OTHER GIRLS 1

Louise-042

‒ Dis plutôt que tu veux que je t'embrasse, s'esclaffe Garance à l'intention de Jade.

Je t'aime Garance. Tu es la plus douée pour le retournement de situation. Tu as un tact magique. Je desserre légèrement les poings, absorbée par la scène qui se déroule sous mes yeux. Comment font les autres pour s'amuser ? Je suis plus stressée qu'autre chose. Je ne peux même pas me blottir contre Laurène pour qu'elle me protège.

Jade ne semble pas décontenancée et se doit de maintenir l'ambiance. Elle ne semble pas impressionnée non plus. Je suis la seule que ça déstabilise. Pour les autres c'est tout à fait normal, du moins c'est ce qu'ils laissent croire.

Garance se lève et traverse le cercle en enjambant la bouteille, puis agrippe Jade par les épaules. Elles se mettent à rire quand leurs yeux se rencontrent. Elles font mine d'être écœurées par cette obligation avant de croiser leurs lèvres timidement et très platoniquement. Les autres rient et applaudissent en se resservant à boire. Je reste tendue, impossible de sourire, ni même de me sentir amusée. Il y a juste les battements de mon cœur qui accélèrent lorsque Garance s'autorise à faire tourner la bouteille pour un second tour. Les yeux sont rivés sur celle-ci. C'est sûr que ça va être sur moi. C'est sûr. C'est sûr. Est-ce possible que le même gage se répète deux fois ? Bien sûr que oui puisqu'il n'y a rien d'écrit, mon sort dépendra de ce que Jade décidera. Va-t-elle me demander d'embrasser une fille ? Je me sens mal à cette idée. Je presse les paupières, et quand j'ose les rouvrir la bouteille est arrêtée sur Laurène.

Et c'est aussi terrible que si c'était tombée sur moi. Je retiens mon souffle.

Le chapeau passe de main en main jusqu'à moi et je le tiens machinalement devant Laurène pour qu'elle puisse piocher.

Lorsque ses longs doigts mélangent le contenu de bouts de papier, nos regards s'attachent avant qu'elle ne saisisse ce qu'on lui demande et qu'elle tourne la tête pour le lire. Je n'arrive pas à cerner si elle s'amuse ou si elle préfèrerait être seule avec moi, dans notre chambre.

‒ Ah voilà nos coachs ! s'écrient certains avec satisfaction.

Je pense que je deviens folle mais j'entends du sadisme dans leurs voix. L'effet de groupe c'est l'horreur.

Laurène relève les yeux après avoir pris connaissance du contenu entre son pouce et son index.

Jade ouvre la bouche mais la referme aussitôt lorsque ma copine la devance.

‒ Vérité, annonce Laurène, de la voix la plus posée que je connaisse.

Mon cœur tambourine.

‒ La question est, est-ce que j'ai déjà couché avec un homme ?

Jade frappe sa paume contre sa hanche.

‒ Oh non, je voulais que cette question soit piochée par un homme... tant pis, souffle-t-elle.

Laurène la dévisage.

‒ Je ne comprends pas, dit ma copine.

‒ Tu ne comprends pas la question ? se marre un garçon brun, assis en face.

‒ Je ne comprends pas pourquoi tu aurais préféré que cette question tombe sur un homme, rapplique Laurène.

J'ai envie de prendre sa main et de lui dire que ce n'est pas grave, mais j'aime encore plus l'idée qu'elle va leur clouer le bec.

‒ Il y aurait eu plus sujet à débat ! rit Jade. Là c'est pas drôle ! C'est évident que tu as déjà ...

‒ Non, tranche Laurène. Non, il n'y aurait pas eu matière à débats et non ce n'est pas évident que j'ai déjà couché avec un homme, lance Laurène d'un ton qui parvient à calmer tout le monde.

‒ Alors tu es encore vierge ? s'étonne une personne que je ne distingue pas tout de suite.

‒ Là non plus, il n'y a pas matière à débats, répond Laurène, mais pour que ta question ne t'empêche pas de dormir je vais te répondre : l'homosexualité existe ! Ainsi que la bisexualité et encore plein d'autres sexualités qui ne sont pas de l'hétérosexualité !

Des yeux ronds se forment les uns après les autres.

‒ C'est ce qu'on dit Laurène, reprend Jade, je ne suis pas homophobe et il n'y a rien de méchant dans ce que je dis mais l'homosexualité est un meilleur sujet pour débattre. Alors que l'hétérosexualité, y'a pas besoin...

‒ Je ne vois pas en quoi on peut débattre sur deux personnes qui s'aiment ! lançai-je spontanément.

Mes joues s'empourprent comme si je venais de dévoiler qui j'étais.

‒ ça c'est bien des coachs au service de l'amour, réplique Fidèle, le DJ.

Ce qui m'arrache un sourire timide.

‒ Vu comme ça, me répond Jade, tu as raison il n'y a pas vraiment de quoi débattre mais pleins de gens argumentent sur le fait que ce n'est pas naturel etc... Je pensais juste qu'on pourrait en parler.

‒ Mais on n'est pas obligés de faire les mêmes erreurs que ces gens-là, poursuis Laurène. J'suis pas là pour vous faire un cours mais pour information, l'homosexualité est parfaitement naturelle, dans toutes les espèces animales c'est quelque chose de courant. Et pour plusieurs autres raisons encore mais Google est votre ami !

Des chuchotements et des discussions fusent dans tous les sens. Laurène reprend :

‒ Et même si ça ne l'était pas, qu'est-ce qui vous permet d'aller juger ce qu'il se passe dans la culotte du voisin ?

‒ Pas faux, admettent plusieurs personnes.

‒ Mais, il n'y a pas que ça, répond Vivian pendant que Garance semble s'ennuyer (et elle a raison, on ne devrait même pas avoir à dire tout ça). Il y a aussi le bien être des enfants qui fait débat, moi je n'ai pas d'opinion là-dessus, mais c'est pour toutes ces choses-là qu'il y a des débats...

‒ T'as pas tort de le mentionner, beaucoup de gens pensent en effet que les enfants ont besoin d'un équilibre père/mère, mais combien d'enfants ont été élevés par un seul parent (hétéro) et très bien dans leur peau ? Combien d'enfants dont les parents sont hétérosexuels fument, et pas que d'la clope ? répond Laurène.

Plusieurs passagers lèvent la main en signe de soutien en affirmant qu'ils ont été dans l'un des deux cas cités par Laurène, ce qui me fout des frissons.

Et malgré ce qu'on peut dire, malheureusement, actuellement nous sommes bien en train de débattre sur l'homosexualité... Quand est-ce que l'amour sera moins condamné que la haine ? 

Avis ? :)