Louise-024

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Et comme prévue, Clara nous rejoint, et commence par des banalités. Des passages à éviter dans un premier jet ou à supprimer lors de la correction d'un manuscrit. Sauf que là, je ne peux pas « couper au montage », parce que c'est tout le charme de la réalité.

‒ Désolée, l'appel du travail, se justifie-t-elle.

C'est bien la première fois que je l'entends se justifier. C'est pour faire passer la pilule du style « j'ai besoin de me justifier parce que maintenant on est amies alors je vous dis quand je m'éloigne avant que vous me posiez la question. »

Sauf qu'on n'attendait rien. Parce qu'on ne la connaît pas et par déduction : on n'est pas amies.

En d'autres termes elle joue la carte de « je n'attends pas d'invitation pour entrer dans votre groupe car je sais que je suis la bienvenue. »

Je n'aime pas les gens qui se croient tout permis. 

Enfin... sans doute que ma réaction est excessive mais elle m'agace à tourner autour.

‒ T'inquiètes, réponds Laurène dont j'envie le détachement.

‒ Au fait, est-ce que je peux vous confier quelque chose ? demande Clara.

‒ Je t'écoute, assure Laurène.

Je hoche la tête parce que je ne trouve rien d'autre à faire.

‒ Comme vous vous en doutez, l'équipe fait de son mieux pour trouver une fusée le plus rapidement possible, mais pour l'instant nous n'en avons pas, commence-t-elle avec sa voix de professionnelle. Et le mieux serait de ne pas trop parler de ça avec les autres, ou du moins de dédramatiser le plus possible.

Je lève les yeux au ciel : je n'ai pas besoin de ses conseils pour sauver sa réputation et celle de son application. On est coincé là, et tout le monde s'en rendra compte dès demain matin à force d'attendre un départ qui ne cesse d'être retardé.

‒ Nous avons donc prévu des activités pour divertir tous les passagers, poursuit Clara. Et c'est là que je demande votre aide : nous aider, Logan et moi, à animer ces activités. Parce qu'à deux ça ne suffira pas.

‒ Et Christian ? je demande.

‒ Je ne pense pas que ce soit son truc, réplique-t-elle. Il préfère conduire. Je le connais bien.

Nous nous tournons naturellement vers Laurène qui n'a pas encore exprimé quoi que ce soit. Les néons jouent avec les reflets de sa robe.

‒ De quel genre d'activité tu parles ? demande celle-ci.

‒ C'est simple, il faudra jouer les expertes en séduction, conseiller vos camarades qui le souhaitent et les aider à se mettre sur leur trente-et-un pour leur âme-sœur. Vous leur parlerez. Vous les écouterez. Vous serez dans la peau d'une coach en séduction.

C'est simple ?

Mais ce qui me fait peur, c'est que cette idée vend du rêve. Qui n'aimerai pas prétendre tout savoir de l'amour ?

‒ Je ne suis pas experte, affirme Laurène, le plus simplement possible.

‒ J'en doute fort, réplique Clara en la regardant droit dans les yeux.

Si je faisais le sous-titrage j'écrirais plutôt : « J'en doute fort, le peu que j'ai parlé avec vous m'a suffi pour vous faire confiance, et être totalement séduite. »

Mais ça, c'est ma version. La phrase de Clara était beaucoup plus courte. Cependant, je pense mon interprétation plus juste.

‒ Qui aurait envie d'écouter les conseils de deux lesbiennes ? je demande. C'est vrai, les gens ne sont pas assez ouverts d'esprits.

Les deux femmes ont les yeux écarquillés : j'aurais dû me taire.

‒ Tu n'es pas ouverte d'esprit, réplique Laurène en insistant sur le pronom personnel. Et depuis quand tu es lesbienne ?

Aie, ça fait mal. Mais c'est mérité.

‒ Je voulais juste te soutenir, je réponds.

‒ Je n'ai pas besoin de ton soutien, Louise. Si tu n'arrives pas à t'exprimer correctement à ce sujet, ne dis rien, s'il te plait. Tu ne connais rien des « autres ».

‒ Alors, apprends-moi, je réponds.

Clara nous ramène :

‒ Et les filles, le coaching ce n'est pas maintenant, d'accord ?

On acquiesce comme des gamines perdues.

‒ Je crois que je vais devoir refuser, ajoute Laurène. Je ne suis pas coach ou quoi que ce soit. J'aurais moi-même besoin d'en consulter un, dit-elle avec ironie.

Clara semble déçue. Mais elle m'a gagné comme alliée.

‒ ça peut être sympa, je lance en direction de Laurène. C'est juste une activité, rien de si sérieux que ça. Allez ! On va bien s'amuser ! Et puis tu m'avais promis que tu me montrerais à quel point on est des princesses. Mathieu n'était pas bon public. Alors tu n'as pas terminé ton travail.

Ok, je commence à m'emballer. Et ça ne veut rien dire. Mais je scrute sa réponse comme si j'étais une enfant demandant une glace.

‒ Tu l'as dit toi-même : personne ne veut écouter une lesbienne donner des conseils. Personne ne veut écouter une lesbienne tout court, réplique Laurène.

Je sais qu'elle ne croit pas un mot de ce qu'elle dit : elle s'assume beaucoup trop pour ça. Mais elle le dit pour me rappeler mon erreur. Je lui donne raison, parce qu'elle a raison :

‒ Tu l'as dit toi-même : c'est faux et je me suis mal exprimée.

Au passage, je goûte à ma revanche en faisant comme si Clara n'était pas de la partie.

‒ C'est vrai, tu t'es mal exprimée, elle en rajoute une couche.

‒ Oui, je me suis mal exprimée, ajoutai-je.

Un peu comme une couche de glaçage trop épais sur un gâteau. Faut arrêter d'en remettre par-dessus.

Mais nous rions. Parce que c'est nous. Et que sans-doute quelqu'un d'autre aurait eu ce délire, on se serait moquées. Mais là on savoure notre moment de complicité.

‒ Bon d'accord, s'esclaffe Laurène, vaincue. (Mais je vais lui prouver qu'elle est quand même gagnante : parce qu'on va s'éclater.)

‒ Merci, répond Clara. Je vais vous donner les instructions. Demain matin 8 h 00.

Quoi ?

C'est la cerise sur le gâteau. Sauf qu'elle est pourrie.

Laurène me lance un regard noir. J'aurais fait pareil à sa place puisque je ne peux pas me le lancer à moi-même.

Je hausse les épaules. Laurène se replie jusqu'à la chambre et je fais de même. Est-ce que nous venons de perdre une bataille ? C'est trop tôt pour le dire. Mais je n'espère pas sinon je porterai le poids de cette défaite sur mes épaules. Et franchement, ce serait trop lourd. 

Que pensez-vous de ce chapitre ? 

Les filles ont-elles bien fait d'accepter ?

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant