Le sexe avait, dans la vie de Florent, suivi une courbe ascendante, bien que non linéaire. Après l'appel de la forêt, l'explosion qui s'était produite fut toute relative, car les heures de liberté laissées par la vie familiale étaient peu nombreuses. L'exploit consistait à utiliser chacune d'entre elles pour consommer les fruits défendus et inavouables. Son imagination était fertile et son culot remarquable. Ainsi les heures de permanence qui faisaient des trous dans son emploi du temps de lycéen, étaient mise à profit. Les visites de musée, les séances de cinéma devenaient des parties de jambes en l'air. Une séance à la piscine était une belle occasion. L'un de ses amants réguliers ayant fait de la publicité sur son compte à l'un de ses amis libanais, ce dernier est venu le chercher un mercredi après-midi, après sa reprise d'équitation. Il avait emmené Florent jusqu'à sa garçonnière, pour lui montrer quelques tours de magie tout à fait nouveaux, avant de le ramener chez-lui, toujours en voiture. Florent devait bien avoir deux heures de retard sur le planning habituel. Ce qu'il avait raconté? Qu'il était resté au manège pour regarder la reprise suivante...la passion des chevaux...
Le mercredi était généralement bien rempli. Une fois il avait planifié deux rendez-vous dans l'après-midi. Il avait indiqué à son premier amant qu'il avait rendez-nous avec sa mère pour des courses aux Galeries Lafayette. Après leur rendez-vous galant, il l'avait emmené en voiture, une DS blanche. En réalité il avait rendez-vous dans un café avec un second amant. Mais il avait plus d'une demi heure de retard et ce dernier s'était envolé, ce qui fut un éternel regret. Il faut rappeler au lecteur qu'il n'y avait à l'époque ni téléphone portable ni internet, donc aucun moyen de prévenir d'un retard. Comment Florent avait-il réussi l'exploit de fixer deux rendez-vous dans l'après-midi? Sans doute l'avait t-il fait successivement, en laissant entre les deux rendez-vous suffisamment de temps, croyait t-il, pour les honorer.
Paradoxalement les années d'étude furent assez calmes car il était largement occupé. Il n'était pas assez brillant pour se disperser comme son ami Jean-Pierre qu'il avait retrouvé un soir sur la ligne 6, retour d'une virée dans les jardins du Trocadéro. Comment il l'avait su? Sa gabardine était largement tachée de sperme.
L'entrée dans la vie active fut l'occasion d'une nouvelle baisse de l'activité. Un mec l'appelait souvent le soir pour lui raconter des cochonneries au téléphone. Comment il avait eu son numéro de téléphone? Il ne savait pas trop. C'était aussi le début de l'épidémie de Sida qui faisait flipper tout le monde. Le sexe devenait furtif. Sur les lieux de drague il faisait gaffe de ne pas prendre trop de risques. Il fréquentait un peu les boites à baise, le dimanche soir. C'était devenu une sorte d'habitude. À l'époque c'était le meilleur moyen de voir des vidéos porno, pour le prix d'une bière. Si on ne rencontrait pas de garçon excitant on pouvait au moins faire le plein d'images. Déjà certaines vidéos étaient ennuyeuses.
S'ouvre alors une longue période de latence, avant que vienne un signe, une envie, une conviction. Faut pas déconner, c'est pas une vie que de la partager avec personne. C'est pourtant ce qu'il a fait, et pendant longtemps. Il tuait le temps avec des amis, soi - disant. Et pour le reste il y avait Jaurès, la nuit, la station service, il s'en passait de bonnes. Il avait déménagé et habitait maintenant le haut de Belleville. Jaurès c'était pas tout près, pas très loin quand même, un quart d'heure à pied. Il ramassait des mecs le long du canal. Des fois ça débordait un peu, il en entraînait un, quelques rues plus loin, dans les buissons d'un jardin d'immeuble, dans un hall. A cette époque les digicodes n'avaient pas encore fleuri. On pouvait s'envoyer en l'air devant les boîtes aux lettres, dans le local poubelles. Sous le pont il n'y allait pas souvent, c'était trop glauque.
Dans l'ensemble il avait du mal à ramener un mec chez lui, en tout cas à le garder. Il avait essayé de passer des annonces à la radio (Fréquence Gai). Il s'était montré aussi habile qu'une godiche de province. Ça n'avait pas marché. Le Minitel coûtait une blinde. Des histoires circulaient, de mecs qui se retrouvaient avec une facture plus grande que leur compte en banque. Florent faisait gaffe. Il y avait aussi le téléphone, des numéros spéciaux. Il suffisait de déposer une annonce, les mecs vous rappelaient, et là il fallait ferrer. Florent ne savait pas faire. Au désespoir il s'était fait passer pour un noir. Et là ce fut l'avalanche. Le téléphone a sonné pendant une heure. Pour le coup il fallait refuser. Un mec qui appelait du 18ème voulait enfourcher sa moto. Je suis là dans 10 minutes maxi. Pourquoi c'est trop tard ? Tu viens de passer une annonce, non? Mais puisque je te dis que je suis là dans 10 minutes, on vient d'en perdre 5...Non? Non...Florent s'est bien amusé. Mais comme il n'était pas noir et que son accent très local n'était qu'une imitation...Bref le téléphone il valait mieux oublier.
Il s'y est remis bien plus tard, après avoir rencontré son mari. C'est son mari qui lui a appris.
Mais non je te montre. Et là tout de suite un qu'était d'accord, qui se pointait. Et Florent flippait, il tremblait comme une feuille. Il manquait d'assurance. Il était bien le seul. Le premier qui s'était présenté était un déluré. Bien jeune, mais il avait appris des tours. Pas d'hésitation dans la voix ni dans le reste. Double salto arrière, retomber bien droit, saluer la foule en sortant, le jury aussi. Florent avait fini par se détendre, comprendre les ressorts. La vraie virilité c'est d'assumer, rien d'autre. Et ça marche pour tout. Je vous emmerde, je suis moi et tel est mon plaisir. Après le défilé, mais oui. Il faut dire avec internet, le grand bazar, on fouine sur les étagères, on trouve de tout, et toujours chaussure à son pied. On essaye, si ça va pas, on renvoi. Enfin très peu, vraiment pas souvent. Avec les photos, le texte, le tour que prend la conversation on se rend bien compte. Un mec décidé? Mais ils le sont! Et délurés! Des bons coups souvent! Bon les meilleurs à pas rester longtemps sur le marché. Casés! Amoureux! Fidèles! Pour un temps...Bref vers quarante ans Florent avait pris la vitesse de croisière, celle des grandes villes, où tout est à portée de main. Il avait vaincu ses peurs et pouvait enfin assumer ses désirs. Dieu que tout ça prend du temps!
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Gay Paris
Ficción GeneralGeorges CHAUNCEY n'a pas encore publié la suite de Gay New York. Le personnage de cette biographie a tant attendu ce deuxième tome. Il désespère. Alors il a écrit une histoire, sur le dos ce qu'il a vécu. Regard personnel mais aussi réflexion socio...