Louise-051

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Je regarde à travers la vitre de la fusée, le cœur serré. Quelques changements, là dehors, accrochent mes pupilles, mais rien ne s'imprime. Comme si la vie avait changé. Ce n'est pas une impression. Ma vie a changé. Tout a changé depuis Laurène, c'est logique. Mais aussi depuis Gravitation, et c'est seulement maintenant que j'ouvre les yeux. Je sens que notre voyage de l'espace touche à sa fin : atterrissage imminent. Mais ce n'est que le début d'un autre. On défait les valises pour mettre de l'ordre et en refaire une nouvelle. 

On donne des limites à l'amour mais pas à la bêtise. Cette phrase c'est un peu le magnet que j'emporte pour le coller sur le frigo. Comme un pense-bête pour ne pas oublier mes destinations de vacances. Celle-ci à un goût tout particulier parce que j'ai pris des détours pour fouiller ce que j'avais dans le cœur. Entre-temps, Laurène s'y est installée. Et son absence va former un tout nouveau cratère. C'est un peu la place de ses fesses comme quand le canapé se creuse parce qu'on à le derrière trop lourd pour bouger. Et bah, j'aime pas être un canapé abandonné. C'est triste et déprimant. 

Je vais sans doute m'asseoir à côté de ce vide chaque soirs, sans elle. C'est une porte ouverte sur le manque. Je chasse mes pensées en tournant la tête de l'autre côté. Pour la contempler. M'assurer qu'elle est encore à côté. Que j'ai encore la possibilité de serrer ses doigts. D'embrasser ses lèvres. De sentir son odeur. Qu'est ce que ça fait d'être un cliché ? Je n'en ai rien à faire. Je veux juste être avec Laurène.
‒ Tu as vu l'ampleur que ça appris ? dit-elle doucement, les sourcils froncés.
‒ Évidemment ! Il ne va pas s'en sortir comme ça, m'énervé-je.
Ses yeux suivent les miens jusqu'à son plâtre.
‒ Je ne parle pas de mon bras, Lou.
Elle regarde pas la fenêtre mais je suis trop surprise par ce nouveau surnom quelle vient de m'attribuer. Lou. Personne ne m'avait appelé comme ça. C'est étrange mais je n'ai pas de surnom. Tout le monde se contente de dire "Louise". Peut-être voulait-elle me laisser une trace. Quelque chose qui ferait que je ne l'oublie pas. Mais elle n'a pas besoin de ça. Non, elle est au-dessus. Elle suffit. Sa personne est déjà inoubliable. Peut-être que je me trompe. Peut-être qu'elle voulait simplement qu'on soit encore un peu plus proche, s'il est possible de l'être, en ne prononçant que ces trois petites lettres. Comme pour détruire le dernier mur, la dernière pierre, le dernier cailloux qui se trouve entre nous. C'est vrai, d'abord quand on enlève le nom de famille c'est qu'on se connaît, alors quand on élève des lettres du prénom c'est qu'on se connaît encore mieux, c'est ça ? Bon, je n'ai pas non plus envie de m'appeler "L". Donc l'étape après le prénom c'est quoi ? Un truc qui n'a rien à voir du genre "chérie", "bébé", "ma puce" ?
Je me pose trop de question. Et comme on est très proche, je l'ai démontré par le théorème du découpage des prénoms, Laurène discerne mon trouble.
‒ Qu'est-ce qui ne va pas ?
Sa voix est aussi chaleureuse qu'elle.
‒ Rien, c'est tout ces événements...
Elle hoche la tête et pose sa main gauche sur ma cuisse.
‒ Excuse-moi, tu parlais de quoi juste avant ? demandé-je.
‒ Regarde par la fenêtre. Tous ces téléchargements. Tous ces gens qui cherchent l'amour... C'est ça le succès de GRAVITATION. C'est des gens qui cherchent l'âme-soeur et qui ont cliqué sur "télécharger". C'est des gens qui ont suivis la mode. Quoi qu'il en soit c'est des gens. Et c'est grâce à eux que l'application a pris une telle ampleur. Regarde toutes les affiches publicitaires qui lui sont dédiées. Aux arrêts de bus, sur les vitrines des magasins. Partout. GRAVITATION est partout. Les liens qui nous unissent sont partout. Et on est pas foutu de les voir si on a pas un écran pour nous les montrer. Et c'est aussi à cause de ça que des gens m'ont prise pour symbole de rébellion...
‒ C'est aussi à cause de ça qu'on s'est rencontrées, que je suis lesbienne, et que t'as trouvé un nouveau job.
‒ C'est pas à cause de ça que t'es lesbienne Louise, dit-elle en souriant.
‒ Change pas de sujet ! Tu as trouvé un nouveau job ! C'est pas rien !

Elle tient mon visage avec sa main qui n'a pas le plâtre et colle ses lèvres aux miennes. Ça a un coût amer. Un goût d'amour mais amer. Parce que ça ne va pas être facile. Comme si ça suffisait pas que je sois lesbienne, il va falloir que je le sois à distance.

Tout a changé.

‒ Tout va bien les filles ? s'écrie Clara de devant.
‒ Bien, merci, répond Laurène.
‒ Tant mieux, parce que nous arrivons bientôt chez GRAVITATION.

Mon pouls accélère. C'est comme si j'allais découvrir le cœur de tout ce chamboulement. Comment sont les locaux de l'application nationale ? Y-a-t-ils beaucoup de couloirs, de bureaux avec des employés qui travaillent dur pour sauver l'amour ? Enfin ça dépend. Sont-ils tous en violets, comme Clara et Logan ?

Et que vais-je faire là bas ? Pourquoi m'emennent-ils avec Laurène ? Bon, vu notre discrétion ils doivent savoir pour nous deux. Je vais découvrir le bureau de ma futur coach en séduction en avant première. Il y a de quoi être fière. Mais comment vais-je faire pour rentrer chez moi après ? Et mes parents ? Comment vais-je leur annoncer que j'aime les filles. Non, que j'aime surtout Laurène. Toute ces questions se bousculent dans ma tête.
‒ Dis, faut peut-être que tu t'entraine un peu avant d'exercer ton nouveau métier, madame la coach !
Elle sourit.
‒ Je vais être formée sur place, c'est dans le contrat !
‒ Je veux voir ça de mes propres yeux, j'insiste. Tiens, je vais te mettre en situation tout de suite ! Si je te dis que je viens d'apprendre que je suis attirée par les filles, et que je dois faire mon coming-out à mes parents, qu'est-ce que tu me réponds ?

Elle me fixe intensément.

‒ T'es pas obligé de faire un coming out. Tout dépend de ta situation et de ton envie.

‒ J'ai envie de le faire.

‒ Tu veux pas plutôt que je te montre comment embrasser? marmonne-t-elle en s'approchant de mes lèvres.

Un flash nous interrompt.

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OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant