sourire de l'univers. Un sourire de gratitude. Un sourire chargé d'émotions, chargé d'heureux souvenirs. Les larmes coulaient sur sa peau pâle, des larmes de soulagement et de joie. Le moment était tellement fort qu'elle n'avait pas tous les mots pour décrire ses ressentis à cet instant. Prise d'une pulsion soudaine, Marie l'enserra dans ses bras. Qu'est-ce que sa musique lui avait exactement prodigué ? Elle l'ignorait. Mais le plus important était que la tristesse qui lui avait plus tôt brisé le cœur se soit atténuée. Quelque part, elle avait l'impression de se voir à travers lui.
Joris parcourait les couloirs de l'institut, inquiet et furieux. Marie avait soudainement disparu sans dire un mot. Les enfants ne l'avaient pas vu, Mya non plus. Il avait beaucoup hésité avant de prendre la décision de l'emmener voir les enfants. Cela allait-il la faire sortir de sa morosité ? Et s'il s'apercevait que la jeune femme jouait en fait un double jeu avec lui ? Il s'était déjà fait avoir, pas question que ça arrive une deuxième fois. Mais ses doutes s'étaient envolés en la voyant avec les enfants qu'il voyait grandir et évoluer de mois en mois, d'années en années. Même si elle ne comprenait visiblement pas un traître mot de ce qu'ils lui racontaient, elle leur souriait avec tendresse. Tout dans ses agissements montrait qu'elle était dotée d'un naturel instinct maternel. Elle était parfaite, avait su acquérir leur confiance en seulement deux minutes, et pourtant se remettait encore en question.
Une mélodie l'alerta. Habituellement, seuls quelques rares enfants de l'institut et Mya jouaient du piano. Et ceux-ci se trouvaient actuellement dans le salon. Il ouvrit la porte mais la referma bien vite en voyant la scène qui se déroulait dans la pièce. L'homme s'en voudrait terriblement d'interrompre ce moment magique alors il entrebâilla la porte juste assez pour observer à son aise Marie et Néo, côte à côte. La jeune femme n'était sans doute pas consciente qu'elle venait de réaliser un véritable miracle. Néo, après avoir assisté au suicide de sa mère, s'était renfermé sur lui-même et n'avait plus prononcé un mot depuis cet événement qui remontait pourtant à trois ans déjà. Il ne riait plus, semblait avoir perdu tout espoir. Il n'accordait sa confiance à personne. Malgré tous les efforts employés, rien n'y faisait. Et voilà que Marie venait de captiver son attention et même de le faire sourire ! Il l'observa enlacer le petit corps de Néo qui ne se débattit pas. Les larmes coulaient sur leurs joues à tous deux. Ils restèrent ainsi de longues minutes, avant que l'enfant ne se sauve par une baie donnant sur le jardin. Seulement à cet instant, Joris entra dans la pièce.
-J'ignore comment tu t'y es prise avec lui, mais c'est un miracle que tu viens de faire.
Elle sursauta en entendant sa voix grave. Intriguée, elle se tourna vers lui tandis qu'il s'avançait jusqu'à elle.
"Il semblait touché par cette mélodie. Je n'ai fait que jouer pour lui."
-Tu ne te rends pas compte de ce que tu as réalisé. Ce petit garçon qui s'appelle Néo n'avait pas montré de réaction particulière depuis trois ans ! Pas un sourire, rire, paroles, ni larmes. Seulement le vide.
L'homme lui expliqua sa situation et Marie devint blême, éberluée que jouer pour lui ait pu avoir un si gros impact. Joris s'assit à ses côtés et prit son visage entre ses mains.
-Je te remercie, Marie. Merci de l'avoir sauvé.
Elle s'apprêtait à baisser de nouveaux la tête, rougissante, lorsqu'il plaqua ses lèvres sur les siennes.
VOUS LISEZ
Attraction
RomantizmSon carnet et un crayon, voilà les deux objets que Marie a toujours en sa possession. Avec son grand-père Carl, elle vit au fond d'une forêt perdue, en Bretagne. Timide, elle fuit les habitants du village voisin. Et pour cause : son mutisme forme un...