Florent, pour son troisième voyage en Islande, avait choisi la région des fjords de l'Ouest, non sans une certaine appréhension, à cause des histoires qu'il avait lues au sujet des pistes interminables, avec leurs nids de poule. Les quelques cinq cents kilomètres nécessaires pour faire le tour de la péninsule pouvaient se transformer en calvaire par temps de pluie...Mais son voyage démontra que ces inquiétudes n'étaient guère fondées car les Islandais s'appliquaient à transformer la chaussée à l'aide d'énormes machines qui se frayaient un passage au milieu des roches pour fabriquer des routes larges et goudronnées comme partout en Europe. Une fois il dut attendre derrière l'un de ces énormes engins qui était en train d'aplanir un tas de cailloux au milieu desquels son 4x4 finit par passer avec précaution tant l'ouvrage semblait encore meuble. Ainsi, le plus souvent la route était belle. Lorsqu'elle se transformait en piste réclamant l'assistance des quatre roues motrices c'était pour passer un col difficile d'accès. Alors la route réclamait toute l'attention du conducteur. Mais ce tour d'écrou supplémentaire avait d'abord pour effet de souligner la beauté des paysages de lave et de neige, avec des torrents qui dévalaient les pentes abruptes, des nuages couchés par dessus les montagnes noires et rouges, qui en se déchirant laissaient passer les rayons du soleil d'été, jetant sur le relief des taches dorées qui ne restaient qu'un instant. Les montées interminables vous amenaient sur le toit du monde, là où il suffit de lever les bras pour toucher le ciel, là où le vent circule si vite qu'il vous coucherait par terre. Et lorsque Florent reprenait le volant pour la descente, il avait devant lui un nouveau monde, immense et scintillant sous la pluie, avec des veines d'argent se jetant dans les fjords longs comme des épées de géant.
Mais la route et ses paysages n'étaient pas le seul plaisir. Florent avait repéré avec soin toutes les sources d eau chaudes paradoxalement fort nombreuses dans cette région de volcans éteints. Il suffisait de garer sa voiture, d'attraper une serviette et un maillot de bain qu'on pouvait enfiler dans une petite cabine et de plonger dans le bassin d'eau chaude alimenté par une source située a proximité. Le plus souvent un tuyau d'eau froide permettait d'ajuster la température si nécessaire. Ainsi on pouvait profiter de la source assez longtemps pour voir une ou deux fois les nuages chargés de pluie plonger vers le fjord en direction de la mer et vous verser sur la tête une bonne averse. Naturellement ces sources étaient l'occasion de rencontres diverses. Une fois des Suisses passèrent du bain chaud à l'eau glacée du fjord. Florent était assez téméraire et les aurait volontiers suivis mais il y renonça de peur de se casser la figure entre les rochers couverts de varech. Une autre fois il rencontra avec son mari, un allemand et sa copine qui voyageaient dans un de ces camping cars que l'on voyait partout, puis une fille qui était à pied avec un sac à dos, qui paraissait fort timide et qui ne leur adressa pas la parole bien qu'elle restât à tremper dans le bain chaud un long moment.
C'est vers le milieu du voyage que Florent fit la connaissance de Robert. Naturellement il lui était arrivé de le croiser dans quelques librairies. Il connaissait vaguement ses photos. Mais à vrai dire il ne s'en était jamais suffisamment approché comme si les sculptures d'ébène étaient le reflet d'un monde trop sophistiqué et précieux pour lui. Mais cette fois il s'approcha lentement du personnage, par l'intermédiaire d'une fille bizarre. C'est sans conviction qu'il avait emporté le livre de Patty Smith : just kids. Lorsqu'il commença la lecture, au bord d'un fjord, sur la terrasse d'une maisonnette qu'il avait louée avec son mari, alors que le jour commençait à décliner, ce fut une révélation.
Florent, qui connaissait uniquement quelques photos de Robert, découvrit qu'au début de sa carrière, Robert avait surtout créé des objets et fait des collages. Il y avait quelques rares photos dans cette édition de poche mais Florent trouva tout le reste sur internet.
