Joris effleura les cicatrices du bout des doigts, horrifié. Il y en avait tellement et tellement profondes... Pris de doutes, il releva l'ourlet de pantalon de son autre jambe. Pareil. Il saisit ses bras et resserra sa poigne lorsqu'elle se débattit mollement pour lui échapper. Les larmes dévalaient à présent ses joues. Ses bras étaient également couvertes de marques. La colère et l'horreur lui compressaient la poitrine. Bon sang, qui avait pu lui faire subir tout ça !? Quand ? Par quel moyen ? Pourquoi ? Il refusait de croire que c'était la jeune femme elle-même qui se l'était infligée. Il secoua la tête, perturbé et ne sachant que faire pour alléger ses souffrances. L'homme voulait seulement obtenir des réponses.
La jeune femme se sentait affreusement gênée qu'il connaisse l'existence de ces marques. Elle les avait cachées durant de longs mois avec son grand-père et cet homme les découvrait après seulement un jour de cohabitation. Comment allait-elle survivre un an avec lui qui était autoritaire et qui semblait déterminé à percer tous ses secrets ?
-Qui t'a fait ça ? murmura-t-il en l'obligeant à le regarder dans les yeux.
Elle prit le crayon, posa la pointe sur le papier mais n'écrivit rien. Elle en était incapable : sa main tremblait beaucoup trop. C'était trop dur de lui répondre même si les minutes passaient, et qu'il semblait lui laisser le temps nécessaire pour trouver au fond d'elle le courage suffisant et révéler l'origine de ces marques. A chaque fois qu'elle se pensait prête, un élan de peur l'empêchait de faire le moindre mouvement. Le regard percent et inquiet la décontenançait d'autant plus. Marie admettait avoir besoin d'aide : son passé devenait trop lourd à assumer. Mais le doute, la peur, la poussaient à se retrancher dans un recoin tranquille de son esprit qu'elle s'était bâtie avec le temps. Sa faiblesse l'affligeait et dans un élan rageur, elle repoussa le carnet et plongea sa tête dans ses bras.
Ses émotions la submergent, constata l'homme. Il commença à énumérer des personnes.
-Tes parents ? Un employeur ?
Elle secouait la tête à chaque fois, faisant remuer sa masse de cheveux blonds. Il tenta de lui faire lever les yeux mais elle le repoussa de la main.
-...Toi ?
Enfin une réaction. Elle le fusilla du regard, l'air ahuri qu'il puisse penser à cette possibilité. Pourtant, voyant la façon misérable dont elle prenait soin de sa santé, c'était envisageable. Le soulagement envahie l'homme. Il avait redouté sa réponse. Il pouvait la protéger d'autres personnes mais pas d'elle-même.
La fascination que la jeune femme lui inspirait l'intriguait de plus en plus. Sa fragilité et sa sensibilité donnerait envie à n'importe qui de tenter de la protéger. Ses cheveux blonds et ses traits fins prodiguaient à son visage un air d'ange brisé. Oui, Marie le subjuguait plus que tout. Il sentait au plus profond de lui qu'il ferait n'importe quoi pour elle, pour la protéger. Et il redoutait de devenir dépendant d'elle, comme il l'avait fait à tort auparavant. Alors il se forçait à réagir parfois plus durement qu'il l'aurait voulu, quitte à adopter un comportement paradoxal qui intriguait Brian, Marie et sans doute Paula. Sa froideur était une sorte de muraille qu'il bâtissait pour se protéger de ses dangereuses émotions et de l'attraction qu'elle provoquait sur lui.
-...Yahn ?
Elle se crispa puis sanglota de plus belle. Joris avait sa réponse. Quelle enflure ! Mais que lui avait-il fait exactement ? L'homme, délicatement, rebaissa ses manches et la souleva du carrelage dur et froid pour la déposer sur le lit. Elle pesait autant qu'une plume. Aussitôt, elle se recroquevilla en position fœtale. Son minuscule corps tressautait.
Marie sentit le poids d'une couverture se déposer sur elle et une douce chaleur la réchauffa. Son esprit n'était fait que de néant lui-même constitué de souvenirs terrifiants qui s'affichaient à la suite à un rythme de plus en plus rapide. Pourvu qu'il ne lui pose pas plus de questions, elle ne survivrait pas à l'évocation des événements traumatisants que lui avaient fait subir ses parents et Yahn. Elle détestait la façon dont Joris cherchait à percer son passé, la bulle dans laquelle elle s'était réfugiée qu'il cherchait à éclater. Elle entendit ses pas résonner sur le carrelage puis s'éloigner hors de la chambre. Il avait éteint la lumière et elle ne distinguait plus que celle du couloir.
Son poing plein de veines s'écrasa sur le mur de la salle de bain. Joris n'avait jamais autant détesté Yahn. Il fouilla dans un placard et en sortit un gant qu'il passa sous l'eau tiède. Puis il retourna dans la chambre où Marie n'avait pas bougé. Délicatement et sans mouvement brusque pour ne pas l'effrayer, il souleva sa nuque et passa le gant sur son visage pour effacer les traces salées de ses larmes. La jeune femme ne réagissait absolument pas. Il ramassa son carnet et lui mit le crayon dans les mains.
-Vas-tu me parler ?
Elle fronça les sourcils et écrivit la réponse sans hésiter : non. Joris s'y attendait, il faudrait plus de temps pour acquérir sa confiance.
-Très bien, je vais te laisser pour ce soir à une condition.
Marie leva des yeux suppliants en attendant qu'il la lui expose. Il força ses lèvres pour y déposer un cachet contre la douleur.
-Je soigne ta cheville et tu acceptes de voir un médecin demain.
Il sentait qu'elle hésitait. Sans doute car cela signifiait qu'elle devrait montrer ses cicatrices.
"D'accord."
Doucement, il entoura sa cheville blessée de crème puis d'un bandage serré. De temps à autre, ses épaules tressautaient à cause de la douleur et elle se pinçait les lèvres. "Chut, c'est bientôt fini", murmura-t-il.
-Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? la questionna-t-il.
"Je n'en ai pas vu l'utilité."
-A partir de maintenant, je veux que tu me parles si ça ne va pas. Tu as été assez discrète pour que ton grand-père ne s'aperçoive pas du fait que tu négligeais ta santé mais je ne peux pas te laisser continuer comme ça, pas sous mon toit, dit-il fermement. Ici, tu es sous ma responsabilité donc ne compte pas sur moi pour te laisser sauter des repas ou te blesser. Et tôt ou tard, tu me raconteras ce que t'as fait subir ton mari.
Les larmes inondèrent ses yeux.
"Je vous déteste."
-Je ne te demande pas de m'aimer. Juste de préserver ta santé car ta vie est précieuse, quoique tu penses.
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Attraction
RomanceSon carnet et un crayon, voilà les deux objets que Marie a toujours en sa possession. Avec son grand-père Carl, elle vit au fond d'une forêt perdue, en Bretagne. Timide, elle fuit les habitants du village voisin. Et pour cause : son mutisme forme un...