𝐒𝐄𝐄𝐒𝐀𝐖 | ʲʲᵏ⁺ᵏᵗʰ

QUATRE-VINGT-SEPT

Il devait être tard, très tard, à tel point que Namjoon ne savait même pas quelle heure il était alors qu'il s'extirpait finalement de la maison du châtain. Les jambes flageolantes, comme instables, les rues qu'ils traversaient étaient complètement désertes alors que le ciel de cette nuit sombre était à peine éclairé par quelques étoiles. D'infimes petites boules de feu qui semblaient guider les pas du blond, comme un destin, une destinée, quelque chose auquel il ne pouvait plus échapper.

Il savait exactement où il devait aller.

Alors il continuait de marcher dans ces ruelles isolées et si vides qu'elles semblaient abandonnées, comme paralysées, figées dans le temps. Il continuait de marcher en trainant des pieds, faisant alors résonner le même bruit à chacun de ses pas, le bruit d'un glissement, d'un ripement, comme s'il trainait son propre corps derrière lui. Ou plutôt c'est comme s'il trainait le corps de celui qu'il avait été et de toute la vie qu'il avait eue. Trainant derrière lui ce qu'il avait perdu, détruit, tué. Oui, voilà, il trainait derrière lui ce qu'il avait abattu de sa propre main. - Assassin.

Et que c'était lourd, beaucoup trop lourd. Comme l'accablant, l'écrasant de toute part, l'étouffant un peu plus à chaque nouveau pas. À tel point qu'il savait qu'il n'aurait bientôt plus la force d'avancer, de simplement continuer. Mais ce n'était pas grave. Il n'avait pas besoin d'aller très loin, non, il avait juste besoin d'aller assez loin.

Et il savait exactement où il devait aller.

« Où il devait », oui, comme une obligation, comme un devoir. Comme si chacun de ses actes et chacun de ses choix l'avaient mené jusque-là, sur ces pas, sur cette route délaissée, désolée, solitaire. Une route qu'il avait déjà traversée, et dont il se souvenait parfaitement. Comme tatoué sur sa peau, imprégné dans ses veines, gravé dans sa tête.

Une route qui s'arrêta finalement, le laissant face à ce parc qui provoquait en lui tant sentiments, tant de peine mais surtout tant de haine. Une rancœur qu'il éprouvait envers lui-même, ce sentiment tenace qui refusait de partir, cette amertume profonde, cette honte amère. La honte de ne pas avoir réussi à aller jusqu'au bout. Oui, il se retrouvait une nouvelle fois dans ce parc, mais cette fois-ci ce n'était plus pareil. Il avait tout perdu, pour de bon, pour de vrai et il n'avait plus rien à perdre.

Alors cette fois-ci il irait jusqu'au bout.

Et c'est dans cet optique bien trop funèbre qu'il s'était alors dirigé vers le fond de ce parc, parc qu'il aurait tant aimé ne plus jamais revoir. Et puis il était tard, tellement tard, que tout semblait plus sombre, encore plus sombre que l'était son propre cœur et chaque pensée de sa tête. Et puis, pas après pas, il avait fini par rejoindre ce grillage rouillé qu'il avait escaladé à peine quelques jours plus tôt. Ce grillage qui avait laissé quelques éraflures mal cicatrisées sur sa peau. Des cicatrices qui, bientôt, ne seront rien en comparaison de l'état de son propre corps.

Il escalada le grillage.
Avança vers cette gare, vers ces rails.

Et il se demandait, ou plutôt ne pouvait s'empêcher de se demander si ça ferait mal. Peut-être que le choc sera si violent et si brutal que tout deviendrait néant et qu'il ne sentirait rien. Comme un claquement de doigts. Ou peut-être qu'au contraire, il sentirait tout dans les moindres détails. Et peut-être que tout sera si douloureux qu'il n'arriverait pas à le supporter, priant pour pouvoir remonter le temps, changer son sort, sa destinée. Lacéré, déchiré, éventré, peut-être même démembré vivant. Il ne savait pas comment ça allait se passer, il savait seulement qu'il allait le faire.