Chapitre 12

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-Sa cheville devrait rapidement guérir à condition qu'elle reste assise pendant une petite semaine. Certains os sont brisés mais cela ne nécessite pas de soin particulier à part du temps et du repos, dit le médecin en rangeant son matériel dans son sac.

Joris analysait la prescription qu'il lui avait faite, les sourcils froncés.

-J'ai également prescrit une crème à appliquer sur ses cicatrices. Cela ne supprimera pas totalement les marques mais soulagera les douleurs.

-A-t-elle dit quoique ce soit à propos de ses cicatrices ? questionna Joris.

-Absolument rien, elle a refusé de répondre à mes questions. Comme vous le pensiez, je pense que ses difficultés à se nourrir sont principalement d'ordre psychologique. Je vous prescrirai des comprimés et des perfusions particulières une fois que j'aurai les résultats de la prise de sang. Mais je pense qu'il s'agit surtout de carences en sucre, calcium et protéines. Si elle refuse encore de manger, amenez-là à l'hôpital.

-Ne vous inquiétez pas, je ferai le nécessaire pour que nous n'arrivions pas à cet extrême.

Le médecin hocha la tête et prit congé. Joris soupira en posant la feuille sur son bureau. La jeune femme était tellement faible... Il lui fallut quelques instants avant de remarquer du coin de l'œil la petite tête blonde qui l'observait à travers l'encadrement de la porte. Avait-elle écouté toute la conversation ?

-Ça ne se fait pas d'écouter aux portes. Je vous laisse deux minutes et vous ne respectez déjà pas les consignes. Vous deviez rester assise. 

Timidement, elle passa le pas de la porte et s'approcha de lui, ses grands yeux bleus fixés sur lui.

 -Certaines choses vont radicalement changer maintenant que vous ici. A commencer par votre alimentation. Les repas sautés, c'est terminé. Trois repas par jour à partir de maintenant et j'y veillerai personnellement.

Marie se retint de faire la grimace. Il voulait la tuer ou quoi ? Mais elle n'eut guère le temps d'y réfléchir davantage qu'il la hissa dans ses bras pour la déposer dans un fauteuil dans le salon. Son odeur musquée l'emplit et elle sut à la chaleur qui l'étreignait que ses joues rougissaient. Brusquement, la peau étant en contact avec la sienne la brûlait. Honteuse des sentiments qu'elle ne maîtrisait plus, elle baissa les yeux au sol et se tordant les mains. Attendri par sa gêne, Joris sourit. Tellement mignonne ! 

Il disparut quelques instants dans la cuisine.

-Ouvrez la bouche.

Il plaça sur sa langue un petit cube et un goût sucré s'écoula dans sa gorge. 

-Je n'ai pas envie de vous voir vous évanouir pendant que je prépare le dîner.

"Vous savez cuisiner ?"

-Ça vous étonne ? répliqua-t-il d'une voix moqueuse

Elle haussa les épaules, se rendant soudain compte de tous les stéréotypes qu'elle avait de lui. Et l'homme semblait prendre un malin plaisir à les démentir un par un. A son grand regret, il partit dans la cuisine et la jeune femme en profita pour sortir son manuel pour apprendre la langue des signes. Ce n'était pas une activité qui la ravissait mais plus vite elle maîtriserait tous les gestes, moins la communication serait difficile. Au moins avec une partie de la population. 

Une délicieuse odeur emplissait maintenant la pièce. Et la tension montait en elle. Elle sut que la bataille arrivait lorsqu'il se dirigea vers elle de sa démarche autoritaire et agile. Sans un mot, il la prit par le bras et la guida vers une chaise. Une assiette fumante de pâtes l'attendait sur la table. Il s'assit à l'autre bout et la fixa du regard, inexpressif et ne faisant ressortir aucune compassion. 

Les minutes passaient et ni l'un ni l'autre ne pliait. "Fichu caractère" pensa Joris, à la fois agacé et admiratif. Pourtant, elle savait pertinemment ce qu'il attendait d'elle. Habituellement, personne ne jouait avec ses nerfs. Et elle semblait prendre un malin plaisir à le défier. 

Surtout lorsqu'elle sortit son livre et se mit à l'ignorer superbement. 

Marie jubilait. Du coin de l'œil, elle le voyait perdre patience. Mais il était assez de son attitude autoritaire et de toutes ses moqueries. Il avait trop usé de son pouvoir sur elle. En vérité, elle était disposée à manger mais désirait seulement qu'il agisse autrement avec elle. Il lui avait prouvé qu'il pouvait se montrer protecteur, doux, alors pourquoi continuait-il à agir comme si tout le monde le haïssait ? Elle ne détestait pas sa personne, elle détestait seulement son autoritarisme et son arrogance. Cette illusion qu'il donnait mais qui ne lui correspondait absolument pas. "Il a peur d'aimer"... 

L'impatience eut raison de son calme. Il s'avança jusqu'à elle et lui arracha son livre qu'il fourra dans un tiroir fermé à clé. 

"Mais vous êtes fou ! Rendez-le moi immédiatement !" s'exulta-t-elle.

-Pas avant que vous n'ayez mangé !

"La chantage ne marchera pas."

 Marie croisa les bras et attendit sa réaction qui serait sans aucun doute virulente.  

Il semblait bouillonner à tel point qu'elle recula, effrayée par sa colère. Jamais elle ne l'avait vu perdre raison à ce point-là : il semblait possédé par le diable en personne. Ses poings étaient fermés au point que ses jointures devenaient blanches. Une vision s'afficha dans son esprit, celle de Yahn dans une situation similaire, sauf qu'il était sur le point de se fâcher parce qu'elle avait mangé et non pour qu'elle mange. Elle se recroquevilla contre le mur, les mains tremblantes. Sa détresse ramena l'homme à la réalité et il la prit dans ses bras avec douceur. Il s'en voulait d'avoir cédé à la fureur. Il n'avait juste pas l'habitude qu'on lui résiste. Assise sur ses genoux, il lui tendit un couver.

-Mange, maintenant.

Et par miracle, elle lui obéit enfin ! Une fois l'assiette terminée, elle se blottit contre son torse, apaisée.

-Pourquoi prends-tu donc si peu soin de toi ? Pourquoi penses-tu mériter le bonheur moins que les autres ? murmura-t-il, ne s'attendant pas vraiment à une réponse. 

N'ayant pas son carnet sur elle, elle écrivit sur la serviette en papier posée sur la table.

"Par habitude. Mes parents considéraient qu'une pomme suffisait largement pour une enfant et Yahn m'interdisait de manger pour faire des économies d'argent. Il me fouettait si je lui désobéissais. Parfois, lorsque me lave ou que je mange, j'ai peur qu'il surgisse pour me punir d'avoir utilisé trop d'eau ou gaspillé de la nourriture."

Élevée dans la faim, voilà qui expliquait son rapport étrange avec la nourriture. Heureusement que Yahn était déjà mort sinon il n'aurait sans doute pas pu résister à la tentation de le torturer comme il l'avait fait avec son épouse durant cette terrible année. Avec une tendresse infinie, il essuya ses larmes.

-N'aie plus peur de vivre, souffla-t-il.

Elle releva les yeux et Joris se perdit dans leur couleur bleue.

"Toi non plus."


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