Louise-030

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Des décharges me parcourent à chaque petit mouvement de ses lèvres qui font danser les miennes. Tente-elle de me réanimer avec son souffle saccadé. Ses mains attrapent ma taille tandis que les miennes s'agrippent sur ses épaules. Oui je m'agrippe car je ne sais pas si je vais réussir à survivre à cette nouvelle sensation. Et brutalement, elle s'arrête. Et j'atterris.

‒ Excuse-moi. Je n'aurais pas dû, souffle Laurène en se reculant.

Mon cœur fait un bond.

‒ On ne peut pas, je dis la voix raillée.

Je ne sais pas ce que je suis en train de faire.

‒ On ne peut pas quoi ? elle demande.

‒ S'aimer.

‒ Pourquoi ?

‒Parce que je ne suis pas lesbienne !

Cette histoire ne peut pas me concerner. Je suis comme tout le monde. J'ai toujours été comme tout le monde.

‒ Oh mon Dieu ! Serais-tu la faille dans le système ?

Elle rit fort comme si elle avait retenu tout en elle jusque-là.

‒ Je ne suis pas comme vous, je dis.

‒ Comme nous ? Parce qu'il faut être différentes pour être lesbienne ?

Son ton se fait plus accusateur et je n'arrive pas à soutenir la tension de nos mots. Je ne veux pas la décevoir. Je ne veux pas me décevoir. Je ne supporterais pas cette idée. Elle me fixe comme si un fil invisible nous obligeait à ne pas perdre le contact visuel qui s'est crée un peu plus tôt. Je crois qu'aucun oral au monde n'a été plus important que celui que je suis en train de passer. Je n'ai pas le droit à l'erreur. Je ne veux rien rater. Et pourtant je n'ai rien eu à réviser. Je promets que si j'avais des cours pour ça j'en connaîtrait la moindre lettre, le moindre espace. Mais pour le moment l'air vient à me manquer.

‒ Il faut... être spéciale. Tu sais tous ces clichés. Moi je n'y connais rien. Personne n'en parle vraiment. Ou alors c'est mal. C'est mal d'être lesbienne. Et... Je ne suis pas quelqu'un qui fait les choses mal. Et puis t'es arrivée avec tout ça. T'es lesbienne et pourtant, tu ne fais pas les choses mal non plus. Tu ne fais que vivre. Et aimer. Et puis finalement c'est moi qui ne sais pas vivre : comment pourrais-je faire bien ou mal sans rien faire ?

Je me perds dans mon discours. Je dis les phrases au fur et à mesure qu'elles envahissent mes pensées. Comme si je ne devais rien garder à l'intérieur. Comme si je devais tout partager. Parce qu'elle m'écoute. Parce que c'est Laurène. Et parce qu'on n'est pas différentes au final. Pourtant je n'ai jamais pensé faire partie des « autres » et je n'en suis toujours pas tout à fait sûre. En même temps je n'étais pas vraiment comme tout le monde non plus. J'étais juste... là. Tout change et ce n'est pas plus mal parce qu'avant il n'y avait rien. Ni bien ni mal, ni couleurs ni nuances.

‒ Tu sais Louise, l'amour s'en fout des préjugés. L'amour s'en fout de la société. De tout. Même de nous. Et tout le monde s'en fout de nous. Alors fais ce que tu veux. L'amour n'a pas de complexe, c'est nous qui sommes coincés, souffle-t-elle avec bienveillance.

J'ai l'impression de me réveiller d'une longue nuit. Comme si je venais d'ouvrir les yeux pour la première fois et de regarder le monde en face. Comme si je n'étais plus juste là, mais que je commençais à vivre. L'air emplit mes poumons comme pour me donner mon premier souffle. Comme si la terre se rendait enfin compte de ma présence. Moi aussi j'ai besoin d'une place. J'oublie de répondre à Laurène. Parce que je n'ai rien à dire juste à la détailler avec ses yeux marrons et presque dorés avec la lumière qui filtre par la fenêtre de notre chambre. Ses cheveux noirs, volumineux autour de son visage et ses lèvres... Mon cœur tambourine comme s'il venait de s'activer. Qui suis-je ?

‒ Le baiser, elle commence d'une voix douce et je relève mon regard pour le planter dans le sien. Tu sais ça ne veut rien dire. Ça ne veut pas dire que nous sommes ensembles, d'accord ? On s'est simplement laissées surprendre par l'ambiance du moment. Et puis GRAVITATION et tout le reste, ça fait tourner la tête...

Je reste immobile, essayant de savoir quoi dire. Je suis soulagée qu'elle le prenne comme ça. Et puis ça peut arriver à n'importe quelle fille de trouver une amie belle et de se laisser aller deux secondes. Ça ne veut rien dire je suis d'accord. Mieux vaut tout oublier tout de suite. La fatigue, le stress, l'ambiance, autant de facteurs qui m'ont fait perdre les pédales mais maintenant que cet incident est passé ça va aller mieux. Je pensais avoir des sentiments pour elle parce que je me retrouve seule, ici, avec une application qui tente de me prouver que je suis lesbienne. A la limite je peux peut-être être bisexuelle, mais avec une préférence pour les garçons. Mais est-ce que je partirais en courant si c'est une fille ? Non. Surement pas. Je ne suis pas normale. Je suis incapable d'aimer comme tout le monde. Dans tout ce tourbillon de contradiction, l'idée de ne pas recommencer à embrasser Laurène me semble quand même assez triste et même mon cœur à du mal à s'y faire. Et si je n'étais pas lesbienne mais que je l'aimais quand même ? Ça ne veut pas dire que je suis comme elles.

Ma nouvelle vie commence maintenant et je ne vais pas rater le début en restant passive. Si je dois faire quelque chose pour vivre, bien ou mal, je le ferais. Alors je prends la main de Laurène dans la mienne et le contact de sa peau ne fait qu'accroitre mon sentiment d'une nouvelle naissance. Je ne laisse pas son regard s'échapper du miens et j'approche mes lèvres des siennes. Parce que c'est bien d'être la faille du système.

‒ Je préfère faire parti des autres personnes, du mauvais camp, plutôt que de passer à côté de ma vie. Il n'y aurait rien de plus ridicule que ça, je chuchote à son oreille.

Elle mordille sa lèvre inférieure mais ne semble pas prête pour un second baiser. Alors je m'adosse au mur et elle passe son bras autour de mes épaules, comme si on était de vielles amies. Je sens mon pouls dans le creux de ma paume et j'attends sa réponse. Qui n'arrive pas. Alors je me raidis encore une fois. 

Avis ?:) 

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant