Tout est allé très vite. Un signe. Il était déjà tard. Ce devait être un dimanche soir. Rue de la Chine. Florent connaissait cette rue pour y être allé une fois. Ce n'était pas loin mais quand même. Il fallait vingt minutes environ en prenant le bus. Il eut une hésitation.
- je prends un Uber.
Un autre signe. Le type était pressé et décidé. Mais arrivé sur place il ne comprenait pas comment rentrer, le code, l'interphone, il n'y arrivait pas. Florent à du descendre le chercher. Il avait quand même franchi la première porte. Un grand noir en t-shirt blanc. Ils montèrent dans l'ascenseur. Florent savait qu'il fallait passer à l'attaque, tout de suite. Ne pas laisser de vide dans la conversation.
- t'es cho? Sans attendre la réponse il s'empara des pointes de seins qui pointaient sous le t-shirt, déjà étirés comme des pis de vache.
Abdou, c'était son prénom, se mit a couiner. L'affaire semblait bien partie.
Abdou était sénégalais. Lorsqu'il est arrivé en France il était marié (sous entendu, avec une femme, évidemment). Comment il a quitté cette dernière, ce qu'il en est advenu, comment et dans quelle circonstance il en est venu à fréquenter les hommes, l'histoire ne le dit pas.
Il travaillait dans un restaurant, à la cuisine, dans le quartier des Halles. Son patron avait imaginé de le mettre en salle, et à chaque fois que cela s'était produit, il en avait été très satisfait. Mais Abdou avait refusé cet arrangement qui aurait permis à son patron des acrobaties dans la gestion des horaires qui ne lui convenaient pas du tout. Il habitait Villiers sur Marne. Tiens, tiens...et que venait donc faire la rue de la Chine? Il avait dit:
« Je m'habille, j'arrive ». On ne se rhabille pas dans la rue n'est-ce pas?
Il avait raconté tout ça alors qu'il était encore assis, nu, sur le canapé en cuir gris. C'était pendant la descente. Florent s'inquiétait un peu, par ce qu'elle était lente, et que l'heure tournait. Il se demandait si Abdou n'avait pas l'intention de taper l'incruste. Mais non, il avait prévu d'aller dormir chez un pote à La Chapelle. Naturellement il allait prendre un Uber, mais pour l'instant il n'était pas en état.
« Tu comprends je ne prends pas un Uber dans n'importe quel état ».
Certains devaient refuser les mecs trop perchés qui ne trouvaient pas la poignée de la porte.
La situation devenait inconfortable. Abdou n'était pas capable de se lever pour aller prendre une douche.
Ça c'était la descente.
La montée fut redoutable. Lorsque Abdou est rentré dans la pièce principale il a posé son sac sur la table et il a sorti son attirail: une bouteille de j lube et surtout une petite seringue. Il a demandé s'il pouvait se slamer. Interloqué Florent a répondu oui, sans trop réfléchir, et Abdou a demandé où étaient les toilettes. En réalité il n'a même pas fermé la porte, juste tourné le dos. Florent ne comprenait pas. C'est après qu'il a demandé:
« C'est une intramusculaire? »
« Oui ».
Gros mensonge. Une fois qu'Abdou a eu le dos tourné Florent est allé vérifier. Intraveineuse...
Ce que voulait Abdou c'était une main dans le cul. Pendant la montée tout était possible. Il se mit en position. Son cul, ses hanches, ses épaules, tout était parfait et Florent se trouvait face à une sculpture de Robert Mapplethorpe. Son cul était serré, ce qui laissait penser que ce fantasme était assez nouveau. La drogue permettait de sauter les étapes. Et en effet, une fois la main barbouillée de gel, elle y entrait assez facilement.
Abdou criait de plaisir. Quand il se retourna il était au comble de l'excitation. Il regardait Florent dans les yeux, intensément, comme le diable en train de le posséder. Florent était dans le même état. Le coup partit, une longue giclée, incontrôlable, incontrôlée. Mais Abdou voulait une main, qui le fouille, qui l'empale. Il se contorsionnait pour que Florent s'enfonce plus profondément, franchisse le second sphincter et remonte dans le ventre. Florent passa ce barrage qui cédait et ses doigts trempés glissaient dans ce univers étrange. Il sentait maintenant, à travers la paroi, le haut d'une artère iliaque qui bondissait sous ses doigts, prête à peter, signe que le cœur était passé dans la zone rouge du cadran, que le moteur tournait à plein régime hors de contrôle. Ce type pouvait parfaitement lui claquer entre les doigts.
