Chapitre 4-Laurène (Réécrit)

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Le chauffeur me demande mon prénom d'emblée. Il a les cheveux poivre et sel et un costume gris impeccable. Je n'ai pas le temps de prendre la température de l'habitable que deux personnes me succèdent. Pour ne pas les faire attendre, je file tout droit jusqu'au fond du véhicule. L'allée me semble interminable alors qu'il n'y a que quelques mètres. En avançant, des images des derniers jours se jouent dans mon esprit. Je n'ai plus de travail. Il faut vraiment que je me ressaisisse. Ce n'est pas parce que je viens de perdre mon emploi à cause d'une conquête de trop que je ne vaux rien. Et j'espère ne pas regretter de m'embarquer dans cette fusée.

Je me dirige vers le fond, au moins, j'aurais une vue d'ensemble. Je ne fais pas vraiment attention ni à ma gauche ni à ma droite mais en face de moi j'aperçois une petite blonde aux yeux bleus, qui semble dans une autre dimension. Sûrement qu'elle rêvasse. Je vois à sa tête qu'elle semble mitigée par le concept de l'application. Mais ce qui m'intéresse pour le moment, c'est la place qui se trouve à sa droite : au fond, à côté de la fenêtre, parfait pour qu'on me laisse tranquille. Je ne veux pas conquérir des cœurs avant même d'arriver à destination, alors cette place sera idéale et je laisserai le paysage me conquérir.

Je m'arrête net lorsque j'aperçois que MA place est déjà prise par une rousse aux yeux verts, magnifique, mais pour l'instant je dois m'en tenir à mes priorités : c'est le territoire que je convoite. Question de survie. Je dois être restée trop longtemps figée au milieu de l'allée puisque la blonde me dévisage la bouche entrouverte. Ok, plan de secours. Il faut agir et vite.

Je m'avance jusqu'à la jolie rousse.

‒ Salut, improvisé-je.

Elle me scrute d'abord quelques secondes avant de répondre « salut » à son tour.

Je crois qu'elle me lance un regard en mode « pourquoi tu viens me draguer, on ne joue pas dans la même catégorie ? D'ailleurs tu ne leur ressembles pas, à elles. » Je soupire en pensant que je suis encore tombée sur une mademoiselle hétéro qui va me sortir dans deux secondes qu'elle aime les garçons, comme si c'était l'évidence de toutes les évidences. Elle s'apprête à ouvrir la bouche mais je l'intercepte, certains diraient que je coupe la parole, c'est une question de point de vue. Heureusement la jolie blonde d'à côté ne prête pas attention à ma discussion avec sa voisine et parle avec l'autre fille à sa gauche.

‒ Dis, je ne voudrais surtout pas te déranger, tenté-je gentiment, mais en fait j'ai un problème...

Cette fois ses beaux yeux verts s'écarquillent et je poursuis :

‒ En fait, je suis malade à l'avant des transports...

Cette fois je crois que je l'agace mais je tiens bon :

‒ Il faut absolument que je sois tout au fond à droite, à cette place précise sinon je vais... vomir.

Je sais que ce n'est pas très crédible mais il me faut cette place et puis maintenant je suis lancée. Elle me répond :

‒ Tu sais, d'habitude c'est l'inverse, on est malade à l'arrière, m'assure-t-elle sans trop savoir si elle doit me prendre au sérieux.

‒ Oui, mais je ne suis pas habituelle...

Elle émet un petit rire franc et me cède la place, en allant se mettre avec un groupe de personnes qui me dévisagent. Pourquoi s'était-elle assise si loin de ses amis ? Lorsque la jolie blonde à ma gauche tourne la tête, je peux ressentir son étonnement. Ce n'est pas moi qu'elle s'attendait à trouver. Apparemment nous attendons encore quelques passagers puisque le chauffeur est en train de savourer son café, en buvant du bout des lèvres pour ne pas se brûler.

Quelque chose me dit que les passagers suivants n'en sont pas. En effet, un homme à l'allure fière et neutre à la fois entre et s'arrête face aux voyageurs, sans mot dire. Une femme fait de même. L'homme porte un costume mauve avec une chemise d'un blanc éclatant. La femme porte un tailleur mauve, avec une poche cousue côté cœur et à l'intérieur se cache une rose rouge. Détail que je trouve très craquant. Les deux ont le logo plaqué du côté droit de la poitrine.

Un homme âgé, assis quelques rangs devant, prend la parole de manière inattendue :

‒ Belle fleur, madame ! s'écrie-t-il.

L'employée le remercie d'un sourire très chaleureux. Ses cheveux auburn réchauffent les cœurs autant que ses yeux pétillants.

Contre toute attente, le papy s'enflamme :

‒ C'est ce monsieur à vos côtés qui a dû vous l'offrir !

Mais qu'est-ce qu'il fait ? Il tâte le terrain ? Le regard de celle-ci s'embrase.

‒ Non monsieur, poursuit-elle avec politesse, je l'ai achetée moi-même et c'est pour l'offrir à quelqu'un.

Mon nouveau départ commence maintenant. Ne sachant pas ce que je pourrais faire d'autre, je me connecte sur mon compte et fait défiler les pages de l'application. Mon âme-sœur se trouve-t-elle vraiment à cet arrêt de bus ? Sera-t-elle présente au rendez-vous ? Sera-t-on submergé par un coup de foudre immédiat ? Tombera-t-on amoureuses au premier regard ? Tombera-t-elle amoureuse et pas moi ? Ou l'inverse ? Toutes ces interrogations m'angoissent alors je verrouille mon téléphone et me concentre sur le moment présent. Je passe une main dans ma nuque en essayant de me détendre mais les démons reprennent souvent le dessus ces derniers temps. Je souffre de dépression et ce travail était la seule chose que je n'avais pas raté au bout de deux jours depuis le baccalauréat. Maintenant que je ne l'ai plus j'ai peur de retomber dans ce cercle vicieux et je n'ai pas envie de faire subir ça à ma famille une fois de plus. Je dois faire le vide dans ma tête.

Une destination, un but, un désir, une envie, au moins pour aujourd'hui.

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant