Vampiris Sanguinare T1 | y.seok - n.gi

16.

Yoongi se réveilla bien avant l'aube. La joue contre le bois rêche de la table, il avait ouvert les yeux sur la grande salle de l'auberge, plongée dans la pénombre. Contre son flanc, il sentait encore le fantôme de la chaleur du feu. Il se redressa, les muscles noués, mais le corps et l'esprit aussi reposés que s'il avait dormi dans un lit.

Néanmoins, il n'avait aucun souvenir de s'être assoupi ici. Pourquoi n'avait-il pas regagné sa couche, la veille ? Yoongi observa les autres tables vides et l'âtre dans lequel crépitaient encore quelques braises. Le silence était celui d'une fin de nuit.

Hébété mais en forme, Yoongi resta de longs instants à sa place, assis là sans rien faire. Puis il baissa les yeux pour contempler ses mains. Il sentait qu'il avait de la saleté sous les ongles et qu'une tache sombre avait séché au creux de sa paume. Son index gratta distraitement cet endroit, et la tache s'écailla. Il voulut frotter sa main contre son vêtement, mais il remarqua que lui aussi était couvert de petites salissures sombres. Yoongi sentit sa gorge se serrer. Le souvenir semblait lointain, tout comme la douleur qui paralysa ses pensées. Sa bouche était pâteuse et il sentait un arrière goût métallique au fond de sa gorge.

Yoongi se leva et débloqua le loquet. Il avait besoin d'air frais et se glissa dehors sans faire de bruit. Il n'y avait personne dans la rue, alors il se mit à marcher sans but. Ses jambes lui furent redevables dès les premiers pas; il les sentait se dégourdir et ça lui faisait du bien. Son dos également lui parut moins raide. Il s'engouffra dans la première rue qu'il vit. Il continua un bon bout de temps à errer, sans même songer à retourner sur ses pas. Il croisa quelques mendiants, recroquevillés dans des recoins sordides comme des devantures ou à l'abri sous des montants de portes closes. Certains tendaient la main en le voyant arriver, mais la plupart se ravisait après avoir vu son allure. À moins que ça ne soit à cause de l'arbalète qui pendouillait à son flanc.

Cardend, aux premières lueurs de l'aube, semblait être un tout autre monde. Dans une rue étroite et légèrement en pente, un cri résonna en hauteur. Par réflexe, Yoongi se réfugia devant une porte dont l'encadrement créait un abri. L'instant d'après, la rue fut aspergée d'eau croupie qui s'infiltra entre les pavés et dans les rigoles. En baissant les yeux sur lui-même, il remarqua l'état de ses mains à la lumière du jour. Elles portaient des traces de la couleur de la rouille, et il en était de même pour sa chemise délavée, qui n'avait plus la même allure que lorsqu'il l'avait reçu. Il ressemblait aux mendiants crasseux qu'il avait croisé.

Yonngi ne sortit de son abri que lorsqu'il eut cessé d'entendre l'eau pleuvoir dans la rue, au-dessus de sa tête. L'odeur infect l'incita à emprunter la ruelle la plus proche, afin de s'éloigner de ce quartier. En explorant plus avant, il espérait que personne n'allait encore crier au-dessus de sa tête avant de vider son pot de chambre sur les pavés. Il erra à nouveau, jusqu'à ce que la ville se réveille.

Mais, au bout d'un long moment de marche, il lui semblait avoir déjà tourné à cette bifurcation, sans pourtant reconnaître l'étalage de poissons frais juste ici, ni cette nouvelle ruelle qu'il n'avait pas remarqué auparavant. L'aube était maintenant loin et le commerce bouillonnait dans toutes les rues qu'il traversait. La ville avait aussi l'air d'être construite étrangement; les bâtiments, tous en pierre ou en bois, étaient si serrés qu'il était difficile de remarquer l'entrée des ruelles ou d'imaginer où elles menaient. Ce véritable labyrinthe rendit Yoongi très confus, mais aussi très inquiet. Et s'il se perdait ?

Ce n'est que lorsqu'il arriva à une autre bifurcation que Yoongi réalisa que c'était déjà le cas.

Il leva les yeux pour apercevoir la course de l'astre, mais les toits étaient trop rapprochés pour qu'il l'aperçoive. Il ferait mieux de retrouver son chemin rapidement et de retourner aussitôt à l'auberge. Ah, il n'osait pas imaginer la tête que ferait sire Jung s'il s'apercevait de son retard et, pire, s'il voyait son état désastreux ! Yoongi s'engagea dans une rue animée en jetant des coups d'œil nerveux aux mouvements de la foule. Il craignait de retourner sur ses pas et de perdre définitivement le sens de l'orientation.