𝐒𝐄𝐄𝐒𝐀𝐖 | ʲʲᵏ⁺ᵏᵗʰ

SOIXANTE-QUATORZE

16h27.

La tête adossée contre la fenêtre, la vitre avait pris une couleur grisâtre tant elle était sale. Mais à vrai dire Taehyung n'y faisait pas attention, les yeux perdus dans le paysage qui lui faisait face, le châtain pensait à tout. Absolument à tout, sauf au cours qui se déroulait dans la salle. Assis sur une des tables qui comblait le fond, personne ne l'avait approché. Et c'est bien à ça que Taehyung n'arrêtait pas de penser, totalement obnubilé par cette simple idée. L'après-midi avait été particulièrement calme, bien trop calme par rapport à ce dont il était habitué. Personne ne l'avait ni bousculé, ni insulté. Rien, que dalle, pas le moindre petit pic ni ne serait-ce qu'un mauvais regard. Aujourd'hui et pour la première fois depuis si longtemps, Taehyung n'était rien d'autre qu'un jeune garçon de son âge. Un adolescent tout ce qu'il y a de plus normal, banal, totalement insignifiant.

"Insignifiant".

Taehyung avait du mal à simplement y croire tant c'était imprévu, inattendu. Aussi soudain qu'inespéré. Pour la première fois depuis des mois il pouvait marcher sans se faire rentrer dedans, prendre la parole sans se faire provoquer, aller où bon lui semble sans que rien ne lui soit demandé, dicté, imposé.

"Inespéré", oui, c'était le mot.

Et Taehyung savait très bien qu'il devait ça au brun, ou du moins à son autoritaire influence. Bien sûr qu'il le savait, il le sentait, et puis c'était bien trop évident. Mais il ne voulait pas y penser, il voulait arrêter d'y penser. Il voulait penser à tout sauf à ça.

Et au final il ne faisait que penser à lui et à tout ce qu'ils s'étaient dit.

Il ne blâmait pas ses propres mots mais les regrettait en même temps. Il ne reprochait rien à ses propres gestes mais les déplorer au même moment. Tout était si contradictoire dans sa tête. Il voulait autant s'excuser que ne plus jamais lui reparler. L'insulter et se jeter dans ses bras. Le fuir, le suivre. L'attaquer, le protéger. Le blâmer, le rassurer. Le gifler, l'embra-

Taehyung devenait dingue.

Dingue de trop de questions, dingue de trop de réponses. Il pensait à trop de choses alors qu'il ne voulait plus penser à rien. Il voulait juste avoir un peu de répit, pouvoir se reposer, fermer les yeux quelques secondes... La tête toujours adossée contre la fenêtre, le châtain pensait à tout, absolument à tout. Et à travers tout ce va-et-vient de pensées variées il ne put s'empêcher de penser à ça. Comme une quelconque réponse à ses problèmes, comme une énième solution, comme une issue de secours, un plan B, un plan C et un plan pour tout le reste de sa vie.

Partir.
Partir pour de bon.

Il n'avait qu'à se pencher, enjamber la fenêtre. Simple, rapide mais surtout infaillible. Il n'avait qu'à se pencher un peu plus, et la gravité ferait le reste. Une courte chute mais sans aucun doute mortelle, une chute qui lui semblait si facile et si simple qu'il ne pût s'empêcher d'y penser plus sérieusement. À peine une minute, oui, juste quelques secondes, mais l'idée lui avait bel et bien traversé l'esprit et ça lui faisait peur.

Pas de partir, non, mais de rester. On dit qu'il faut du courage pour en finir, mais la vérité c'est qu'il en faut bien plus pour continuer.

Survivre.
C'est ça qui est compliqué.

Survivre dans un monde jonché de détours et d'obstacles incessants. Survivre dans un monde qui semble si vaste que l'on a peur de s'y perdre, de ne pas y trouver sa place. Ou au contraire qui semble si petit, si infime, qu'on a peur de se faire prendre, bloquer dans un coin, écraser entre deux murs. C'est dans ce monde identique et pourtant si différents aux yeux de tous qu'il faut naître, marcher, courir, tomber. Tomber parce que tout le monde doit passer par là, tomber pour se relever et même s'il faut ramper pour ça.

Mais surtout c'est dans ce monde si cruel qu'il faut trouver quelqu'un, quelqu'un d'aussi perdu que nous mais qui nous aidera à moins l'être. Quelqu'un, une personne, n'importe qui et qui, avec le temps, deviendra une des parts les plus importante de notre vie.

Un parent, un frère, un ami, un amant. Que de noms différents pour le même sentiment.

Et plus Taehyung y pensait plus ça devenait clair à ses yeux. Lui, il avait eu la chance de trouver cette personne. Mais surtout il avait eu la chance, malgré tout et à jamais, d'en avoir trouvé deux. Deux amours si différents et pourtant tout deux infini, absolu, éternel. Et Taehyung ne pouvait le nier, il ne pouvait plus le nier à présent. Et il devait affronter cette vérité, Jungkook avait raison, il devait tout assumer pour pouvoir un jour, arriver à être heureux. Et il était prêt pour ça, aussi prêt qu'il ne pourrait l'être. Il était prêt à affronter celui qu'il avait trouvé dans cette terrible réalité qu'est le monde, cette personne qui le faisait se sentir moins seul. Mais surtout celui qui avait été si important à ses yeux et qui, au fond, l'était encore.

Il en avait marre de survire, maintenant il voulait vivre.

Il était prêt, prêt à être heureux.