Chapitre 11

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Marie ouvrit doucement les paupières lorsqu'une vive lumière pénétra dans la chambre. Ensommeillée, elle rabattit l'édredon sur son visage.

-Navrée de vous réveiller, mademoiselle, mais il est déjà plus de treize heures, dit Paula avec son habituel grand sourire. Monsieur ne va pas tarder à rentrer à la maison : il a pris son après-midi pour être présent lorsque le médecin vous examinera.

La réalité frappa la jeune femme de plein fouet, notamment concernant les événements de la veille. Sa crise de larme l'avait épuisée et elle s'était endormie dés la porte de la chambre fermée. Mais Paula, à la seule mention de "Monsieur", avait réduit à néant sa joie d'avoir pu oublier durant quelques délicieuses heures de sommeil ses cicatrices et ses vieux cauchemars. 

Bon sang, cet homme allait la rendre folle avec son autorité. Pourquoi était-il incapable de respecter sa volonté d'être tranquille ? Le milliardaire lui avait demandé de le suivre en Grèce, elle l'avait fait. Que lui fallait-il de plus ? Certes, sa santé avait peu d'importance à ses yeux mais Joris était forcé de constater qu'elle était encore en vie malgré ces derniers mois de dur travail où elle n'avait pas forcément pris soin d'elle ! Il voulait qu'elle soit en vie pour rembourser ses dettes et elle l'était. Pourquoi s'acharner davantage pour connaître des secrets qui ne le concernait même pas ? Sa détermination l'effrayait, car elle ignorait combien de temps elle pourrait tenir avant de révéler les réponses à ses questions. L'heure viendrait forcément et elle sera terriblement douloureuse...

Paula s'agitait autour d'elle, rangeait la chambre, préparait des vêtements... Cette femme ne s'arrêtait-elle donc jamais ? Puis elle sortit pour revenir quelques secondes plus avec un plateau contenant uniquement un verre d'eau.

-Je suis désolée, je ne peux pas vous donner de véritable repas car Monsieur a demandé à ce que l'on vous fasse une prise de sang. Vous devez donc être à jeun. Je peux peut-être faire autre chose pour vous ?

Paula lui tendit son carnet en voyant que la jeune femme le cherchait.

"Ne vous inquiétez pas, je n'avais pas très faim de toute façon."

En voyant le regard désapprobateur que lui lançait la vieille dame, elle s'empressa de tourner la page et d'inscrire la question qui la taraudait depuis leur rencontre.

"Vous m'avez dit connaître Joris de longue date mais comment l'avez-vous rencontré ?" 

Elle esquissa un sourire, comme revenue dans de lointains souvenirs. Nostalgique, elle s'assit sur le rebord du lit, telle une mère s'apprêtant à raconter une histoire à sa fille.

-Joris a été adopté très jeune, à deux ans, après avoir été trimbalé de foyer en foyer, commença-t-elle. La famille Salvorde m'employait alors comme domestique. Monsieur et Madame étant très pris par leur travail, je l'ai pratiquement élevé. Mais ils se sont toujours assurés de passer suffisamment de temps avec lui pour qu'il ne se sente pas abandonné. Ils étaient vraiment des personnes admirables, chaleureuses et avec le cœur sur la main. Même à l'époque, Joris avait ce petit côté intransigeant et autoritaire. (Pourquoi cela n'étonnait pas Marie ?) Mais il n'avait pas peur d'aimer et sa joie de vivre illuminait la maison.

Elle eut un petit sourire triste avant de continuer.

-Puis Monsieur Salvorde est mort d'un cancer et sa femme s'est laissée mourir de chagrin, essuya-t-elle une larme qui menaçait de couler. Joris était détruit et a pris la décision de monter sa propre entreprise. Spontanément, il m'a engagée comme gouvernante dans sa maison. Il s'est endurci avec le temps mais je vous en prie, ne le jugez pas trop durement. Ce n'est pas de sa faute. Il cherche seulement à se protéger d'éventuelles douleurs. Autant que vous, il cherche encore son bonheur même s'il croit l'avoir trouvé.

Marie étouffa un sanglot. Elle comprenait mieux son comportement. La dureté pour se protéger.

-Oh non ! Ne pleurez pas, voyons ! C'est du passé, il faut maintenant oublier.

Paula la serra brièvement contre elle puis se releva.

-Bien. Je vais retourner à mes tâches. Quant à vous, reposez-vous et appelez-moi s'il y a un problème.

"Je peux vous aider ?"

-Hors de question, dit-elle catégoriquement. Vous avez le teint bien pâle : je ne veux pas vous voir faire une crise d'anémie à cause de moi. Et avec votre cheville blessée...

Elle lui colla un baiser sur le front puis disparût dans le couloir. Marie, émue de la voir se comporter comme la mère qu'elle n'avait jamais eu, se rallongea. Prise par une brusque envie, elle saisit son bloc de papier à musique et nota les notes que lui dictait son esprit. Inspirée pour la première fois depuis la perte de sa voix, sa main ne cessait de parcourir le papier. La mélodie était douce, évoquait le rêve. Mais lorsqu'elle ouvrit la bouche pour la fredonner, son souffle se bloqua. L'air ne rentrait plus dans ses poumons.

Joris ôta sa veste de costume trop stricte à son goût mais exigée pour son travail et la déposa sur le dossier de sa chaise. Il préférait adopter une tenue qui le ferait paraître moins autoritaire avant d'aller voir Marie. Il ne voulait pas l'effrayer plus qu'elle ne l'était déjà. Soudain, un fracas retentit dans la chambre en face de la sienne, celle de la jeune femme. Il s'y précipita et la trouva allongée au sol avec les mains sur sa gorge, le visage bleu.

Il s'accroupit auprès d'elle et plaqua ses mains sur ses joues, ne sachant que faire. La sueur coulait le long de son dos. L'homme se sentait profondément impuissant face à cette crise. Elle était recroquevillée, les yeux grands ouverts et fixés sur lui comme pour le supplier de l'aider. Il s'agissait bien évidemment d'une crise de panique. Mais à quoi pouvait-elle être due ? Il commença à lui chuchoter à l'oreille toutes les paroles réconfortantes qui lui traversaient l'esprit et, par miracle, elle se calma peu à peu.

La jeune femme se laissa porter jusqu'au lit, savourant l'oxygène envoyé dans ses poumons.  Qu'est-ce qui l'avait réellement sauvée ? Sa voix chaude qui ne cessait de lui répéter que tout irait bien, ou ses bras puissants qui la soutenaient comme pour lui murmurer qu'elle était en sécurité ? Bercée, elle se blottit contre son cou où elle retint ses sanglots.

Il était temps d'accepter que la musique, c'était fini pour elle... 

Une heure plus tard, Paula annonça l'arrivée du médecin.

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