On vous le dit, on vous le répète, l'homosexualité n'est pas une maladie, n'est plus, enfin on s'y perd. On était malades, on est tous guéris? Pas de l'envie de baiser ça c'est sûr. Bien portants ou malades voire délinquants, ça dépend où. L'homosexualité, une maladie de l'occident? En tout cas une façon de désigner ce qu'on rejette, quitte à faire souffrir ses propres ressortissants. La bonne blague, mais Monsieur, il n'y en a pas chez nous! Cherchez les je vous y invite! Nations viriles contre nations de fiottes, entendez embourgeoisées. L'homosexualité est la dégénérescence des nations trop prospères. Florent l'avait souvent lu : en Inde pas d'homosexuels, donc pas de répression. Qu'est-ce que vous me chantez là? Et s'il n'y en a pas chez nous c'est bien une maladie de l'Occident. Pas une maladie? Bon admettons. La nation est à ce prix. La religion? C'est autre chose, j'y reviendrai. Un peu mélangé quand même. Les prêtes ne sont jamais loin du pouvoir ou de l'Etat, sauf quand ils sont interdits bien entendu. Chez Poutine c'est bien la nation qui est mise en avant. Florent avait fait le voyage de Saint Petersbourg en passant par la Baltique et Helsinki. Un de ses amis à Paris lui avait donné deux contacts sur place et il avait pu mesurer que la pauvreté ne favorise pas l'épanouissement affectif. Aliocha, à quarante ans passés , vivait encore chez ses parents, en lointaine banlieue, en dépit d'une bonne situation. Les occasions de rencontres étaient rares et il n'avait guère d'argent pour voyager. En raison d'un réseau de soins bien moins riche que ceux de l'Occident il pratiquait le sexe furtif et vivait dans la peur du Sida. Il s'offrait quand même quelques escapades en Turquie, en faisant le voyage en bus, ce qui devait être interminable, et cela semblait l'occasion d'écarts mémorables. Florent avait trouvé cela un peu étrange et assez dégoûtant. Son ami parisien préférait Aliocha à Serguei car il était « plus authentiquement Russe », contrairement à Serguei qui était « américanisé » à force de fréquenter les touristes. Serguei tirait ses revenus de là, il servait de guide pour les touristes qui avaient les moyens. Américanisé peut-être mais plus sympathique que son ami qui sentait le ranci à force de mariner dans la misère post soviétique. Florent s'en était aperçu à la fin de son séjour et c'était trop tard. À quelle époque? Florent avait un point de repère : c'était une année de canicule. En 2003, exactement. Il faisait 30 degrés sur les bords de la Baltique, dans les jardins de Peterhof, et sur les bords de la Neva, le long de la perspective Nevski. Les marins se promenaient torse nu. Florent avait failli tomber à la renverse. Nation virile ça ne faisait pas de doute. C'était avant que Poutine n'interdise de faire de la propagande en faveur de l'homosexualité. Si les gays avaient l'intention de faire peter le couvercle les voilà prévenus : il est assis dessus...et sur le reste bien entendu. 2020, Poutine est toujours là. Éternel chef d'Etat à façade démocratique. Il n'arrête pas de raffiner son petit système, bâti contre la démocratie. Faire bouffer les pauvres en les rassasiant de haine, de rancoeur, de jalousie, d'amour des valeurs russes, soi disant viriles et familiales. Des vieilles recettes indémodables. Un coup de cuillère incroyable! Comment il s'en sert de sa petite loi interdisant la propagande en faveur des gays? À merveille! Un raffinement extrême. Une combine parfaitement huilée entre la police et des groupuscules d'extrême droite bien glauques. Comment zigouiller une pièce de théâtre adaptée d'interviews de gays et de leur famille? Rien de plus simple. Je vous explique. Comme la pièce est interdite aux mineurs vous en faites rentrer un qui a l'air d'avoir l'âge requis, avec une fausse carte d'identité pour montrer à la caisse. Une fois la pièce en route vous organisez une descente de police qui commence par ruiner le spectacle. Le jeune spectateur sort alors sa vraie carte d'identité et la police met tous les acteurs, le régisseur, le caissier, les ouvreurs et ouvreuses en cabane. Garde à vue et interrogatoire serré pour infraction à la loi. Bien sûr cette plaisanterie tordante fait suite à plusieurs déménagements du théâtre, histoire de perdre un peu les spectateurs, pour des motifs divers: tapage nocturne, trouble de voisinage, démolition et reconstruction d'autre chose, que sais-je encore. Vous pensez que je divague, que j'invente? Pas du tout! Florent avait lu l'article à ce sujet dans The Economist. Heureusement il y a encore des reporters pour aller dans des pays scabreux, pour traiter des sujets scabreux. Des gays? Pas chez nous! Les fiotes ne survivent pas en dessous d'une certaine température. L'hiver leur est fatal. Sexe furtif sur les bords de la Baltique, ça existe encore? Eh bien oui ; pour les plus téméraires. Zut ! Il ne faut surtout pas le dire...
VOUS LISEZ
Gay Paris
Ficción GeneralGeorges CHAUNCEY n'a pas encore publié la suite de Gay New York. Le personnage de cette biographie a tant attendu ce deuxième tome. Il désespère. Alors il a écrit une histoire, sur le dos ce qu'il a vécu. Regard personnel mais aussi réflexion socio...