De face Abdou aurait du voir la vérité nue, celle de la différence d'age. Il l'a voyait mais il l'encensait, il la contemplait avidement. Pourtant, derrière le nuage de la came la mort était en train de lui fouiller le cul.La came faisait toujours ça. Miroir déformant. Les crapauds étaient changés en éléphants roses. Florent rajeuni de 20 ans, que dis-je. Appolon dans l'ombre fraîche du temple, l'aurige de Delphes. La vérité était tout autre: les joues creuses, la peau de cou qui commençait à se fripper. Botox? Non merci. Puisque les mecs se camaient pour lui. Qui leur vendait cette saloperie? Petite poudre blanche pour se poivrer le nez, jus d'orange magique, seringue pour aller au plus efficace. Une fois un mec s'était pointé déjà bien tard mais il avait poursuivi chez son vendeur de came. En se levant Florent avait trouvé un message sur son téléphone. "Je suis descendu du taxi Porte de Vincennes, j'ai marché, je vais mieux, je sens que mon cœur bat moins fort". Le type n'allait pas si bien...il s'était gouré de numéro de téléphone. Accident cardiaque, ça devait arriver. Pas de quoi pavoiser. Et le lendemain, ils se souvenaient? Ou pas? Ils pensaient toujours avoir baisé avec le prince charmant où ils réalisaient avec horreur avoir forniqué avec un crapaud? Il était rare que Florent les revoit une seconde fois. Une fois perchés ils manquaient tellement de discernement qu'ils sautaient sur le premier venu. L'araignée n'avait pas besoin de toile pour attraper la mouche, elle lui tombait dans les bras. Combien ça pouvait coûter? « Je fais ça une fois par mois ». Tu parles. Le médecin de Florent en était malade. Comme si la communauté n'en finissait pas de tomber dans les ornières. La came n'était pas un fait nouveau. Et d'ailleurs pas réservée à la communauté Gay. Puisque les autres copient tout...Ce qui était nouveau c'était son ubiquité, accessible partout, tout le temps. À la portée de chaque bourse. Se poivrer n'était plus réservé à une élite friquée. Les propriétaires des applis complices. En vente libre. En clair dans le titre des profils. Sans détour. Je livre à domicile. Vente couplée, bundle, assez souvent. Une passe et des stupéfiants. Consommateurs aussi? Va savoir! Et les grossistes? D'où vient la camelote? Qui tire les ficelles? Les flics en civil, il y en avait dans les bars de Harlem et de l'East Side. Pour piéger les tantes. Chauncey le raconte. Vers 1930. Mais là, qui fait la police? Personne. Qu'ils crèvent, qu'ils s'autodétruisent. On a déjà trop à faire avec les fichiers S, les banlieues en ébullition.
« Mais c'est quoi cette nouvelle mode de se camer »? C'est ce qu'avait marqué un des camarades de Florent sur son profil. Naïf, mais il avait bien raison de le dire. Estime de soi. Le bien le plus précieux. A conquérir, à reconquérir.
Dans la salle de bains le type le regardait avec des yeux de mulot brillant dans la nuit. Il racontait des conneries à Florent. Tu es beau, j'aime ton corps...des trucs dans le genre. « Tu as toujours la nausée »? demand Florent. « Oui, j'ai aussi pris quelque chose pour bander ». Ah, et en plus ça ne marche pas. Non...En plus de la came, pas trop prudent! Quel mélange. Le type était à Paris pour le weekend. La semaine il habitait en Normandie. « Où ça »? À Etretat. Tout d'un coup la rencontre devenait romantique. Évidemment à Etretat les occasions de faire des conneries devaient être rares. Paris permettait de se rattraper en rien de temps. « On pourra se revoir »? Mais certainement...
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Gay Paris
General FictionGeorges CHAUNCEY n'a pas encore publié la suite de Gay New York. Le personnage de cette biographie a tant attendu ce deuxième tome. Il désespère. Alors il a écrit une histoire, sur le dos ce qu'il a vécu. Regard personnel mais aussi réflexion socio...