Louise-018

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‒ Que savez-vous sur Candace ?

Sa question me fait froid dans le dos. Comment connait-il mon héroïne ?

‒ C'est à moi de vous poser cette question, je réponds, essayant de dissimuler ma surprise.

Garance semble perplexe et plisse les yeux comme si ça pouvait l'aider à mieux cerner la situation. Laurène attend le dénouement. J'avoue que je suis aussi pressée de tourner cette page. Mathieu me scrute et c'est un duel de regard que nous livrons. Je ne lâcherais pas : c'est comme jouer à « pierre feuille ciseaux » pour savoir qui va parler en premier. Ou encore à action ou vérité et que nous prions pour que la bouteille pointe l'adversaire. Mes pensées m'aident à soutenir son regard sans m'y confronter réellement. Gagné : il a dévié, la bouteille l'a désigné. Il a serré le poing : il était la pierre et moi la feuille. Action ou vérité ? Il n'a pas d'autre choix que de me livrer cette seconde option.

Il soupire.

J'attends.

‒ C'est pour vous qu'elle est partie, n'est-ce pas ? son ton est grave et presque menaçant sur le coup.

Sa mâchoire est crispée et ses poings toujours serrés. Il va perdre la partie : je le sais. J'ai déjà de l'avance : je le sens. Mes deux gardes du corps sexy le fusillent du regard, prête à bondir au moindre mot de trop qu'il pourrait me dire. Je suis sous bonne protection avec elles. Vivian dissèque Garance, prêt à faire ce qu'elle ordonnera, à la suivre coûte que coûte. Je suis certaine qu'il est déjà en train d'imaginer des compositions de bouquets personnalisés pour ma meilleure amie : pour laisser les fleurs parler à sa place. Mais pas le temps d'observer ma bande plus longtemps car je sais que le second round contre Mathieu ne sera pas facile. Alors je soutiens de nouveau le regard de celui-ci.

‒ Je ne comprends pas... avouai-je, sans ciller pour autant.

Mais il ne semble pas prêter attention à ce que je viens de lui dire et poursuit dans son élan (j'en profite pour déguster ma margarita arrivée entre deux révélations) :

‒ Et dire que vous avez fichu ma vie en l'air ! C'est le cas de le dire ! Sans vous, sans toi (il me désigne du menton) je ne serais pas dans cette fichue fusée avec une bande de lesbiennes...

Je ne suis pas lesbienne, mais cette fois je la ferme.

‒ Mais attend ? Qu'est-ce que tu fiches ici ? Retourne voir Candace ! A moi que tu sois une fille facile ! Ça y'est tu l'as trompé ? Elle va revenir vers moi en pleurant parce qu'une minette comme toi est allée voir ailleurs ?!

Je ne comprends pas un mot de ce qu'il dit mais je sais qu'il me méprise. Et à ce stade tout le restaurant est au courant. Cependant le serveur à quand même le culot de nous demander si tout se passe bien en faisant comme si de rien n'était. Comme si nous parlions de saumon et de mozzarella. Mais ce n'est pas le cas pourtant s'aurait été moins flou comme sujet de conversation, pour ma part. Il a eu le droit à un regard ravageur de Laurène et n'a pas cherché plus loin, préférant sans doute la chaleur de la cuisine que celle de l'humiliation. Laurène n'a pas de pitié parfois...

Une chose est sûre : je dois éclaircir la situation.

‒ Excusez-moi, mais de quelle Candace parlez-vous ?

Cette fois il semble encore plus dépité.

‒ Celle qui m'a quitté pour vous, dit-il et sa voix se brise.

Laurène se marre ce qui m'agace. Elle porte sa main devant sa bouche sans réelle intention de se cacher.

‒ Désolée Mathieu, dit-elle, mais c'est impossible car mademoiselle ici présente (moi) n'est pas lesbienne du tout.

Il me détaille de la tête aux pieds et semble perplexe.

‒ C'est vrai, vous n'en avez pas l'air, affirme-t-il après réflexion.

Laurène se tape le front. Je ne dis rien. Mathieu s'enfonce :

‒ Alors il n'y a que vous ? demande-t-il à Laurène.

Elle fait oui de la tête tandis qu'il baisse les yeux et le menton.

