Florent avait fini par retrouver l'ouvrage de Foucault, caché dans la seconde rangée de sa bibliothèque. Les livres invisibles, oubliés, et enfin retrouvés. Deux tomes seulement. Où était passé le troisième? Jamais acheté? Perdu? Déplacé vers une autre rangée de la bibliothèque? En le rouvrant il se souvint n'avoir pas aimé ce livre. En le relisant il eut la même impression désagréable. Livre d'histoire, comme le suggérait le titre, ou livre de philosophie? Il fallait pencher pour la seconde hypothèse tant les faits, les sources étaient rares. La référence à des opinions tirait même vers le journalisme. Infamie! Le questionnement le raccrochait solidement à la philosophie. Mais quand le livre s'appelle histoire de la sexualité on ne peut qu'être frustré de ne trouver aucune référence aux rapports de police, aux minutes des procès, aux sentences, aux condamnations, aux sévices subis par les condamnés. Pas le moindre petit chiffre! Combien de Vespasiennes à Paris? N'y avait-il pas des fonctionnaires dédiés à ces édicules et qui tenaient des statistiques sur leur fréquentation? Braudel était capable de vous gratifier de trois pages en caractères serrés sur les délais des courriers entre PARIS et MADRID au XVIéme siècle, et là rien, pas un chiffre, pas un exemple, pas un fait réel.
L'homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu'elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d'androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l'âme.
La preuve? Une seule nous est mise sous le nez: un article de Westphal sur les « sensations sexuelles contraires » daté de 1870. Un monde sépare ces deux époques, avant, après. Vraiment? Cette affirmation n'est-elle pas d'abord ethno centrée? Je veux dire une réflexion qui parle de l'occident et exclut tout le reste? Car enfin bien des civilisations acceptent de longue date l'homosexualité avant le mariage mais au prix d'une mascarade qui laisse au sodomite le beau rôle et à l'inverti celui d'une femme de substitution, pour que la jeunesse se passe en attendant que l'homme retrouve pour la nuit de noces, une vierge à transformer en épouse.The third gender, the hidden history of wakashu. Où avait-il vu cette exposition? Toronto? Ottawa? Plutôt Toronto. Royal Muséum of Ontario ce devait être ça. Là c'était expliqué, ces relations codifiées entre des hommes et des adolescents de même sexe dans l'ancien Japon. Longue tradition. Les aides des samouraïs, puis les acteurs de Kabuki. Le théâtre et le sexe...Relation étrange. Déguisement, transgression, ce devait être ça. Bref toutes les civilisations recyclent cette question de l'homosexualité. Plus ou moins bien. Le Japon moderne? Les américains avaient dû jeter ça aux orties. Une hypothèse...Vu qu'à cette époque c'était pas bien vu chez eux. Pede, espion, communiste...Pas de ça. Un Japon moderne! Les pedes avaient perdu leur place. Pas bien grande vous me direz. Sortez de là, disparaissez! Donc Foucault nous parle de l'occident pas du reste. Vision philosophique, et philosophie occidentale. Dommage, on aurait gagné du temps à regarder par la fenêtre, juste la rue en face.
Florent ne se souvenait plus dans quelles circonstances, un dimanche soir, il avait ramené chez lui Daniel D. Ce dernier devait habiter Belleville, à deux pas de son appartement de l'époque et il avait dû le rencontrer dans la rue. Daniel D avait pris un verre chez Florent et ils avaient discuté un moment. Daniel D regardait Florent avec amusement car il avait deviné depuis longtemps le personnage sensuel derrière la facade sérieuse et intellectuelle qu'il avait croisée dans les locaux de l'association Aides. Son côté sérieux lui avait valu une mission confiée par Daniel D: aller évangéliser les travailleurs sociaux de la Région Champagne Ardennes concernant le droit des malades du Sida face aux institutions de santé. Florent avait rédigé une sorte de mémoire sur le sujet et il était allé le présenter dans un grand amphithéâtre plein à craquer. Loin d'être à l'aise il avait débité son discours le nez rivé sur son papier au lieu de regarder la salle comme il aurait dû le faire. Le mémoire en question traînait encore dans ses placards. Il n'osait ni le jeter ni le relire...
