La capote

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« Auprès de mes collègues je passe pour un crypto communiste, un stalinien. Mais je suis contre, oui, contre. C'est une connerie, la boîte de Pandore. On a pas encore les statistiques, mais on va voir..., ce ne sera pas bon, pas bon du tout».
Son médecin parlait de la Prep. Une pilule par jour et hop plus de capote. Virus barré à l'entrée. Gratuit alors que les capotes il faut les acheter hein! N'empêche, la Prép, le fric que ça coûte, et ça n'arrête pas le reste de la troupe, ces bestioles qui bientôt résisteront aux antibiotiques. Super ghonorée, syphilis, clamidiae et j'en passe.
Florent était prêt à le suivre sur ce terrain. Au début de sa vie sentimentale la capote n'était pas obligatoire mais recommandée. La syphilis c'était pas la mort mais il n'avait pas très envie d'une piqûre de pénicilline dans le cul. Il avait déjà donné à l'occasion d'une mauvaise fracture avec opération. Les infirmiers baraqués et pressés lui collaient la dose dans le cul en deux secondes et se barraient, le laissant cramponné à son lit pendant un quart d'heure, le temps que la douleur se dissipe.
En réalité pas besoin de capote à cette époque, il n'avait pas découvert les joies de la sodomie. Sexualité adolescente, fleur bleue. Plus tard des messieurs plus âgés que lui s'y sont essayé. Peine perdue. La douleur, rien d'autre. Et la trouille déclenchait une ejaculation précoce. Fin de la partie. Pourtant ils insistaient, tant leur envie était pressante. D'ailleurs il ne se souvenait plus quand, pour lui, avait commencé l'usage de la capote. En 1982 où 83? Il avait rencontré un garçon magnifique, un gymnaste, grand, carré, et gentil avec ça. Où? Dans la rue sans doute. Ce jour là, il ne pouvait pas l'emmener chez lui. Il occupait un grand appartement, avec son mec, Cour des Invalides, une adresse qui avait impressionné Florent. Certes son mec n'était pas là mais il avait décidé d'héberger un ami de passage et ce dernier pouvait débarquer, raconter ce qu'il avait vu, il n'avait pas confiance, et il ne pouvait pas emmener Florent. Alors ils s'étaient seulement promenés, ils avaient marché ensemble dans les rues de Paris. En passant devant une pâtisserie le garçon lui avait acheté une tarte aux fraises. Florent se souvenait encore de cette tarte aux fraises luisantes, confortablement assises sur leur lit de crème pâtissière étalée sur une pâte sablée. Puis ils avaient marché encore. Il devait faire beau, ce devait être le mois de mai ou juin. Ils avaient longé la Seine, puis traversé le pont Alexandre III. Et là Florent avait craqué, il n'en pouvait plus, il l'avait supplié de l'emmener chez lui. Ils étaient juste à côté et le garçon s'était laissé tenter. Il avait une chambre à lui, avec un petit lit, et il avait fermé la porte. Florent s'en souvenait parfaitement, il n'avait pas mis de capote. Ce devait être la première fois qu'il pénétrait un garçon. Mais ce fut un fiasco car l'intéressé avait peur que quelqu'un débarque. Et en effet un plombier, ou un électricien à sonné à la porte. Au lieu de le laisser entrer pour faire ce qu'il avait à faire il lui a dit qu'il s'était trompé d'étage. Il l'a envoyé à l'étage au dessus. Naturellement le type est revenu, il a sonné de nouveau. Nouvelle angoisse. Le fiasco. Florent s'est retrouvé dehors et a longtemps regretté de n'avoir pas su attendre le moment propice.
Après cette date il n'avait plus pénétré un garçon sans capote.
Elles étaient apparues dans les boîtes à baise, c'est à dire les saunas et les bars dotés d'une back room. Elles étaient basiques mais solides et on les reconnaissait au fait qu'elles étaient financées par la publicité, à cette époque des réseaux téléphoniques, des numéros surtaxés sur lesquels on pouvait laisser une annonce et un numéro de téléphone sur lequel les mecs en chasse vous rappelaient. La capote est devenue obligatoire, universelle et ceux qui baisaient sans étaient considérés comme des cinglés, des suicidaires qui voulaient se détruire. Il y en avait dont l'estime de soi était trop basse pour refuser ce jeu de la roulette russe. Florent avait assisté à une scène dans ce genre, une nuit, sous les entrepôts de Bercy. Un garçon s'était fait entreprendre par deux salauds qui l'avaient baisé sans capote devant tout le monde. Tous les gars qui étaient là avaient regardé d'un regard médusé mais aucun n'avait osé intervenir. De quel droit et au non de quoi? Les deux lascars se sont barrés et le mec qu'ils avaient baisé était resté avec le pantalon sur les chevilles, traînant dans la poussière, cherchant à identifier le liquide qui lui coulait le long des cuisses. C'était du sang. La rencontre avait été violente.
Lorsque Florent est sorti de là il a croisé le type qui était allé retrouver les deux lascars, car il en voulait encore.
Elle réalité, même avec la capote, tout le monde était terrorisé. La fellation sans capote ne pouvait être exclue comme moyen de transmission. Naturellement personne ne voulait sucer du latex, et donc tout le monde flippait.
C'est après 1996 et l'arrivée des trithérapies que la capote a commencé à se gondoler.
Capote percée, capote trouée, elle avait bon dos la capote. Pourtant les fabricants avaient fait preuve d'imagination, ultra fines, à picots, à la fraise. Capote perdue...Florent se souvenait une fois, c'était dans un appartement de la butte Montmartre, la chambre était orientée au sud, éclairée d'une ampoule rouge. Ambiance de bouge, accessoires. Le mec était une connaissance de longue date. La capote était restée à l'intérieur. Il a fallu aller la chercher, ratatinée là dedans. Vous voyez bien, pas infaillible la capote! Le type était bien gentil, il ne disait pas non, pour la capote. Mais il n'était pas toujours discipliné sur le sujet. Une fois il avait indiqué à Florent qu'il était « chez son mec » et qu'ils avaient invité du monde, « des mecs clean », entendez que ce serait sans capote. « Tu veux nous rejoindre? ». Non merci! Ce qui devait arriver arriva. Six mois après, un an, deux ans peut-être, Florent apprit que son amant avait été naïf. Il s'était retrouvé à l'hosto après avoir perdu du poids. Les mecs clean ne l'étaient pas tant que ça, et lui, la dinde, avait pris leur jus dans le cul, sans trembler devant le jugement dernier, puis attendu benoîtement que la soupe se fasse dans ses entrailles. Le plaisir d'abord, la souffrance ensuite. Inconscience? Non, victime de la haine ambiante, transformée en haine de soi. Pas d'autre issue! Être une bête immonde et disparaître dans le trou des enfers! Enfin, naïf quand même. Le même l'avait avoué à Florent, un jour où ils avaient parlé de choses et d'autres. Il venait de retrouver un boulot, dans le marketing. Mais quelle déception quand il avait reçu le premier bulletin de paye. Pas du tout ce qu'il avait imaginé en signant le contrat! Le bougre avait confondu le brut et le net. Il en riait, mais jaune. Gentil le garçon, à se faire avoir à tous les coins de rue!
Bon, passons de la butte Montmartre à la Porte de Montreuil.
Le drapeau français flottait sur le rebord de la fenêtre, au quatrième étage. Il claquait ou pendouillait suivant s'il y avait du vent, ou non. Porte de Montreuil, immeuble en briques. La ceinture de PARIS, en briques. Premier code pour entrer dans le lotissement. Ensuite c'était plus compliqué : l'interphone sonnait directement sur le portable et le type décrochait, ou pas. Il fallait ressayer cinq minutes plus tard. Pas d'ascenseur, pas de nom sur les portes. Une fois Florent avait sonné à l'appartement du dessous. Un vieux était venu ouvrir. Savait-il ce qui se passait dans l'appartement du dessus?
