23.

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Le commandant congédia le messager après lui avoir conseillé d'aller se rafraîchir la gorge aux cuisines. Dès que ce dernier eut disparu derrière la porte et qu'il fut à nouveau seul, il s'autorisa un court soupir. Un trait barra son front soucieux, alors que son index et son pouce lissèrent les poils drus de sa moustache.

Le commandant avait copié mot pour mot ce que lui avait raconté le messager, exactement comme il le faisait dans chacun de ses rapports. Et ce qui avait été dit était inquiétant, bien que très flou. Sans les rumeurs qui trainaient en ville et dans la région, il était bien difficile de tirer des conclusions de ce qui venait d'être rapporté.

Un village proche de Cardend avait été complètement ravagé; tous les paysans avaient été massacrés, et une poignée seulement avait réussi à échapper à l'étrange attaque parce qu'ils ne se trouvaient pas sur les lieux au moment des faits. Quelques gens, au retour de la pêche, avaient aperçus des cavaliers au triple galop quitter le village. Lorsque les pêcheurs y étaient retournés, ils n'avaient trouvés que les cadavres de leurs proches et les bêtes mortes. Ils avaient alors accourus jusqu'à la ville portuaire pour y trouver de l'aide, mais sans monture, ils n'y étaient parvenus que deux jours après les faits. Le temps que l'information parvienne aux gradés de Cardend et qu'on évalue la nouvelle comme suffisamment importante, il avait fallu deux autres jours pour dépêcher un messager à la capitale.

Le commandant, comme certainement d'autres avant lui, avait immédiatement pensé à une attaque de bandits. Mais quel genre de scélérat viderait un village entier de ses habitants en les massacrant ? Quel avantage y avait-il à cela ? Personne n'avait encore fait de rapport sur l'état actuel du village; on ne savait pas encore si les biens avaient été dérobés ou non. Quelque chose lui disait qu'ils trouveraient les biens intacts dans chaque maisonnée, si des pillards n'en avaient pas déjà profité à l'heure qu'il était. Malgré tout, un détail le dérangeait dans cette histoire macabre.

Les pêcheurs avaient aperçus des cavaliers. Si on laissait traîner ses oreilles dans les rues ou les auberges, on entendait alors des récits similaires faisant état d'une horde lancée au triple galop. Les rumeurs voulaient également que des orages monstrueux suivaient leur venue ou les accompagnait, mais de cela, le commandant n'y apportait que peu de crédit. Personne n'avait la puissance de plier les forces de la nature à sa volonté, sauf peut-être les mages...

Pensif, sire Jeon quitta son siège pour parcourir la pièce de long en large. Il songea à la bâtisse isolée, à l'homme mort et à ce miraculeux survivant, qui lui avait également parlé des cavaliers en y apposant un autre terme, plus grave encore que l'appellation de simple bandit ou de coupe-jarrets. Il n'osait pas faire le rapprochement.

Sire Jeon alla se rasseoir à son bureau, puis après avoir balayé du regard les feuilles éparses, il les rassembla grossièrement et les fit disparaître dans un de ses tiroirs. Puis il ferma l'encrier mais laissa traîner la plume dont le bec était entre humide. Ses doigts revinrent lisser sa moustache. Il jeta un regard en direction de la fenêtre, l'air d'évaluer le temps.

Actuellement, le garçon qu'il avait confié aux bons soins du chevalier Jung devait être à l'une de ses leçons. Il avait eut vent de la nouvelle par hasard, en entendant ses hommes discuter. Il paraissait également que le chevalier avait choisi un mage pour dispenser les dites leçons. Cette nouvelle avait fait bien plus grand bruit à la cour, si bien que le suzerain lui-même avait prêté une oreille attentive à ce fait. Ce qu'on racontait à son sujet se teintait déjà de méfiance, parfois de désapprobation de la part des anciens mais surtout d'une excitation fébrile qui agitait les nobles. Il n'y avait pas eu de mage dans ce château depuis des siècles. Le commandant se demanda d'ailleurs pourquoi sire Jung avait choisi un tel homme, dont le statut seul était sujet à controverse; simple hasard ou coup de théâtre pour épater la galerie ?

Vampiris Sanguinare T1 | y.seok - n.giOù les histoires vivent. Découvrez maintenant