Visible, invisible

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Chauncey explique comment, à partir des années 30, les pouvoirs publics renvoient les gays à l'invisibilité. Non pas par une politique répressive directe mais au contraire en conditionnant le maintien des licences de vente d'alcool dans les bars au respect des bonnes mœurs au sein de ces derniers. Ainsi la police était assurée directement par les tenanciers ce qui réclamait beaucoup moins d'énergie aux pouvoirs publics. En conséquence certains bars étaient restés des lieux de rencontre et de socialisation pour les gays, mais à condition de respecter la règle de l'invisibilité.
Ce qui est surprenant, et d'abord pour l'hétérosexuel classique, qui se définit comme viril par opposition à l'homosexuel efféminé, c'est que le gay puisse être invisible sauf pour ses congénères.
L'histoire de Florent était celle d'une visibilité croissante avec des zones d'ombre et des tunnels obscurs. Il se souvenait parfaitement avoir acheté le premier numéro de Gai Pied, au kiosque à journaux de la gare d'Angoulême. Il avait tout juste dix-huit ans, en 1979. Visibilité. Il n'avait cependant pas osé le lire dans le compartiment, en compagnie des autres voyageurs, dans ce train qui le ramenait vers Paris. Au cours de ses études il n'avait pas osé révéler son homosexualité à ses amis, à part ceux qu'il avait rencontrés par hasard sur les lieux de drague. Zones d'ombres. Jeux d'ombres. Il ne faisait pas non plus d'effort pour donner le change, il ne voulait pas mentir.
Sa vie sentimentale ne pouvait être un sujet de conversation en famille. D'ailleurs, pendant longtemps il ne sût pas qui savait et qui ne savait pas. Les conversations avaient lieu derrière son dos et sur son dos.
L'entreprise semble le lieu éternel de l'interdit et du silence. Le consultant d'un cabinet de recrutement avait un jour demandé d'un ton mielleux à la patronne de Florent si l'homosexualité d'un candidat qu'il avait rencontré était un problème. Si cela ne se voit pas ce n'est pas un problème...avait-elle répondu. On ne peut mieux résumer l'injonction d'invisibilité. Et les noirs? Eux n'ont pas le loisir de devenir invisibles...Quelle chance ont les gays de pouvoir se tapir dans l'ombre! Non mais quelle blague!
Don't ask, don't tell était donc la doctrine. Heureusement cette doctrine de l'armée américaine a fini par être dénoncée. Enfin l'armée et la société reconnaissaient une tradition bien encrée mais jusque là cachée. L'absence de femmes pouvait rendre nécessaire le sexe entre hommes...La marine, l'armée, la prison. Demandez à Jean Genet. L'usine à fantasme. Journal d'un voleur: la maison de correction, la prison. Querelle de Brest: la marine.
Ce qui n'est pas dit, pas identifiable au-delà du cercle restreint, est moins grave. Mais plus soumis à l'arbitraire aussi. Point de salut en dehors du droit et des droits. Dans les États de droit évidemment. La visibilité et les droits sont les combats nécessaires et essentiels.
La visibilité oblige à l'effort, l'invisibilité est une excuse pour ne rien faire. Regardez le discours des entreprises sur la diversité : les homosexuels, quand ils sont cités, viennent en dernier, après les handicapés. Comme pour ces derniers les avantages ne sont pas clairs. Les avantages de la visibilité ne sont pas clairs. Il faut faire l'effort...beaucoup d'effort pour peu de récompenses...
Le problème de l'entreprise c'est qu'elle reste patriarcale et hétéronormative, dirigée par des mecs hétérosexuels virils dominants. Ils sont le modèle que vous devez suivre. Si vous ne leur ressemblez pas vous n'avez aucune chance. Quand vous arrivez dans l'entreprise ou vous considère par défaut comme hétérosexuel. Pour cesser de l'être aux yeux de tout le monde, il faut se déclarer à tout le monde, ce qui est évidemment une charge excessive, dans un contexte qui n'est pas accueillant. L'entreprise doit donc cesser d'être un monde de mecs pour les mecs. Une nouvelle fois le combat des femmes rejoint le combat des gays.

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