Chapitre 8-Laurène (Réécrit)

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Les mots de Louise ne me sont pas destinés mais je ne peux m'empêcher de les prendre comme une attaque personnelle. Ce qui me fait le plus mal, c'est qu'ils ont traversé ses lèvres. Je devrais pourtant avoir l'habitude. Combien de lèvres laquées de rouges ont prononcé cette phrase ? Je ne suis plus à ça près mais venant de Louise c'est différent. Ça résonne en moi avec la même intensité que lorsque j'ai entendu cette phrase pour la première fois. Lorsque je venais de me découvrir et que je commençais à m'assumer. C'était douloureux. Et avec le temps, la douleur s'était estompée. Mais il a suffi que ce soit elle qui articule, sans peine, ces quelques syllabes pour que tout se ranime. Comme une fureur de « premiers jours ».

C'est sûrement parce que je rêvais mon nouveau départ sans ce genre de réactions. Bien qu'elles m'agacent plus qu'elles ne me font de peine aujourd'hui. Pourtant, cette fois ci, c'est de la peine que je ressens. Je crois que c'était une mauvaise idée de venir dans ce café. Je ressors après avoir choisi un expresso et apprécie l'oxygène qui me manquait à l'intérieur. Je marche vite comme si ça pouvait effacer ce qu'il vient de se passer. Comme pour semer ce futur souvenir avant qu'il ne s'accroche à ma mémoire.

Une voix me fait sursauter, me stoppant dans mon élan, cette même voix à l'origine de mon empressement.

‒ Laurène !

Je me retourne, un peu à contre-cœur. Je n'ai vraiment pas envie de lui parler.

‒ Je... Je suis désolée, je n'avais aucune raison de m'énerver ! Je répondais seulement à Garance ! C'est plus compliqué que ça en a l'air ! Il faut toujours tenir compte du contexte !

Je balaie cette phrase d'un geste de la main.

‒ S'il te plaît, ne me donne pas de leçon de morale ! Ce n'est pas le moment, affirmé-je, excédée.

Il n'y a rien à comprendre, quel que soit le contexte, il y avait de la mésestime dans sa voix lorsqu'elle l'a clamé haut et fort. Je n'ai rien envie d'entendre, je crois avoir compris l'essentiel de ce qu'elle avait à dire. C'est tout ce qu'il y a à savoir. C'est aussi ce que j'ai retenu des autres filles, et je l'ai déjà payé en perdant mon emploi.

Maintenant c'est clair : mon seul et unique objectif est de retrouver @vingt-cinq-ans. J'avale une gorgée de ma boisson chaude et poursuit ma route.

Soudain je suis de nouveau retenue. Et c'est la main délicate de Louise agrippée à mon poignet. Je feins de renverser mon café et lui en veut d'autant plus. Et le pire dans tout ça c'est que je ne comprends pas pourquoi toute cette histoire m'atteint autant : mon détachement habituel est en zone rouge. Je suis en terrain inconnu dans tous les sens du terme.

Garance parvient à notre hauteur, essoufflée tandis que Louise a toujours sa main sur mon poignet. Nos regards se croisent et une seule pensée me vient en tête : « détachement » comme une alerte que je ne peux ignorer. Certains diront que je fuis, moi je sais que je me protège. Détachement est pour moi le synonyme de liberté. Alors je me dégage de son étreinte une seconde fois et poursuit ma trajectoire. La fusée ne doit plus être très loin. Du moins, je l'espère.

Détachement sera mon maître mot. Je dois me détacher de son regard qui m'influence. De ses mots qui résonnent en moi comme des confidences. Je me détache, et les morceaux de mon cœur aussi ; j'ai l'impression qu'ils s'éparpillent. Je dois effectivement remettre les choses dans leur contexte, comme elle vient de me le suggérer. Nous avons la même « âme-sœur », Louise est donc une rivale dans ma quête du bonheur. Et je ne dois pas m'en détourner. J'ai connu trop de filles dans son genre Et ça finit toujours mal. Pour moi.

Je me suis si souvent oublier pour aimer, maintenant c'est à mon tour de l'être. Cinq minutes plus tard je suis surprise de me retrouver face au café, il devrait être derrière moi depuis longtemps. Ce qui veut dire que je suis perdue et que je tourne en rond depuis tout à l'heure. Génial. Il ne manquerait plus que je rate le départ. Je regarde l'heure. Il ne me reste qu'une minute pour retrouver ma route et la fusée.

Je jette avec frustration mon gobelet vide dans la poubelle à l'effigie du café. Si je savais relativiser je dirais que je n'ai pas à chercher de poubelle mais je préfère dramatiser pour le moment. Parce que franchement je ne vois pas ce qu'il y a de bien là maintenant. J'ai beau réfléchir, les sens en alerte, je ne sais pas quel chemin emprunter. J'étais pourtant sûre d'être sur le bon. Comment ai-je pu me retrouver ici ?

Il me reste trente secondes, c'est impossible ! J'ai un mouvement de recul lorsque la porte du café s'ouvre. Une vague de soulagement déferle lorsque je remarque que la personne qui en sort est un passager de la fusée. J'en suis presque sûre. Je vais pouvoir le suivre discrètement, il en convient.

Je souffle comme si j'avais été en apnée tout ce temps et réalise ma mission avec succès. Nous bifurquons plusieurs fois dans les différentes rues. Il ne remarque même pas que je le suis et j'aperçois la fusée à l'horizon. Alors cette fois soit j'ai des hallucinations, soit je la vois avancer. Elle démarre. Sans moi ! Sans nous ! Ça ne leur pose pas de problème qu'il manque des passagers ?

Je vais devoir me taper un sprint en talon. Juste derrière le garçon qui me fait office de boussole. Il a dû remarquer mon ombre recouvrant la sienne comme une éclipse puisque cette fois il se retourne et me lance un regard intrigué avec un sourcil arqué. Je hausse les épaules en guise de réponse : je n'ai pas trouvé mieux et j'ai la bouche trop sèche pour pouvoir parler.

Nous arrivons enfin à hauteur de la fusée lorsque j'entends des cris provenant de celle-ci. Et je reconnais cette voix.

‒ Arrêtez-vous, bordel ! Il manque une personne à bord ! Il manque Laurène je vous dis !

Et c'est la même voix qui a clamé un peu plus tôt qu'elle n'était pas lesbienne et sur ce même ton, pourtant cette fois ça me fait l'effet inverse.

Louise est différente des autres « pas lesbiennes ».


OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant