Les applis sont nées assez tard, avec les smartphones. Mais elles se sont répandues comme une traînée de poudre. Pensez! Avant on draguait au bois, maintenant le monde entier était une forêt, un terrain de chasse. Et sous réserve d'être dans une grande ville, du gibier partout. Des lapins qui courent dans tous les sens, qui vous détalent entre les pattes, à portée de fusil. Tirez dans le tas!
Ce n'était pas entièrement nouveau. Des sites internet préexistaient, les fonctionnalités étaient les mêmes. La différence était que l'on pouvait se promener partout avec le smartphone. Au départ on accédait aux sites à partir d'un ordinateur aussi gros qu'une télé, avant les écrans plats. C'était ludique et assez bon enfant. Gratuit aussi, genre association sans but lucratif. Et dans tous les styles, pour tous les genres. Par exemple un site black blanc beur. Tout ce qu'il y a de plus sommaire. Florent avait bien essayé mais ça n'avait pas trop marché. Évidemment, une population de banlieue, pas très adaptée pour ce genre d'outil. Fracture numérique, séparation spatiale, sociale. Alors qu'au bois, tout ça est bien plus soluble. Brassage social, ethnique, intergenerations. Allez, on mélange!
Après c'est devenu mercantile. La grande entourloupe. D'abord je vous mets dans le filet, je crée le besoin, l'addiction même, et après je vous réduis l'accès. Gratuit? Mais rien n'est gratuit! Vous y avez cru? Naïfs que vous êtes. On vous a menti? Vous aimez ça toutes ces balivernes, pas vrai?
Les capitalistes rament aussi, il faut les comprendre. Pas si facile de faire payer ceux qui ont pris l'habitude de profiter de tout gratuitement. La transformation ça s'appelle. Vous attirez un pingouin sur votre site et vous le mijotez jusqu'à temps qu'il décide de vous payer. Je te le fais gratuit pendant 7 jours. Et hop vous voilà dans le tunnel. Et au bout de 7 jours la nuit est tombée...et vous ne la voyez plus, la sortie du tunnel. Trouver l'issue n'est pas si simple. Vous n'avez pas mordu à l'hameçon? Tiens, voilà un accès spécial à 600 mecs pour 3 heures. Qu'est ce que vous en dites? Enfin vous pouvez voir plus loin que le bout de votre rue. Au delà des frontières de l'arrondissement! Toujours pas convaincu? Vous serez puni alors: quelques pubs bien lourdes pour des jeux idiots qui vont ralentir la conversation et vous faire rater l'affaire du siècle: ce mec canon qui a l'air bien chaud et qui cherche pour now...Même ça c'est à double tranchant. Enfin une occasion de décrocher, de passer à autre chose après une heure passée à sauter dans tous les sens pour décrocher la queue du Mickey!
Monétiser. Pas facile. Il faut les comprendre. Certes ils vendent les fichiers, mais comme ce n'est pas votre vrai nom, que votre adresse mail est celle réservée à toutes vos activités clandestines, ils ne vont pas aller loin.
Du blé, du blé, faire rentrer du blé! Au passage les applis avaient changé de main. La jaune sur fond noir chez les chinois. À qui appartiennent les autres? Aux géants de l'internet? Aux géants des médias. Toutes vos turpitudes là dedans. Florent s'en foutait!
Et les travailleurs du sexe? Au début ils étaient plutôt rares. Puis c'était devenu monnaie courante, de moins en moins planqué. Ça et la drogue, souvent ensemble. En clair dans le titre. Au moins on était prévenu. Si ce n'était pas le cas l'information ne tardait pas: réponse immédiate à votre premier message avec six photos qui tombent d'un coup. Les tarifs avec, parfois dans le message suivant. Au départ Florent les bloquait. Houste, rien à faire ici. Plus emmerdé. Et les mecs devaient finir par se retrouver avec un écran tout noir à force d'être bloqués par tout le monde. À part qu'eux devaient avoir un compte premium. Mais son ami Herbert l'avait repris à ce sujet. « pourquoi tu les bloques? Comment veux-tu qu'ils travaillent? Au bois? Dans la rue? ». Florent avait entendu ce plaidoyer.
Après tout, il fallait peut-être y penser, aux travailleurs du sexe. Pour lui? Et pourquoi pas? Depuis qu'il avait passé son âge à 48 (pour que la distance avec la vérité ne soit pas supérieure à 10 ans, ce qui lui semblait raisonnable), tous les travailleurs du sexe lui tombaient dessus. Épisode cévenol, pluies torrentielles. Pour les tarifs c'était du simple au triple. La qualité semblait la même pourtant. Les nouveaux entrants cassaient le marché? Le premier prix semblait très accessible. À peu près deux fois le prix d'entrée d'un sauna. Il fallait payer en bons cadeaux. Transaction anonyme, pas de faux billets passés à la photocopieuse double face.
Où? Florent fut une fois intrigué par un travailleur qui lui indiquait un lieu situé au beau milieu de...l'hôpital Robert Debré.
« T'es à l'hôpital? ».
« Oui ».
Réponse laconique. Un aide soignant qui arrondissait ses fins de mois et recevait ses clients dans la réserve de médicaments?
Florent n'était pas allé vérifier. Pas du genre à aller au devant des embrouilles.
Les applis doivent être rentables! Débrouillez-vous! Exploitez qui vous pouvez!
Le capitalisme vous mord. Le capitalisme vous mange. Le capitalisme vous baise!
Et le libéralisme? C'est une autre question.
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Gay Paris
General FictionGeorges CHAUNCEY n'a pas encore publié la suite de Gay New York. Le personnage de cette biographie a tant attendu ce deuxième tome. Il désespère. Alors il a écrit une histoire, sur le dos ce qu'il a vécu. Regard personnel mais aussi réflexion socio...