Chapitre 23

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Joris avait conduit la jeune femme dans un quartier luxueux qu'elle connaissait particulièrement bien pour y avoir déjà travaillé en tant que serveuse. Des restaurants et établissements très réputés et fréquentés par le gratin de la société. Rien que d'imaginer être entourée par des inconnus qui la toiseraient de haut en bas, l'œil critique, lui donnait la nausée. Elle s'apprêtait à en informer l'homme lorsqu'il changea brusquement de cap, l'entraînant dans une petite rue sombre. 

"Où va-t-on ?" demanda-t-elle suspicieuse.

-Aurais-tu peur ? répliqua-t-il moqueusement. 

Elle rougit, partagée entre la curiosité et la fureur que provoquait en elle son agaçant et éternel sourcil levé. Il déposa sa veste sur ses épaules frissonnantes et minces, et déposa un tendre baiser sur son front.

-Aie confiance en moi...

Un bruit d'eau remuante envahissait leurs oreilles et l'odeur salée embaumait la rue. Dans la pénombre, Marie devina qu'ils avaient rejoint la mer. L'homme la guida à travers les dalles du quai difformes pour éviter qu'elle ne trébuche. Il l'a tint par les hanches le temps de monter sur une plateforme de bois puis sur un gros bateau. Marie observait le luxe de l'embarcation, toujours perdue sur les intentions de Joris. Il ne servait à rien de le lui demander, l'homme n'y répondrait pas. Seule la chaleur de sa main dure et calleuse lui redonnait confiance.

Joris avait tout prévu et il espérait que ses efforts allaient porter ses fruits. Il voulait une soirée qui sortirait de l'ordinaire, une soirée exceptionnelle en compagnie d'une femme elle-même exceptionnelle. Ce soir, il voulait juste voir son sourire, celui dépourvu de toute trace du passé. Et il savait l'effet qu'il avait sur la jeune femme. Ses tremblements, ses rougissements, ses petites moues contrariées lorsqu'il la taquinait... A chaque fois, il devait prendre ses distances, de peur qu'elle ne remarque la bosse qui pointait sous son pantalon. Il ne voulait pas l'effrayer en étant trop insistant même si le désir le consumait. La dernière fois qu'il avait tenté quelque chose avec elle, il savait au fond de lui qu'elle n'était pas prête. Il lui avait juste cédé par égoïsme. Et qu'est-ce que cette nuit leur avait apporté ? La colère et la douleur de la vérité sur le viol de sa bien-aimée.

Le bateau avait démarré et une nouvelle page noircie d'écritures le sortit de ses désagréables pensées.

"Je n'ai jamais fait de plongée sous-marine. Et il fait nuit !"

Joris resta interdit un instant. Comment avait-elle deviné ? Puis il vit son regard porté sur une malle avec le symbole d'un club de plongée, celui dans lequel se trouvait le matériel qu'il avait acheté à la hâte. Il avait une fois de plus oublié son sens incroyable de l'observation et son intelligence. Bien, elle était maintenant au courant de ses intentions. Une bonne chose ? En voyant son regard se teindre d'angoisse au fil des secondes, il crut bon de la rassurer.

-Tu sais nager et je ne te quitterai pas. Tu ne risques rien et ce que tu découvriras sera incroyable.

Elle secoua la tête, plus pour elle-même que pour signifier un désaccord. La peur la paralysait. Jamais elle ne se serait attendu à ça en montant sur ce bateau en plein milieu de la nuit.

Joris l'observait et aucune de ses expressions faciales ne lui échappait. En plongée, l'angoisse peut être dangereuse et conduire à de mauvaises réactions. Mais il était certain que le spectacle lui plairait. Durant le trajet de bateau, il s'efforça de la faire manger tant bien que mal. Elle reprenait des couleurs et Joris s'apaisa. Ce n'était pas pour rien qu'il avait prévu de lui annoncer leur activité nocturne à la dernière minute et encore moins avant le repas. Puis les moteurs furent coupés : le moment était venu.

L'homme lui donna l'équipement et l'aida à se préparer. Peu à peu, ses explications minutieuses laissant peu de place à l'imprévu calmèrent Marie qui se tranquillisa.

-Surtout, n'oublie pas les signes de communication que je t'ai appris. Sous l'eau, la parole n'existe plus.

La jeune femme hocha la tête, le cœur battant la chamade. Il vérifia une dernière fois l'orientation de sa lampe torche et ses bouteilles d'oxygène puis attrapa son carnet auquel elle s'accrochait désespérément, refusant de le lâcher. Avec le temps, il avait constitué une sorte de filet de sécurité qui la reliait avec le monde vivant. Elle s'y raccrochait aussi fort qu'un enfant à son doudou. Joris posa sa main sur la sienne, provoquant chez elle des frissons. À l'oreille, il lui murmura :

-Fais-moi confiance...

Et elle se résolut à lâcher prise. Il l'entraîna sur le pont du bateau. L'air était doux. Marie se pencha au-dessus de la surface et avala sa salive. On avait l'impression de plonger dans le gouffre le plus noir. Joris se laissa glisser dans l'eau. Après une hésitation, elle saisit la main qu'il lui tendait. Son souffle se coupa lorsqu'elle traversa la surface noire. L'eau s'infiltrait dans la mousse de sa combinaison, la glaçant. Certes, elle savait nager mais cela faisait maintenant une dizaine d'années qu'elle n'en avait pas eu l'occasion. Tant bien que mal, elle remuait les jambes, se maintenant de justesse à la surface. Les mains solides de l'homme agrippèrent ses hanches, la soutenant contre lui et lui permettant ainsi d'éviter de s'épuiser. Doucement, il baissa son masque et glissa le tube d'oxygène à travers ses lèvres.

-A présent, tu es prête pour te rendre au paradis aquatique...

Ils s'enfoncèrent sous l'eau noire. Marie ne faisait aucun mouvement, se laissant porter par la poigne forte de Joris. Légère, le moindre courant l'emportait des mètres plus loin. Mais l'homme ne se laissait jamais dériver de sa trajectoire. Enfin, ils arrivèrent à l'endroit que Joris voulait lui montrer. À une trentaine de mètres de la surface, une épave de galion ancien couvrait le sol. Autour, des centaines de poissons virevoltaient en apesanteur. À la lumière des lampes torche, ils apparaissaient fluorescent !L'obscurité apportait à la scène une touche de mystère.

Joris jetait régulièrement un regard sur sa protégée. Si elle avait paniqué légèrement durant les premiers mètres de descente, elle avait vite trouvé son rythme. Son regard béat devant le spectacle du galion et des poissons multicolores l'avait conforté dans son choix. Au moins pour cette plongée sous-marine, la jeune femme avait tout oublié de son passé.

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