Louise-036

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Je vois double. Il est dix-sept heures, la fin de notre petit Contrat à Durée Déterminée, et je vois double. La file est plus longue qu'à l'arrivée. Elle n'est plus en ligne droite mais se courbe vers la naissance des escaliers : à l'autre bout de la salle. Il y a une multitude de visages qui me sont inconnus, venus se greffer. Serait-ce une vision envoyée par le manuscrit que je n'ai pas encore commencé pour m'inciter à ajouter de nouveaux personnages dans la vie de Candace ? Non, ces gens sont bel et bien réels. Mais trop tard, c'est la fin de l'atelier. Ce sont sûrement des résidents de l'hôtel, curieux, et ils ont bien raison.

En même temps GRAVITATION a envahit les lieux. Et pour le moment, GRAVITATION, c'est nous. Je ne me sens pas responsable de ce succès. Le mérite revient à Laurène. Il n'y a pas besoin d'un radar hyper sophistiqué pour capter ses ondes de confiance, elle est comme un aimant. Elle est à la fois franche, et chaleureuse, ça attire.

Je me sens privilégiée du statut que j'ai par rapport à elle. Parce qu'elle est mon amie, pas ma coach. Et parce qu'elle m'écoute dans l'intimité. Je l'ai même embrassé ! Enfin, ELLE m'a embrassé. Je viens de me rendre compte qu'il manque deux lettres à ce mot pour former un autre mot un peu plus désagréable : emb(AR)rassé. Est-ce toujours dans ce sens que ça fonctionne ? Un baisser, puis l'embarras. Du moins à la naissance d'un lien ? Est-ce un complot grammatical ? Oui, je m'égare. J'ai envie de recommencer, je veux que nos lèvres se touchent parce que c'est le seul moment où j'ai eu toutes les réponses à mes questions. Puis plus rien. J'ai besoin de son contact.

‒ Louise ?

Laurène me tire par le bras pour m'escorter jusqu'à notre chambre, en semant quelques clients insistants. Une fois la porte refermée, je me laisse tomber de mon côté du lit.

‒ La rose... je gémit.

Est-ce que je suis obligée d'extérioriser toutes mes pensées ainsi ?

‒ Tu as parlé ? m'interroge Laurène.

‒ Non, j'ai couiné !

‒ Sexy !

‒ Je n'ai pas besoin de tes conseils ! je réplique mais j'aimerais retirer mes mots aussi vites qu'ils sont sortis.

‒ C'était une réflexion, je ne me permettrai pas de te conseiller alors que je suis moi-même perdue, répond-elle.

Je m'assois en tailleur.

‒ A cause de Clara ? je reproche. Et de sa rose ?

‒ A cause de toi !

Sa réponse me donne un coup dans le ventre, c'est la première fois qu'elle ne semble plus détachée, au contraire, et ça me fait peur. Je me tais, je ne suis pas prête à aller plus en profondeur dans notre discussion. Je ne veux plus de réponses, je ne veux rien savoir. Je veux qu'elle garde la rose, qu'elle pense à Clara, pas à moi. De toutes façons, c'est notre dernière nuit ensemble, à partir de demain soir on ne se verra plus. On se transformera en souvenir et « on » redeviendra « je ». Le silence qi suit n'est pas pesant. Au contraire, il est chargé mais léger, parce qu'il est voulu.

‒ Qu'est-ce que tu penses de l'idée de Jade, je change de sujet.

Elle est assise sur le rebord du lit, le regard dans le vide, et finit par se tourner vers moi.

‒ Pas grand-chose, ça peut être sympa, même si ce n'était pas nécessaire, pour moi en tous cas.

Je soupire.

‒ Rien n'est nécessaire.

Elle sourit.

‒ Et le baiser ?

Mon cœur se remet à tambouriner.

‒ Quoi le baiser, je demande.

‒ Il était nécessaire ou pas ?

Je baisse les yeux.

‒ Il était vital, je réponds en déglutissant. Comme la rose.

Elle se tend, en même temps que son sourire s'élargit.

‒ Je peux te donner un conseil, dit-elle en riant ?

Je fais la moue.

‒ Certainement pas.

Je crois les bras.

‒ Oublie la rose, mais pas le baiser, elle répond quand même.

Je l'attire vers moi, nos cœurs battent à l'unisson, nos fronts se touchent mais pas nos lèvres. Je conserve cette proximité pour chuchoter :

‒ On doit se préparer.

Ses yeux rencontrent les miens.

‒ Pourquoi, elle demande.

‒ Le dîner de ce soir.

Et je me lève, laissant nos souffles s'éloigner, j'ai transpiré dans ma tenue, je dois me changer. Laurène se laisse tomber sur le dos, les bras croisés sous sa nuque.

‒ Je vais prendre une douche, j'en n'ai pas pour longtemps, je m'écrie depuis la salle de bains.

Je n'attends aucune réponse et laisse l'eau se répandre de mon visage jusqu'à mes pieds. J'ai envie de l'embrasser et la douche n'y changera rien. Mais est-ce qu'elle en a envie ? Je me sèche et me maquille. Je sors avec la serviette blanche de l'hôtel enroulée autour de moi. Laurène est sur son écran. N'a-t-elle pas envie de jeter un œil dans ma direction ? Ce n'est que lorsque je saisis la garde-robe qu'elle se redresse.

‒ Je ne sais pas quoi mettre, je dis.

Je sais totalement ce que je veux mettre.

Elle s'approche pour sortir quelques habits du portant.

‒ Cette robe t'irait bien, elle dit, en la positionnant sur moi.

En réalité, il n'y a plus que cette robe entre nous deux, nos deux corps.

‒ Je vais l'essayer, je dis, en tentant de respirer calmement.

Elle recule d'un pas et moi aussi. Je n'ai même pas regardé à quoi ressemblait la robe. Nous ne nous sommes même pas embrassées et pourtant nous sommes déjà embarrassées. Autant bénéficier aussi du bond côté, mais comme si elle lisait dans mes pensées, elle me devance. Laurène saisit ma main et m'attire contre elle. Mais je suis de nouveau en tête puisque j'embrasse la première. Nous sommes plus pressées que la première fois. Comme si nous devions rattraper un retard. Comme si nous avions un train à prendre. Et en effet, nous n'avons plus qu'une nuit et un jour pour nous aimer, puisque demain soir nous reprenons la fusée


Avis ? :)

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant