La carte et le territoire

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La carte et le territoire. Gay New York, ce n'est pas par hasard. Rien à voir avec Annie Proux et Broke Back Mountain...pas la même histoire. Chauncey l'explique bien, la culture Gay c'est la ville. À cause de l'anonymat d'abord et la concentration ensuite. Combien on est? C'est une question bête, simplissime, mais personne ne sait répondre. Les mariages de même sexe ça oui, c'est le moins que l'on puisse faire, compter les Monsieur et Monsieur et les Madame et Madame. Même que la mention Madame était rayée à la main sur le livret de Famille lorsque l'adjointe au Maire l'a remis à Florent et son époux. Incroyable. Mais il n'y a pas que le mariage. Donc on ne sait pas. Des études de marché, oui, parce que là on parle de choses sérieuses, d'économie, de business. Les Dinks on sait combien il y en a. Mais c'est pas toujours des pedes les Dinks...Des enquêtes on en fait, parfois, mais là les embrouilles commencent. Pédé, demi pédé, quart de pédé, pédé occasionnel? Dites-nous tout, si vous en avez le courage, c'est pour une enquête. Gouine c'est pareil. Et comme l'affaire est un peu passée de mode on glisse vers d'autres territoires: LGBT et j'en passe. C'est pas les torchons avec les serviettes ça? Que du beau linge c'est pas la question. On perd le fil vous me direz. Et la géographie? Justement, dans géographie il y a la densité démographique. Il suffit de rajouter où à combien. Et c'est la densité qui fait la différence, Florent l'avait maintes fois éprouvé. C'est à cause de la géographie qu'il avait cessé de fréquenter les saunas. Ce n'était pas franchement sa tasse de thé les saunas, mais quand même, le dimanche, en plein hiver, il s'offrait parfois ce plaisir assez onéreux. Au début c'était les gens de Paris, pour certains presque des voisins, une clientèle polie, distinguée. Mais des lors qu'internet est arrivé on pouvait tout faire de chez soi, et gratuitement, pourvu que la densité soit suffisante, c'est à dire en habitant dans Paris. Mais pour ceux qui habitaient la banlieue il n'y avait pas d'autre solution que de se déplacer vers ce lieu de rencontre. Ainsi la clientèle du centre ville a déserté, largement remplacée par la clientèle de banlieue au train de vie moins luxueux. La tête de Florent, qui n'était pas un habitué, lorsqu'il s'est retrouvé dans les vestiaires avec des tatoués, causant mal la France et pressés de rentabiliser le temps du voyage et le ticket d'entrée! Florent n'avait qu'à peine passé les quarante ans mais s'est fait traiter de vieux lorsqu'il a mis l'orteil dans le jaccuzzi. Déjà qu'il n'appréciait pas tellement l'idée de s'enfermer avec un mec dans une cage à lapin pour baiser et préférait de loin les discussions collectives dans le hammam! Il était assuré de faire choux blanc avec cette clientèle mal embouchée. C'en était fini des escapades du dimanche rue des Bons Enfants.
Voilà pourquoi le progrès technologique n'est pas pour tout le monde.
La province c'est autre chose. La distance tout de suite. Rien à proximité. Florent avait connu un certain Antoine, expert en assurances à Niort. Il allait au sauna à La Rochelle. Une heure de route sans doute. Il aurait pu vivre à Paris, mais non, il restait là à cause de sa profession. Les soirées d'hiver étaient longues. Dans ce cas internet c'est pour se sentir moins seul. On peut tchater avec Rio, San Paulo, Houston, la Slovénie, l'île d'Elbe, que sais-je. Des fantasmes, des rêves. Comment c'était à la campagne il y a cinquante ou deux cents ans? Aucune idée. Aucun historien n'y est allé...
La Rochelle. Il y avait aussi l'esplanade, la nuit, les buissons. Florent y était allé, une fois pour rire. Un type l'avait suivi, poursuivi, aguiché, effleuré. Non pas question, il était là pour rire. Le type s'était fâché. "Tu vas voir, toi aussi tu vas en chier!". La vie de province, la cinquantaine, le bide et les bajoues. Plus baisable.

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