Laurène-007

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PDV Laurène

Je n'aurais

Jamais dû

M'embarquer dans

Cette fusée.

Voilà les premiers mots qui me viennent à l'esprit lorsque le chauffeur me demande mon prénom. Il porte un costume gris et le gel est appliqué avec soins dans ses cheveux bruns. Ça annonce la couleur : belles tenues exigées. Heureusement je ne pense pas être en reste avec le cuir comme seconde peau. Je vois bien que j'ai tapé dans l'œil de monsieur le chauffeur mais il va devoir renoncer immédiatement à ses rêves. On ne joue pas dans la même catégorie.

Je n'ai pas le temps de prendre la température que deux personnes attendent derrière moi. Je ne vais pas les faire attendre, j'ajuste le bas de ma robe et file tout droit jusqu'au fond du véhicule. Oui, je file tout droit, même avec des talons hauts. Il faut dire que le métier de serveuse n'apprend pas qu'à servir, ou du moins pas dans l'établissement que je fréquentais : j'ai aussi appris à me faufiler avec une démarche souple et gracieuse entre les tables, avec des talons qui me grandissaient d'une dizaine de centimètres.

Tout à coup je reprends conscience des derniers événements qui me sont arrivés et réalise que je n'ai plus de travail. Tant pis. Tant mieux. Je ne sais pas.

Mais

Je ne regrette pas

De m'être embarquée dans

Cette fusée.

Je me dirige vers le fond de celle-ci, au moins, j'aurais une vue d'ensemble. Et puis ça m'a l'air plus confortable le fauteuil de cinq places au lieu de deux. Je passe discrètement une main dans mes cheveux (pour pas que les gens croient que je me prends pour l'égérie d'une pub l'Oréal, en plus de ma tenue je vais vite me faire cataloguer). Je souris à cette pensée car ce n'est pas moi : depuis quand je me soucie de quelque chose ? Il faut vraiment que je me ressaisisse. Ce n'est pas parce que je viens de perdre mon emploi à cause d'une conquête de trop que je ne vaux rien. Sur ce, j'élargie mon geste et me prend pour l'égérie en question, envoyant mes cheveux ondulés valser dans les airs. Ça fait du bien d'en avoir rien à cirer. Je souffle un bon coup et poursuit mon chemin.

Je ne fais pas vraiment attention ni à ma gauche ni à ma droite mais en face de moi j'aperçois une petite blonde aux yeux bleus qui semble dans une autre dimension. Surement qu'elle rêvasse. Je vois à sa tête qu'elle semble mitigée d'être ici. Mais ce qui m'intéresse pour le moment c'est la place qui se trouve à sa droite : au fond, à côté de la fenêtre, parfait pour qu'on me laisse tranquille. Je ne veux pas conquérir des cœurs, je veux juste voyager un peu, alors cette place sera idéale.

Je m'arrête net lorsque j'aperçois que MA place est déjà prise par une rousse aux yeux verts, franchement magnifique, mais pour l'instant je dois me tenir à mes priorités : c'est le territoire que je veux. Question de survie. Je dois être restée trop longtemps figée au milieu de l'allée puisque la blonde me dévisage la bouche entrouverte. Ok, plan de secours. Il faut agir et vite.

Je m'avance jusqu'à la jolie rousse, sans réfléchir :

Salut, improvisai-je.

Elle me scruta d'abord quelques secondes avant de répondre « salut » à son tour.

Je crois qu'elle me lance un regard en mode « pourquoi tu viens me draguer, on ne joue pas dans la même catégorie, d'ailleurs tu ne leurs ressembles pas, à elles. » Je soupire en pensant que je suis encore tombée sur une mademoiselle hétéro qui va me sortir dans deux secondes qu'elle aime les garçons comme si c'était l'évidence de toutes les évidences. Elle s'apprête à ouvrir la bouche mais je l'intercepte, certains diraient que je coupe la parole, c'est une question de points de vus. Heureusement la jolie blonde d'à côté ne prête pas attention à ma discussion avec sa voisine et parle avec l'autre fille à sa gauche.

‒ Dis, je ne voudrais surtout pas te déranger, avouai-je gentiment, mais en fait j'ai un problème...

Cette fois ses beaux yeux verts s'écarquillent et je poursuis :

‒ En fait, je suis malade à l'avant des transports...

Cette fois je crois que je l'agace mais je tiens bon :

‒ Il faut absolument que je sois tout au fond à droite, à cette place précise sinon je vais... vomir.

Je sais que ce n'est pas très crédible mais il me faut cette place et puis maintenant je suis lancée. Elle me répond :

‒ Tu sais, d'habitude c'est l'inverse, on est malade à l'arrière, m'assure-t-elle sans trop savoir si elle doit me prendre au sérieux.

‒ Oui, mais je ne suis pas habituelle...

Elle émet un petit rire franc et me cède la place, en allant se mettre plus proche de ses amis, visiblement. Au moins je lui ai évité d'être seule. Bref, oublions. Lorsque la jolie blonde à ma gauche tourne la tête je peux ressentir son étonnement. Apparemment nous attendons encore quelques passagers puisque le chauffeur est en train de savourer son café en buvant du bout des lèvres pour ne pas se brûler. Des personnes qui pourraient être mes grands-parents font leur entrée. Il n'y a pas d'âge pour être heureux, n'est-ce pas ?

Quelque chose me dit que les passagers suivants n'en sont pas. En effet, un homme à l'allure fière et neutre à la fois entre et s'arrête face aux voyageurs, sans rien dire. Une femme fait de même. L'homme porte un costume mauve avec une chemise d'un blanc éclatant. La femme porte un tailleur mauve, avec une poche cousue côté cœur et à l'intérieur se cache une rose rouge. Détail que je trouve très craquant.

L'homme âgé que j'ai remarqué plus tôt prend la parole de manière inattendue :

‒ Belle fleur madame ! lance-t-il.

Madame mauve le remercie d'un sourire très chaleureux. Ses cheveux auburn réchauffent les cœurs ainsi que ses yeux pétillants de la même teinte.

Contre toute attente, le papy s'enflamme :

‒ C'est monsieur à vos côtés qui à dû vous l'offrir !

Mais qu'est-ce qu'il fait ? Il tâte le terrain ou quoi ? Le regard de madame mauve, avec une rose dans la poche, s'embrase.

‒ Non monsieur, poursuit-elle avec politesse, je l'ai acheté moi-même et je l'offrirai moi-même.

L'aventure commence sur ce silence pesant. 

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant