10.

1.2K 189 4
                                    



Yoongi trouvait le ciel bien clair. Il se hâta de traverser la cour pour rejoindre les écuries; bien que l'astre se cachait derrière des nuages mouvants, dans un azur tristement terne, il avait comme l'instinct de le fuir. À moins que ça ne soit l'agitation de la basse-cour qu'il essayait vainement d'éviter. Il n'avait jamais vu autant de visages que durant ces derniers jours, et il les trouvait donc bien bruyants dans leur fébrilité si constante, si répétitive.

Les jours paraissaient se ressembler, et Yoongi n'avait pas recouvrer sa santé d'auparavant, même si les portions qu'on lui servait étaient bien plus consistantes et plus régulières que ce à quoi il avait eu droit jusque-là dans sa vie. Le coq chantait aux aurores, au sommet du tas de fumier, mais l'écuyer était toujours réveillé avant lui. Malgré tout, il attendait que les palefreniers se réveillent avant de se rendre vers Berte, qui lui dictait alors ses tâches du jour. Il y avait toujours à faire de si bon matin; nourrir les chevaux, les panser, nettoyer les boxes, descendre la paille et le foin. Ça l'occupait quelques heures, jusqu'à ce que les palefreniers se décident à aller manger. Yoongi allait avec eux, calant son rythme sur le leur. Sans ça, il était incapable de savoir s'il avait faim ou nom. Son estomac était capricieux depuis qu'il avait atterri ici.

Quand il n'y avait plus rien à faire aux écuries, Berte lui confiait des messages à faire passer ou des objets à livrer; les oeufs frais à Telma, qui en retour donnait les pelures de légumes pour les cochons ou des pommes impropres à la consommation pour les poneys. Ainsi passait une bonne partie de la journée. Et puis venait le crépuscule et la sérénité que cela amenait. La nuit couvrait toutes sortes d'étrangetés.

Yoongi cessa de rêvasser. L'air à l'intérieur de l'écurie était tiède et la poussière y était omniprésente. Le garçon sentit qu'il n'y avait personne dans les boxes davantage qu'il ne le vit, et en longeant les stables, son impression se vérifia. Il n'y avait que les chevaux. Certains s'agitèrent dans leur boxe lorsqu'il passa devant. Yoongi saisit un balais de riz et retourna instinctivement là où était installé sa paillasse. Il avait accumulé là quelques affaires; toutes données ou offertes pour services rendus. Des vêtements trop petits, recousus et raccommodés pour la plupart. Mais il lui manquait toujours quelque chose. Une chose que le chevalier Jung avait prit sur lui et qu'il n'avait pas rendu. Cette chose lui manquait comme si on lui avait retiré un organe; le trou restait béant, en attendant d'être comblé.

C'est à la broche que Yoongi songea en balayant dehors les cadavres de rats desséchés, empilés dans un coin comme si quelqu'un comptabilisait chaque mort avec soin.

[...]

Lorsqu'il fut sortit de son bain et vêtu plus confortablement, Hoseok alla jusqu'au dressoir, proche de l'unique fenêtre qui donnait sur la cour d'entrainement, juste devant le baraquement des gardes. Le meuble était placé là pour de bonnes raisons. C'était toujours un plaisir d'être délesté de son armure, de retirer bottes et arme et de pouvoir sentir son corps à nouveau libre d'absolument toutes entraves; il appréciait chaque instant où il n'avait pas à porter ses attributs de chevalier. Sur ses épaules, sa chemise de lin soigneusement serrée à la taille par une ceinture décorative, paraissait aussi légère qu'une plume et ses bottes beaucoup plus souple et plus élégante.

Ses mains nues saisirent le coffret finement ouvragé qui contenait toutes ses bagues. Il en extirpa plusieurs, qu'il tint dans le creux de sa paume sans parvenir à se décider. La broche de son écuyer trônait là, au milieu des luxueuses joailleries. Elle aspirait leurs éclats lumineux. Hoseok ignora cette anomalie apparente et fit rouler la chevalière de sa famille entre ses doigts, mais ne se décida pas à la porter. Il n'y avait pas d'occasion particulière, et Hoseok se demanda alors quand aurait lieu la prochaine festivité. La dernière en date remontait à son adoubement. Son regard se perdit dehors. Depuis la fenêtre, il voyait parfaitement le groupe de soldats qui s'entrainait. Deux par deux, l'un répétait des coups d'estoc tandis que l'autre esquivait. Leurs mouvements s'apparentaient à une danse bien réglée et lasse.

Hoseok reposa le coffret après avoir opté pour une bague en argent toute simple, sans le moindre ornement ni la moindre gravure. Il ne se souvenait pas de qui elle venait ni comment il l'avait eu, mais ça lui était finalement bien égal. Il glissa également la mystérieuse broche dans sa poche, sans songer un seul instant à la porter. Le chevalier quitta la fenêtre et vaqua dans ses quartiers. Il se complaisait dans ce silence, dans l'observation minutieuse de ce lieu familier. Le tapis épais, le parquet en pin sombre, son lit de plume et les imposants meubles sculptés. Il avait résidé ici depuis le début de son apprentissage, il y a des années de cela, tant est si bien qu'il connaissait mieux le château de son suzerain que le lieu où il était né et avait passé les premières années de sa vie. Malgré la position avantageuse de sa chambre, dont l'unique fenêtre était orientée sud-ouest, elle donnait sur le baraquement des gardes; une vue qui ne faisait pas partie des favorites. Les dames et les nobles de la cour préféraient les appartements qui donnaient sur le jardin de la cour intérieure, où ceux qui profitaient d'ouvertures à l'ouest ou au sud, car plus ensoleillés. Néanmoins, Hoseok ne s'en plaignait que peu. À présent chevalier, il passait moins de temps dans ses quartiers qu'ailleurs.

Le toc toc timide contre la chambranle fit se raidir Hoseok. Contrarié, il alla s'asseoir dans le fauteuil. Il croisa les jambes et, en prenant un air nonchalant, autorisa la personne qui venait l'importuner à entrer. Peut-être était-ce une servante qui venait débarrasser l'eau de son bain ? Une banale domestique du château se présenta. Elle se courba bien bas sous le regard distant du chevalier.

« Messire, dit-elle en fixant le sol. Dame Maignory vous demande.

– Dites-lui que j'arrive tout bientôt, assura Hoseok, l'air ailleurs, comme s'il avait oublié ou qu'il avait pensé pensé à autre chose. »

La servante se courba à nouveau et le chevalier se leva. Ce n'était toutefois pas pour se rendre là où il avait promis d'aller. Il ajouta, en faisant distraitement tourner la bague à son doigt:

« Dites-lui aussi que j'ai à faire avant, qu'elle ne m'attende pas avec trop d'impatience. »

Puis il fit un signe rapide de la main vers le paravent derrière lequel se trouvait le bac de son bain, à présent froid mais encore plein. Il fallait bien que quelqu'un le vide, nettoie et range tout cela.

« Voudriez-vous bien débarrasser cela avant d'aller porter ce message ? »

La domestique, qui ne pouvait décemment pas refuser, se courba à nouveau et Hoseok laissa donc sa chambre aux bons soins de la roturière. Il quitta les lieux le pas léger, une main nonchalamment enfoncée dans une de ses poches. Ses doigts effleuraient la pierre inconnue et rugueuse. Elle était froide sous son toucher, totalement inerte.

Vampiris Sanguinare T1 | y.seok - n.giOù les histoires vivent. Découvrez maintenant