Louise-015

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11h00, lundi.

La fusée est toujours en panne. Nous sommes garés dans un parking pommé au milieu de rien du tout. Aucun véhicule ne circule. Et les habitations semblent plus vident encore qu'un pot de Nutella entre mes mains depuis trop longtemps : et ça il faut le faire. Le ciel est d'un bleu clair absolument absorbant, traversé par quelques nuages blancs.

L'épisode du vomi est presque refoulé. Et les deux ex ne parviennent toujours pas à formuler des retrouvailles : alors chacun plonge dans son téléphone. Il y a un calme général, provoqué par un épuisement : ce début de journée n'est pas banal. Ce n'est pas un vulgaire lundi qu'on accable de tous les noms. En réalité je pense que nous avons tous cette peur du lundi parce qu'il signifie la routine. Le manque d'envie. Et il n'y a rien de pire que le manque d'envie : c'est un symptôme violent et virulent qui peut tuer. Plus communément appelé dépression.

Mais si on y réfléchit : le lundi c'est le début de quelque chose. Le début des ennuis et des cauchemars pour la plupart. Pourtant on pourrait changer les choses : parce qu'un début ça reste un début. Une toile vierge, une page blanche. Et qui nous empêche d'en faire quelque chose de bien ? La peur. C'est toujours flippant de poser les premiers mots d'un roman et pourtant j'en connais qui ont fait des œuvres d'art.

Soudain une question vient me hanter de la tête au pied : est-ce qu'un coming-out est un lundi ? Je me demande comment je me sentirai, le problème c'est que je n'ai aucune originalité et que le monde peut être gay que je ne le serai pas : gaie. Ok, on me pardonne ce mauvais jeu de mot, si j'incruste ça dans un de mes romans je peux dire adieu à ma carrière avant même qu'elle ne commence.

C'est vrai, tout le monde en parle dans des vidéos, dans les livres mais je me demande comment Laurène a vécu la chose. Comme un lundi ou un vendredi ? Un cauchemar ou un commencement, un début ou une fin ?

L'a-t-elle simplement fait ? Je ne connais rien d'elle et elle m'intrigue. Et tout le monde (Garance) sait que j'ai un fameux penchant pour les intrigues.

‒ Laurène ? Est-ce que ton coming-out a été un lundi ?

Elle plonge ses yeux dans les miens et j'ai l'impression d'être décortiquée comme une crevette, comme si elle essayait de me creuser pour me comprendre : en vain.

J'ai aussi un penchant pour la maladresse... j'oublie quelque fois que les gens ne lisent pas dans mes pensées.

Ce que j'apprécie c'est que d'autre n'aurait même pas cherché à comprendre mais ce qui est inévitable c'est qu'elle se moque de moi :

‒ C'était un vendredi.

Et sans le vouloir elle vient de répondre à ma question. Et cette réponse me convient. J'aime mieux penser que ce fus tranquille, fatiguant au début et soulageant à la fin : un vendredi. Alors je souris, satisfaite.

‒ Donc, ça s'est bien passé ? soufflai-je.

De nouveau ce regard qui me détail.

‒ Je ne vois pas le rapport, poursuit-elle.

Je la regarde et je regrette d'avoir commencé à lancer le sujet. En réalité je n'ai peut-être pas envie de savoir. Mais maintenant que je suis lancée...

‒ Bah si on part du principe que tout le monde déteste le lundi et attend le vendredi, le vendredi est un bon jour... (ma théorie s'essouffle au fur et à mesure que les mots sortent) donc : ton coming-out s'est bien passé !

Je rougis à cette conclusion que je n'ai pas le droit de tirer.

Son regard s'assombrit quelque seconde, et, comme si le soleil avait chassé les nuages noirs, elle éclate de rire.

‒ Ecoute Louise, si tu n'as pas envie d'entendre ma réponse, ne pose pas la question. Je vois bien que tu n'arrives même pas à formuler clairement ce que tu veux me dire alors... me conseille-t-elle d'une voix calme et posée.

Je frémis : j'aurais dû me taire.

Avant qu'un silence ne s'installe, Laurène reprend :

‒ Tout ce que tu as à savoir sur le coming-out c'est que ce n'est pas l'amour qui brise les cœurs : c'est l'ignorance.

Cette phrase me glace l'échine.

Pourquoi est-ce qu'elle me dit ça ?

‒ Et tu fais ce que tu veux de ce que je viens de te dire, me lance-t-elle. Il y a des assassins partout autour de nous. Nous en sommes peut-être nous-même : va savoir. Les gens élèvent leurs petits dans la haine et l'ignorance et ils en font des méchants qui portent nos visages. Et qui nous empêchent d'avoir des enfants par peur qu'on les élève mieux sans doute.

Je sens le sarcasme et surtout l'engagement qu'elle a envers l'égalité et ça m'embaume d'une carapace de confiance. Je l'écoute avec attention. Les yeux rivés sur ses pensées matérialisées par sa voix.

‒ Tout n'est que complexe d'infériorité, finit-elle.

Je suis aussi rassurée de ne pas être la seule à faire tout un tas de théorie sur le monde. Mais j'avoue que la sienne m'a convaincu : bien plus que le théorème de Thalès et que toutes les mathématiques de la Terre.

Après tout nous sommes dans une fusée, ce n'est pas pour avoir des pensées écrasées sur un sol en goudron. C'est pour les laisser toucher les étoiles à base de rencontres inattendues.

‒ Mesdames et messieurs (quoi encore Christian ?!) J'ai le privilège peu privilégiant de vous annoncer que nous sommes encore bloqués ici une petite heure. Et l'honneur de vous informer qu'une fusée de secours va venir prendre le relais afin de nous assurer le meilleur trajet possible.

Des « il était temps » et des « merci » fusent.

Je me dis que pour Candace, c'est aussi lundi. Et un dimanche pour Mathieu : un chapitre s'achève.

‒ Tu n'as pas répondu à mes plaintes, s'indigne Laurène.

‒ Excuse-moi, j'ai été coupée par ce mal poli de chauffeur. Bah je vais te répondre maintenant si ce n'est pas trop tard.

Elle rit doucement et m'incite à poursuivre. Je fais mine de réfléchir, l'index sur le menton :

‒ Hm... Je dirais que tu es plutôt intelligente pour une fille sexy : je ne savais pas que c'était compatible !

Elle me lance un coup de coude (qui me fait mal dans les côtes mais je ne dirais rien. O ma douce fierté.) Cependant le rire l'emporte et je me plie (de douleur) et de rire en même temps qu'elle. Avant qu'elle n'ajoute :

‒ Est-ce que tu viens de dire que je suis sexy ?

OTHER GIRLS 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant