Louise-035

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La femme en tête de file saisit le bout de papier par la personne de derrière. Elle la place dans sa paume et baisse la tête avec discrétion. Elle referme son point dessus, une fois qu'elle a pris connaissance du mot et regarde vers l'arrière comme pour savoir ce qu'elle doit en faire. Elle n'a que des sourires complices en guise de réponse.

‒ Et nous ? je m'indigne, en voyant qu'elle longe la file en sens inverse pour trouver quelqu'un a qui le refiler.

Personne ne répond.

‒ On se croirait en primaire, râle Laurène.

Et elle a bien raison. Les adultes fonctionnent parfois comme des enfants. Et les enfants sont cruels. Parce que les adultes le sont (encore plus). C'est un cercle vicieux. Parfois, avec Laurène on communique sans parler. Dans un même élan nous ouvrons l'atelier mais avec un objectif légèrement divergeant.

Les formules de politesses étant dites, la présentation avec Eliott étant faite, nous pouvons passer aux choses sérieuses.

‒ Qu'est-ce qu'on peut faire pour vous ? je demande en chassant une mèche devant mes yeux, en exagérant le geste par ce que Laurène est à côté. J'ai l'impression que je dois faire des pieds et des mains pour elle. (C'est une question d'entraînement pour mieux conseiller).

Eliott est simple. Il respire la banalité. Jean droit, t-shirt bleu (sans motif). Négligé au niveau des sourcils et des cheveux en bataille. Il est mince comme une ballerine. Le regard vif.

‒ J'aimerais savoir comment on fait pour séduire une fille, commence-t-il.

‒ Moi aussi.

Aie, j'ai encore pensé à voix haute puisque Laurène et Elliott me fixent. Je rougis.

‒ Je plaisante ! je m'écrie pour me rattraper.

Mais c'est l'effet inverse qui se produit. Je reproche à Garance qu'elle ne sait pas se taire mais je ne suis pas mieux des fois.

‒ Simple curiosité, qu'est-ce qui passait de mains en mains dans la file ? demande Laurène.

Complètement hors-sujet, mais tant qu'on y est.

‒ Rien, (il baisse la tête), juste un mot d'amour dont on ne connaît pas l'auteur. Un admirateur secret quoi, fait Elliott, l'air innocent.

Face à notre absence de réaction, il s'enfonce dans son siège. C'est donc ça qui a intrigué tout le monde ? Pire qu'à l'école.

‒ C'est une bonne méthode de drague, non ? il poursuit.

Ah oui, c'est nous les pros, j'avais oublié. Qu'est-ce que j'en sais.

‒ Y'a plus efficace, et... plus moderne, dit Laurène.

Nous sommes toutes les deux exaspérées par l'absurdité de la situation. Laurène se reprend en main, plus professionnelle, parce qu'on est là pour animer et qu'une ambiance plus plate que celle-ci n'existe pas. Seule la pièce existe. C'est comme si nous n'étions pas là.

Elle se lève, sans prévenir, et lance « Qui est partant pour une chasse à l'admirateur secret ? ».

Tout le monde se tait. Une sorcière semble être apparue de nulle part pour figer les gens parce qu'on la saoulait. Elle pourrait peut-être me sortir d'ici en balai volant. Ou en s'éclipsant. Je ne sais pas quel moyen elle utilise. Je sors de ma rêverie, je me laisse souvent emporter par mon imagination mais lorsque je me rends compte que ce n'est pas un sortilège qui s'est abattu sur nous mais bien un gros blanc.

Laurène se rassoit, et les passagers s'acharnent sur leurs écrans comme pour faire semblant de ne pas avoir entendu ce qu'elle a dit. Celle-ci semble confuse. Elliott semble vouloir disparaitre dans les coulisses de son fauteuil, comme s'il y avait une porte magique qui l'aspirerait dans un autre monde s'il forçait un peu. Mais nous sommes toujours là.

‒ Je ne comprends pas, articule Laurène.

‒ Moi non plus, je réponds.

Pourquoi personne n'a réagi quand Laurène à évoqué l'admirateur secret. J'ai l'impression qu'ils nous cachent tous quelque chose. Et c'est très désagréable.

Au même moment, Jade, la rock star, s'approche de nous et nous murmure quelque chose.

‒ Les filles, vous avez reçu le mot ? demande Jade pour s'assurer que nous ayons eu l'information.

Enfin quelqu'un qui nous parle.

‒ Non, je dis.

Elle jette un œil à la salle.

‒ Si c'est le mot que tout le monde s'est fait passer, personne n'a voulut nous le donner mais Elliott a parlé d'un mot d'amour par un admirateur secret, explique Laurène en montrant le garçon.

Laurène est blasée et moi aussi. C'est quoi cette intrigue bancale ?

‒ C'est bien le mot que tout le monde s'est fait passer, confirme Jade. Et c'est pas un mot d'amour écrit par un admirateur secret ! C'est un message pour tous les passagers, et c'est moi qui l'ai écrit.

On la regarde avec des yeux ronds. Elliott est un menteur maléfique. Je le fusille du regard. Il se lève et part, comme s'il quittait un cours, le sac à dos sur une épaule. Il faut toujours se méfier des airs innocents. C'est à cause de lui que personne n'a réagit à la demande de Laurène.

Nous expliquons la situation à Jade, celle-ci semble énervée.

‒ Mais qu'est-ce que vous avez dans la tête ? elle râle en s'adressant à la foule. (Elle est douée comme une chanteuse pour captiver l'attention). Je vous ai dit de faire passer le mot à tout le monde SAUF aux organisateurs !

Elle soupire.

La femme qui a gardé le mot dans le creux de sa paume intervient (sans doute coupable de ne pas nous l'avoir donné).

‒ Mais elles sont organisatrices, non ?

‒ Non, fait Jade simplement.

Et personne ne cherche à en savoir plus pour le moment.

Jade se retourne vers nous.

‒ Je vais vous expliquer, dit-elle.

Elle s'assoit sur la chaise réservée aux clients pour la seconde fois, et place ses mains sur la table comme pour marquer le coup.

‒ Sur le mot il y a un rendez-vous clandestin pour tous les passagers. Quoi de mieux pour renforcer les liens que de faire des bêtises ensembles ? (Elle semble enthousiaste et sûre de son idée). Je vais faire simple : cette nuit, à 1h00, vous allez tous me rejoindre dans ma chambre, et nous allons faire le jeu dont je vous ai parlé plus tôt.

Laurène l'interrompt :

‒ Des débats à partir d'idées piochées sur des morceaux de papiers ?

Le regard de Jade s'illumine, comme si on venait d'allumer des néons.

‒ Exactement ! Tape-là !

Je souris, en haussant les épaules. Laurène me sonde comme pour savoir si j'ai envie d'y aller.

‒ Pourquoi t'as pas fait dans la légalité, en demandant à Clara comme on te l'avait conseillé ? demande Laurène.

‒ Parce que, comme je l'ai dit, quoi de mieux que de faire des bêtises pour tisser des liens ? On est tous là pour ça au final, non ?

Evidemment.

‒ On viendra ! je dis.

Jade me scrute.

‒ Depuis quand tu parles pour vous deux ? Elle demande en plissant les yeux.

Je rougis. Laurène sourit. Toujours détachée. 

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant