OTHER GIRLS 1

Louise-002

Mon manuscrit est bon à brûler, mes personnages sont dépourvus de toutes parcelles de réalisme et l'histoire d'amour ne vaut pas un clou. Je sens la colère monter. Quand est-ce que j'ai commencé à écrire une telle absurdité ? J'aurais mieux fait de tuer mes personnages dès les premières lignes avant d'écrire frénétiquement. Le pire c'est que je pensais écrire la romance de l'année. N'importe quoi. Sur le moment j'envisage de tout arrêter. Et cette pensée est encore plus absurdes que les répliques de Candace et Mathieu parce qu'au fond de moi je sais très bien que je ne peux pas arrêter d'écrire. Ce n'est pas possible. C'est ma seule bouffée d'oxygène. Je peux très bien continuer à écrire pour moi sans jamais faire lire à personne. Non, non et non. Je préfère partager. Je dois me rendre à l'évidence : faire comme tout le monde. C'est comme ça que je me retrouve face à la page de téléchargement de GRAVITATION.

En téléchargeant GRAVITATION, c'est un véritable univers qui s'offre à vous. En effet, avec quelques clics et avec une reconnaissance faciale, cette application va vous créer un système solaire sur mesure.

Je clique sur « en savoir plus » pour que la suite des explications apparaisse sur mon écran de téléphone pour poursuivre ma lecture :

Un système solaire est une liste de personnes compatibles avec vous. Plus la compatibilité est élevée, plus le lien qui vous unis (virtuellement) sera visible.

Je relève la tête en m'adressant à mon amie.

‒ On nage en plein délire !

Elle roule des yeux et prend un ton exaspéré.

‒ S'il te plait Louise, ne me dit pas que tu n'as pas entendu parler de cette application.

Je fixe son regard.

‒ D'accord, alors il faut absolument rectifier ça ! Ne t'inquiète pas je suis là maintenant. Je vais t'expliquer chaque étape qui te conduira au grand amour. (Accompagné d'un ton spécifique aux pubs pour cheveux secs).

Cette fois c'est moi qui lève les yeux au ciel. J'ai l'impression que je ne peux plus faire marche arrière. Quelque chose (en dehors de Garance) me pousse à continuer. Et si c'était moi l'héroïne de l'histoire pour une fois. Je divague. De toutes façons télécharger cette fichue application ne m'engagera à rien. Je pourrais la désinstaller à tout moment.

‒ Alors, une fois que c'est fait, tu peux commencer à créer ton profil.

Super.

Elle poursuit :

‒ Il faut commencer par choisir ta photo.

Elle fouille dans ma galerie à la recherche d'une photo potable. C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin : je n'ai même pas envie d'essayer.

‒ Bingo ! lance-t-elle en faisant un petit bond.

La photo en question est très simple mais efficace. On devine un sourire, avec mes yeux bleus et mes cheveux blonds coupés au carré qui frôlent mes épaules. Mon visage apparaît désormais dans une petite bulle en haut à gauche, surplombant un questionnaire barbant qui est sans trop d'hésitation, l'étape suivante de mon inscription. J'ai de la chance je n'ai même pas besoin de lire : Garance se charge de faire la voix automatique.

‒ Nom ?

Comme si elle ne savait pas, je joue le jeu :

‒ Orner.

Elle tapote.

‒ Prénom ?

Est-ce que je suis vraiment en train de faire ce que je suis en train de faire ?

‒ Louise...

Elle continue :

‒ Age ?

‒ C'est trop perso, me défendais-je.

‒ Dix-neuf, poursuit-elle.

‒ Tu peux remplir le formulaire sans moi tant que tu y es, commençai-je à râler.

Un soupire de sa part.

‒ Fais un effort Louise, commence par ne pas appeler ça un formulaire ! On dirait que tu parles d'une inscription pour une école dont tu te fous totalement.

Je réplique que je m'en fous totalement. Elle répond qu'elle n'en croit pas un mot et je finis par avouer, à moitié, qu'elle a peut-être raison. J'esquisse un sourire, elle me rend la pareille.

‒ Et voilà ! lance-t-elle dans la foulée.

‒ C'est tout ? m'étonnai-je. Je pensais que ce serait pire. Il n'y a pas d'autres questions ?

‒ Non, la nouvelle technologie de reconnaissance faciale fait le reste !

C'est sympa comme truc.

‒ Attention ça charge ! Nous allons découvrir les personnes compatibles avec toi en un seul clic ! Ce n'est pas génial ça ?

J'avoue que ça me fait un peu flipper.

‒ Ce n'est pas un peu violent ? (Face perplexe de sa part donc je m'explique) L'aventure d'une vie c'est de rencontrer le grand amour, au détour d'un chemin, avec une coïncidence, une maladresse... Alors que là, c'est tout prêt sur un plateau ! On fait quoi après ?

‒ Je t'assure que tu as vraiment besoin de t'inscrire et de rencontrer des gens qui ne sont pas tes personnages !

Elle n'a pas tort même si ça me fait mal de me l'avouer.

L'écran affiche « chargement en cours ». Je commence à m'inquiéter. Sur quels genres de profils je vais tomber. Et si ça ne correspondait pas du tout à ce que je m'imagine. Et si je ne les trouvais pas beaux ?

Je dois faire part de mon angoisse à Garance alors que je détourne mon regard de l'écran :

‒ Et si je ne les trouvais pas beaux ?

Elle pousse un hoquet de... surprise.

‒ Quoi ? !

‒ ça, je t'assure que tu ne risques pas de les trouver beau m'annonce-t-elle en tentant de garder une contenance.

A tous les coups je suis tombée sur des vieux pervers. Je veux vérifier par moi-même, hésitante. Je me surprends à avoir les mains moites.

Effectivement, il y a des liens roses, plus ou moins foncés, qui relient des bulles contenant les photos de profiles des personnes compatibles entre elles. C'est une véritable toile, avec des liens qui partent dans tous les sens, un peu partout en France. Mais surtout, il n'y a que des femmes. Je n'étais vraiment pas préparée à ça !

‒ Ce doit être un bug, annonçai-je d'une voix qui peine à sortir.

On relance le chargement. Attendre de nouveau.

‒ Je suis désolée Louise, on n'aurait pas dû l'apprendre de cette manière, j'ai précipité les choses, excuse-moi...

Je peine encore à parler, comme si j'avais la voix engourdie :

‒ De quoi tu parles ? Je ne suis pas...

L'écran affiche un nouveau résultat : le même.

‒ Je ne suis pas lesbienne, insistai-je.