L'art du sexe est un art du spectacle vivant. Les acteurs sont aussi les seuls spectateurs, quoique pas toujours, depuis que les téléphones portables permettent de filmer aisément ce spectacle et de le partager. Le spectacle vivant est un art d'exécution et aucune performance ne ressemble totalement à une autre. Ce qui en fait le succès? L'émotion. C'était pourtant une notion à la fois commune et vague, que Florent comprenait intuitivement, sans parvenir à la définir de manière plus conceptuelle. La peur est une cause d'excitation. Dans les coins sombres, les odeurs de poussière et de pisse, sous les entrepôts de Bercy, dans les années 80, entre les dizaines de mecs qui fréquentaient l'endroit à une heure avancée de la nuit, flottaient les effluves de la peur. Dans ce cul de sac, fermé par une lourde porte en fer qui laissait passer la lumière du côté du mur mais trop peu de place pour qu'un homme puisse s'y glisser, des casseurs de pédés pouvaient surgir à tout instant comme un renard dans un poulailler. Florent avait été confronté à cette situation. Des voitures avaient surgi entre les piliers des entrepôts et il avait pris ses jambes à son cou, avant de se retrouver dans la rue, hors d'haleine mais de nouveau protégé par la ville, un lieu public, des voitures...
Et l'émotion amoureuse? Un des amis, et amant très occasionnel de Florent, lui avait déclaré que seul le sentiment amoureux pouvait lui rendre agréable une relation sexuelle. Connaissant le personnage il avait trouvé cette déclaration assez étrange. En effet il semblait avant tout amouraché du sexe lui-même prenant la forme de grands noirs qu'il rencontrait sous les douches de sa salle de sport. Il les installait chez lui aussi souvent que possible et la relation durait plus ou moins longtemps. Invité à dîner à différentes reprises, Florent avait découvert l'étendue des dégâts. La première fois, le garçon élu de son cœur était un narcissique dépressif, dont le sentiment amoureux avait duré bien moins de trois ans, qui n'assumait plus le devoir conjugal, et donc plus l'émotion...sexuelle qui était la vraie demande de son partenaire. Le second parlait ouvertement devant les convives de refaire sa vie au Canada, sans mentionner celui qui avait la bonté de l'héberger sous son toit. Sa goujaterie était évidente. Dans ce cas, l'amour déçu était une source d'émotion négative et l'acte sexuel devait être intense mais désolant. Il aurait été plus simple de s'en tenir à l'émotion que procure la beauté physique des ces apollons d'ébène rencontrés dans les vapeurs de douches trop chaudes. La beauté est toujours source d'émotion en cela qu'elle dépasse nos imperfections. Serais-je à la hauteur?...est la question qui nous hante.
Donc l'émotion est le premier ingrédient nécessaire à une scène de sexe réussie. Quoi d'autre? Le sexe est un art total et surtout pas statique. Le décor peut avoir son importance mais le sexe est avant tout mouvement, chorégraphie, et cette dernière est entièrement tournée vers le public, entendez l'acteur qui est votre partenaire et le public en même temps. Dans l'art oratoire vous ne serez bon qu'en buvant votre public, en ne le lâchant pas des yeux, en le léchant des yeux. Le sexe est aussi un art oratoire. L'image, le mouvement, le son. Les vibrations des sons, le murmure à l'oreille, les mots sales et dégoulinants, le cri de la fin. Florent se souvenait d'un garçon, couché sur le dos sur la table à manger, et qui au moment de jouir avait hurlé sans retenue. L'immeuble était en brique et connu pour être extrêmement sonore. Mais oui Madame, tout le monde le sait qu'on entend tout dans cet immeuble, c'est ce qui fait son charme! Tu parles! Les voisins ne pouvaient avoir aucun doute sur le plaisir qu'avait exprimé ce garçon. Au fond ils étaient habitués: un jeune couple avait l'habitude de faire l'amour la fenêtre ouverte, vers deux ou trois heures du matin. On entendait les longs miaulements de la fille et vers la fin, le râle profond du garçon.
Le sexe est un art de la chute. La fin doit être longuement préparée en restant une surprise. La fin doit être longtemps retardée, puis exigée, réclamée comme couronnement et délivrance. Le spectateur et partenaire doit en rester comme deux ronds de flancs, épuisé, suant, flapi, alangui soudain, recevant vos caresses comme la promesse que vous serez attentif encore. Les yeux rivés sur le public, toujours.
Le sexe est l'art de l'abandon, du lâcher prise, alors que par cœur vous connaissez le texte, chaque réplique, chaque attaque. Vous laissez aller vos sens. Mais comme un chien à la chasse vous ne perdez jamais la piste, vous la suivez sans relâche.
Quand vous avez réussi une très belle représentation, que tout était parfait, que votre partenaire semble subjugué, épanoui, qu'il refuse de s'en aller, même après avoir pris sa douche, remis son pantalon, son chandail et même ses chaussures, qu'il traine dans l'appartement en regardant partout, engage la conversation, tente même de vous poser des questions, alors un poids terrible pèse sur vous. Imaginez, après avoir merveilleusement joué le rôle de Don Juan, donné impeccablement la réplique à Leporello, que le rideau se referme après un tonnerre d'applaudissements...C'était la première représentation. Elle était parfaite. La seconde sera nécessairement moins bonne...A la limite vous pourriez être parfait à nouveau. Votre connaissance du texte, votre longue expérience...Mais votre partenaire? Dans quel état sera-t-il?
Pas le même, et il faudra le surprendre à nouveau...l'emporter, le pousser, le tirer, le regarder droit dans les yeux, ne pas faiblir, ne pas flotter.
Le sexe est un art d'exécution. Il manque un accessoire? Les lumières se rallument au mauvais moment? Glissons, passons à autre chose. Quand même, rien n'est assuré.
Alors le grand art c'est de durer.
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Gay Paris
General FictionGeorges CHAUNCEY n'a pas encore publié la suite de Gay New York. Le personnage de cette biographie a tant attendu ce deuxième tome. Il désespère. Alors il a écrit une histoire, sur le dos ce qu'il a vécu. Regard personnel mais aussi réflexion socio...