Patti Smith explique dans son livre comment Robert recherchait le matériel pour ses collages qui comprenaient déjà des photos. Il s'agissait de photos pornographiques découpées dans des magazines. Ces photos re découpées étaient alors mises en scène sur un papier comportant aussi des dessins avec des symboles et des circulations, des figures géométriques, des couleurs assez douces, sans lutte avec le graphisme. Parfois la photo était traitée avec une sorte de cache qui venait par dessus, avec des découpes pour créer un rythme. C'était très original et Florent fut excité et même obsédé pendant plusieurs jours par ces collages quand il les a découverts. Déjà à cette époque les sujets explorés étaient violemment suggestifs. La provenance des photos, leur sujet ne faisaient aucun doute et ces collages exprimaient l'état de fusion jamais égalé entre l'art et le sexe alternatif. Le sexe entre garçons gravissait les plus hautes marches du podium de la civilisation en intégrant, en étendant, comme une verge en erection, le monde de l'art. Extension du domaine de la lutte. Cette extension devait culminer avec les pratiques les plus extrêmes et les plus trashs de l'homosexualité: les photos de fist fucking. Fist, double fist, corps élastique, malléable, offert au plaisir, au delà de ce que vous pouvez imaginer, ce plaisir vous étant offert comme œuvre d'art, l éternité à portée de vue . Alors le sexe n'est plus un art d'exécution, un art fragile et éphémère, le sexe est une œuvre d'art. Plus de symbole, plus de couleur, plus de dessin. Un décor dépouillé, quelques ombres et la vérité nue, celle du plaisir, mais pour aussi longtemps que dure votre regard, pour l'éternité. Car la vérité de l'art est si profonde que vous pouvez y revenir chaque jour, et que chaque jour l'œuvre vous glissera dans l'oreille une vérité neuve, que vous n'aviez pas vue la veille et qui sera différente le lendemain.Dans les nuits blanches de l'Islande Florent passa des heures à fouiller sur internet, à regarder les collages et les photos, y compris les photos de fleurs des derniers temps, quand le temps de l'éphémère se raccourcissait encore. Douleur de l'homme face à la mort, douleur de l'art quand la mort frappe à la porte. Car il y a tant à dire et elle veut le faire taire. Des fleurs abstraites mais qui sont encore des sexes, doux et caressants. L'abstraction n'exclut pas le sujet. Vous vouliez y échapper, le voilà de retour.
Robert, Robert! What's the fuck? Et voilà que derrière l'abstraction resurgit le sujet. Vous l'aviez perdu? Vous étiez dans les nuages? Vous flottiez entre deux eaux? Vous le prenez en plein poire! Reculez-vous, juste un peu. Alors vous verrez cette porte cochère humaine et ces deux poings qui la fouillent. Quelques poils, comme dans un estampe japonaise, pour faire plus vrai, pour faire plus cru. Sans vinaigrette, sans rien. Le sujet n'a pas d'importance? Je vous dis que si, et si vous me dites que non c'est pour me raconter la fable éternelle de la fin de l'histoire. Terminus, tout le monde descend, nous sommes au paradis. Mais non, pardon, c'est une idée de l'homme. Mais l'art est à la fois une idée et une vérité. Il vous fait voir ce que vous n'aviez pas vu, il vous apporte ce que vous n'osiez pas toucher, il fait couler vos larmes tant vous vous étiez trompé, il vous amène là où vous ne seriez jamais allé. Gericault vous apporte le radeau de la méduse, Robert vous met sous les yeux le plus trash des pratiques sexuelles du Gay New York.
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Gay Paris
Fiction généraleGeorges CHAUNCEY n'a pas encore publié la suite de Gay New York. Le personnage de cette biographie a tant attendu ce deuxième tome. Il désespère. Alors il a écrit une histoire, sur le dos ce qu'il a vécu. Regard personnel mais aussi réflexion socio...