L'appartement du dessus. Justement, une des premières fois la porte était entrouverte. Pas parce qu'on l'attendait. Enfin c'était plus compliqué. Le type lui avait bien demandé de venir mais il avait dû se tromper de numéro. Florent avait un peu poussé la porte, pour mieux voir. La scène! Des plus excitantes. Quand même, le type avait fini par se rendre compte que quelqu'un avait passé une tête et se rinçait l'œil gratis!
« Diable, le dernier arrivé n'a même pas refermé la porte! ».
« Non je suis désolé, ce n'est pas pour toi. Ils ont 25 ans, tu vois ils ont arrêté le plan. »
Florent venait de passer la cinquantaine, même s'il faisait moins.
Et en effet les mecs étaient vaguement en train de se rajuster.
Quelle émotion!
Sans rancune, il était revenu quand même, pour des plans plus adaptés. Quel rapport avec la capote? Justement, j'y viens, patience!
Il y en avait toujours, a disposition, pour tout le monde, comme dans un bouge. Ça devait coûter une fortune. Le type travaillait chez Durex? Non. Il y eut l'ère de gloire. Des soirées mémorables, vraiment réussies, un mélange savant, des garçons charmants, un savoir-faire étonnant. Aussi bien que les dîners de Nadine de Rothschild. Tout ce qu'il faut sur la table du salon: cacahouètes, noix de cajou, tomates cerises, chips au paprika, boissons sans alcool, tout! Naturellement un tas de fringues étalées sur le canapé, l'endroit n'est pas grand quand même. Pas de vestiaire, ça s'entasse, on range comme on peut, histoire de retrouver ses chaussettes après la fête. Dans la salle de bains les serviettes sont à disposition, fraîchement repassées. La douche est froide? Le ballon d'eau chaude ne peut fournir! C'est un tel défilé! La pièce à côté c'est autre chose, fenêtre occultée par un tissus, faudrait pas que les voisins d'en face puissent assister au spectacle. Privé, tout à fait privé! Mais vraiment charmant, avec de la couleur, des noirs, des arabes, des céfrancs de France, quel délicieux mélange! Et c'est dans cette chaleur tendre que Florent avait constaté les effets dévastateurs du déclin de la capote. Le maître des lieux, marocain, aimait la France et la capote, il ne transigeait pas là dessus. Tout le monde acceptait de bonne grâce. Il n'empêche, au fil des ans la moyenne d'âge des participants ne faisait qu'augmenter et ils étaient de plus en plus rares. La source s'est tarie, l'ambiance était morose. Le maître des lieux a fini par supprimer son compte sur les réseaux sociaux.
Une fois c'était vers la fin, dans la période du déclin de l'empire Durex, il n'étaient que trois à attendre, le nez rivé sur leur téléphone portable, que se présente l'invité tant attendu et qui finit par répondre qu'il ne viendrait pas. Le maître de maison, appelons le Tarek, se pencha à l'oreille de Florent.
« Passons à côté quand même, je crois que ça va le faire ».
Florent avait toujours été poli et n'était pas trop du genre coincé. Mais là quand même...le dindon de la farce. Jouer une partition qui n'était pas la sienne, à laquelle il n'était nullement habitué. Il n'a pas voulu faire le mauvais bougre. Mais deux qui lui passent sur le corps, le manche à balais jusqu'aux amygdales. Aïe , aïe aïe, non, pardon. Vengeance, revanche, vas savoir. En tout cas renversement comique, car le Tarek, la première fois que Florent l'avait rencontré seul à seul, qu'est ce qu'il avait pris! Mais précisément. Pas de témoin. Car devant les autres, pas question. Faut pas confondre! Très ouvert, mais en privé seulement. Tout le monde a ses limites, hein!

Gay Paris Où les histoires vivent. Découvrez maintenant