‒ Je suis sûre que vous ne l'êtes pas ! Vous êtes bien trop belle ! Laissez passer du temps et vous verrez, vous retournerez avec un homme qui vous aimera.

J'ai envie de me cacher sous la table. Mais par chance, personne ne s'énerve et Laurène dévie le sujet.

‒ Qui est cette Candace ? Nous aimerions bien savoir ! annonce-t-elle en parlant pour trois en comptant Garance et Vivian. Ceux-ci n'étant déjà plus dans notre monde mais sur leur nuage. Ça sent la rose rouge à plein nez : et ça pue !

‒ C'est le personnage principal de mon roman ! commençai-je comme une élève qui connaît la bonne réponse.

Oui, j'écris, mais ce n'est pas le sujet pour le moment.

‒ Alors pourquoi m'avez-vous mêlé à ça ? Je ne suis pas un personnage moi ! commente Mathieu.

Il n'a pas tort : j'aurais dû me taire... Mais on ne touche pas à Candace.

‒ Je me devais de la venger ! répliquai-je. Mathieu, son ex, n'a fait que lui mentir !

Je suis lancée, c'est trop tard. Je me pare déjà contre les réflexions.

‒ Mais enfin, je reconnais que c'est une sacrée coïncidence mais vous ne savez plus différencier la réalité de la fiction !

Je croise les bras et fait la moue. Laurène me sourit et prend les choses en main.

‒ Bon, tout cela est très intéressant, commence-t-elle. Mais nous sommes ici pour apprendre à nous connaître et parce que monsieur ici présent n'aime pas les filles de mon genre. Mais puisque Candace, ici non présente, est au centre de toutes les intentions, j'aimerais beaucoup savoir qui elle est !

Elle ne lâche pas Mathieu des yeux et celui-ci comprends que c'est à son tour de présenter sa Candace. Il est toujours sur la défensive mais se décrispe au fur et à mesure du dîner. Je comprends vite que Laurène a trouvé une faille qu'elle creuse en lui parlant de Candace. Allons-nous gagner la partie ? Existe-t-elle encore ?

‒ Candace était belle, c'était ma copine depuis deux années. Mais j'avais l'impression de la connaître depuis bien plus longtemps, il marque une pause et pose sa voix. Seulement elle n'était pas heureuse alors que je lui donnais tout. Je n'ai jamais autant aimé. Je voulais fonder une famille : elle était mon futur. Mais tout a basculé le jour où elle a retrouvé le sourire. C'est bizarre à dire n'est-ce pas ? Et j'ai compris qu'elle avait trouvé quelqu'un. Quelqu'un d'autre, sa voix se brise.

Laurène et moi retenons notre souffle.

‒ Elle est partie pour une femme. Elle m'a dit qu'elle ne savait pas. Qu'elle crût m'aimer mais que ce n'était qu'à cause de la société qui imposait une certaine image...

Laurène le coupe :

‒ Et maintenant vous êtes terriblement attaché à cette image : un couple doit être composé d'un homme et d'une femme. Parce que cela vous rassure. Et vous vous dites que tous ceux qui s'égarent sur l'autre chemin ne sont pas de bonnes personnes : comme moi !

Laurène à un don pour canaliser l'attention sur elle. C'est si envoûtant... et naturel. Plus personne ne bouge à notre table et je me surprends même à avoir les lèvres entrouvertes de surprise. Même face à quelqu'un qui la hait, Laurène est calme et chaleureuse, mieux : elle a lu dans ses pensées comme si elle était psychologue. Si bien que Mathieu reste muet.

Nous terminons nos pizzas et payons avant de sortir. L'air doux et calme de la nuit vient frôler mon visage et je le savoure. Nous marchons en chemin inverse, jusqu'à notre fusée, que nous trouvons sans problème. Le problème est ailleurs : il n'y a personne dans la fusée. Aucun passager. Aucun membre du personnel. Tout à coup tout semble désert. Et j'ai cette image qui m'apparaît. Nous sommes cinq astronautes abandonnés sur la lune. Devons-nous repeupler cette planète à nous cinq ? Qui choisirai-je d'embrasser et d'aimer ?

Je crois que je n'aurais pas le choix : Garance et Vivian sont une évidence. Laurène est lesbienne. Et pas moi. Et Mathieu ne me plaît pas. Je ne ferais pas la même erreur de me mentir comme les deux Candace de la soirée. 

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant