12.

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Hoseok arriva au rendez-vous bien plus tard que la bienséance aurait exigé de lui en temps normal. Dans les couloirs, il ne pensa à rien et ce fut l'esprit vide qu'il toqua distraitement à la chambranle. Une voix de femme le somma d'entrer et, en pénétrant dans le petit salon, Hoseok s'inclina respectueusement. Les murs et les meubles familiers lui servir d'encrage, de point de repère. Sans savoir comment, il se rendit compte de son inattention et dès lors, il se dédia tout entier à la délicatesse et à l'élégance, abandonnant derrière lui son étrange humeur qui avait comme entaché sa journée.

Dame Maignory était installée dans un siège garni d'épais coussins brodés, près de la baie vitrée qui donnait sur les jardins de la cour. Ce petit salon, un parmi tant d'autres au château, se situait au rez-de-chaussée. Cet endroit était très fréquenté lors de la saison chaude, car son orientation faisait qu'il y avait de l'ombre tout l'après-midi et que la fraîcheur y stagnait. Néanmoins, dame Maignory s'y rendait en tout temps, puisqu'il s'agissait de son lieu favori. Il était d'ailleurs communément admis, à la cour, qu'il fallait son aval pour occuper cette pièce, bien qu'officiellement la totalité des lieux appartenaient au suzerain. Elle y prenait généralement le thé et y organisait des rencontres, auxquelles ses dames favorites étaient conviées. Il était bien vu d'y être invité.

Hoseok remarqua que ce jour-là, il semblait le seul invité. Ce n'était pas rare, puisqu'il faisait parti des favoris permanents, et ce depuis bien avant son adoubement. D'un signe de sa main baguée, dame Maignory autorisa le chevalier à approcher.

« Installez-vous donc, mon cher, dit-elle. Je vous ai beaucoup attendu, et le thé est déjà prêt.

– Mes excuses ma dame. Je me suis hâté autant que possible. »

La noble lui accorda un bref mouvement d'épaule, signe qu'à présent, le désagrément causé par son retard était presque oublié. Avant de s'asseoir sur l'un des fauteuils positionnés en demi-cercle, Hoseok servit le thé qui attendait patiemment sur un meuble d'appoint, accompagné de quelques biscuits secs aux noix. La noble devait avoir acquis un nouveau service récemment, car il ne reconnut pas les motifs ni la facture de la porcelaine. Ce n'était pas les mêmes que la dernière fois. Peut-être une oeuvre sur mesure d'un artisan akroirisien ou meihien. C'était assez exotique. En y songeant, il amena une tasse à dame Maignory, puis s'en servit une et s'installa de sorte à pouvoir alterner entre la vue du jardin et le visage de la femme. Les coussins lui parurent plus beaux que véritablement confortables, à moins que ça ne soit dû à ses muscles tendus.

La boisson ne dégageait pratiquement plus aucune vapeur. Malgré tout le chevalier s'appliqua à la porter à ses lèvres d'un geste courtois. Il ne désirait pas insulter la dame en paraissant rustre. Il croisa les jambes dans une tentative de paraître plus détendu et, sans vraiment oser la fixer, il observa dame Maignory du coin de l'oeil. Elle sirotait son thé parfumé comme le faisait toutes les autres dames de la cour. Seul son visage rude trahissait la douce et sereine image qu'elle dégageait. Les regards tombaient inévitablement sur l'unique bague à son doigt. Hoseok ne connaissait pas son âge, mais il la savait bien plus vieille que lui. Elle était déjà réputée à la cour lorsqu'il n'était qu'un écuyer. Elle qui était si bien apprêtée et si bien élevée, avait toujours été ainsi. Sobre mais délicate. Le chevalier ne l'avait jamais connu autrement. Cela lui plaisait, en quelque sorte. Ici, elle aurait été l'un des meilleurs partis de la cour si elle n'était pas déjà mariée.

« Vous semblez préoccupé messire, fit remarquer dame Maignory, d'un air propre à elle seule. Quelque chose vous tracasse ?

– J'étais simplement dans mes pensées, ma dame, répondit Hoseok en lui accordant un sourire poli. Veuillez m'en excuser. »

Elle balaya ses excuses d'un geste de la main. De l'autre, elle tenait sa tasse devant elle, au-dessus de sa robe épaisse qui la couvrait jusqu'aux pieds et frôlait le tapis. Un châle en laine couvrait ses épaules. Les pattes d'oies qui ornaient le coin de ses yeux rendaient son regard plus aiguisé, mais elle le détourna bientôt pour observer ce qu'il y avait au-delà de la baie vitrée. Hoseok était reconnaissant qu'elle n'insiste pas davantage. Chacun se mêlait de ses propres affaires uniquement.

« J'ai ouïe dire qu'une expédition se préparait, éluda dame Maignory, après un silence ponctué par le tintement de la porcelaine.

– Je crains n'avoir rien entendu à ce propos, ma dame, commenta à son tour Hoseok. La dernière en date ne fut guère... concluante.

– En évoquant cela messire, vous ne m'avez pas raconté votre périple. Comment fut votre premier voyage ? »

Hoseok adopta une allure détachée, comme s'il n'était pas très affecté par les sinistres événements vécus par lui et son groupe. Mais il ne réussit pas à chasser le souvenir distinctif de l'odeur de chair brulée et de la terre retournée.

« Rien qui ne sied à une dame de votre rang, louangea le chevalier. »

Il força un sourire sur ses propres lèvres, puis le cacha par la tasse qu'il porta à sa bouche. Dame Maignory accepta le compliment avec déférence.

« J'ai entendu d'horribles rumeurs vous savez, dit-elle néanmoins, décidée à s'aventurer sur ce terrain et à y entrainer son compagnon. On me dit que le peuple s'inquiète au sujet de monstres et d'atrocités. Une femme brûlée vive, quelle barbarie ! »

Hoseok offrit son air le plus compatissant. Il constata que les nouvelles circulaient vites, bien qu'il n'était pas étonné que la noble détienne ce genre d'information. Elle voyait beaucoup de monde, dans ce salon. Certains avaient des contacts avec la garde et une langue bien pendue. Il comprenait mieux les précautions que prenait le commandant Jeon. Hoseok se demanda si elle connaissait la teneur de l'interrogatoire du garçon.

« Un évènement fort regrettable, commenta le chevalier. Mais vous avez évoquez une nouvelle expédition... »

La femme reposa la porcelaine sur la sous-tasse, s'éclaircit furtivement la voix puis reprit la parole.

« Oh, je crains de ne pas pouvoir vous renseignez davantage, messire, dit-elle en souriant paisiblement. »

Elle laissa se faufiler entre eux un silence volontaire, qui rendit le chevalier particulièrement attentif mais aussi très curieux. Elle en savait plus, c'était certain. Mais comme un jeu, elle avait décidé de donner les informations qu'elle détenait au compte goutte.

« Il parait que la baie de Runde est très agréable en cette saison, ajouta-t-elle.

– Alors j'espère que j'aurais l'occasion de m'y rendre tout bientôt, ma dame, répondit Hoseok, qui avait compris l'indice. »

Dame Maignory esquissa un sourire en coin et, d'un geste élégant, enjoignit le chevalier à lui resservir du thé parfumé.

Vampiris Sanguinare T1 | y.seok - n.giOù les histoires vivent. Découvrez maintenant