Florent était engagé dans le réel et le concret, ce qui valait pour la vie publique et la vie privée. C'était cohérent et surtout assumé. Pas de progrès social ni d'identité sans expériences et aventures! Daniel D devait être d'accord la dessus.
Le soir de cette rencontre, Daniel D lui avait raconté l'histoire loufoque d'un amant qui lui avait volé sa Peugeot 504 blanche, ce qui avait été évidemment source de fâcherie. Le même avait dormi sur le paillasson de Daniel D un soir où ce dernier avait refusé de lui ouvrir la porte. Était-ce avant ou après l'épisode de la voiture? Florent était incapable de le dire après tant d'années. Ce soir là Florent n'a pas parlé de l'histoire de la sexualité ni de Michel Foucault. Il n'a parlé que de choses ordinaires. Raté quelque chose? Vécu autre chose...il n'y a pas que les grandes choses qui sont fondatrices.
Histoire de la sexualité. N'empêche, Florent restait sur sa faim. On ne trouve pas tout sur internet, c'est une idée fausse. La profusion nous cache les choses les plus importantes, ou celles qui nous intéressent vraiment.Florent avait cherché une histoire de la sexualité écrite par un historien. Il avait trouvé dans un extrait de revue la mention d'un ouvrage de Jean-Pierre Poly, un élève de Duby, intitulé "genèse médiévale des sexualités européennes". Publication en 2003. Épuisé...Bref il fallait être chercheur et avoir ses entrées à la bibliothèque nationale pour lire ce genre de livre...En fouinant encore il avait déniche un produit substituable: les sexualités au moyen âge de Jacques Rossiaud, un autre élève de Duby. Bizarre d'avoir choisi le même sujet à quelques années d'intervalle. L'édition était de 2012. Naturellement lorsque Florent avait voulu passer commande il s'était emmêlé dans les mots de passe de son compte e-libraire et avait fini par jeter l'éponge...Quoi, il avait falloir l'écrire cette histoire? Parce que Wikipédia, pfff...A vous faire regretter l'encyclopédie universelle des années 70 qui menaçait de faire craquer vos étagères IKEA! Prenez l'article sodomie...une partie histoire, une partie pratique (on se croirait dans un magazine...). Et pour l'histoire...manque de références, sources non citées. Bref des approximations...l'affaire Deschauffour, un bien mauvais bougre qui fut occis en place de grève en 1726, après après avoir avoué (dans quelles circonstances et avec quels moyen?) avoir fait la traite de petits garçons pour toute sorte de pervers haut placés.
Le 4 janvier 1750, vers onze heures du soir, Jean Diot et Bruno Lenoir, s'enfilent en pleine rue, devant le 67 de la rue Montorgeuil, et sont surpris par le guet, suivi de la patrouille. Jean Diot a quarante ans et travaille dans une charcuterie, Bruno Lenoir à vingt et un ans et il est cordonnier. Chauncey aurait expliqué que ces deux là n'avaient nulle part où aller pour faire leur affaire. Leur désir soudain va les mener au bûcher, le 6 juillet 1750. Six mois pour expier...le tribunal eut la bonté de permettre qu'on les étrangle avant que les flammes ne commencent à leur dévorer les pieds. Le sieur Deschauffours avait eu droit à la même faveur en dépit de la noirceur de ses pratiques. La justice était bien clémente.
La révolution française va dépénaliser l'homosexualité. Flux et reflux. La religion, le clergé, qui s'en mêle, tout le temps. On peut avoir une vague idée....Mais une analyse sérieuse, la vérité sur notre histoire? N'y pensez-pas. Les minutes du procès du sieur Deschauffours sont disponibles sur le site de la BNF. C'est un manuscrit...Bon courage! Vous voulez connaître votre histoire? Allez-y, fouillez!
Alors, reprocher à Foucault d'être un peu pauvre du côté des sources? Certes, mais on se contentera des intuitions que les années récentes n'ont pas démenties.
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Gay Paris
General FictionGeorges CHAUNCEY n'a pas encore publié la suite de Gay New York. Le personnage de cette biographie a tant attendu ce deuxième tome. Il désespère. Alors il a écrit une histoire, sur le dos ce qu'il a vécu. Regard personnel mais aussi réflexion socio...