1. Henry ou la gestion raisonnée d'un ranch de chevaux aîlés

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Le jour se levait à peine mais Henry Eldridge était déjà debout. Il fit son habituel tour des écuries, vérifiant qu'il ne s'était rien passé durant la nuit, ni escapade ni bagarre – les Ethonans étaient turbulents. Cependant, comme toujours, le domaine était paisible et bien ordonné. Henry referma soigneusement la porte de l'écurie et se dirigea vers le petit bâtiment qui servait d'accueil, de secrétariat, de plein d'autres choses d'ailleurs, et dont les deux pièces du fond constituaient le logement du gérant, à savoir lui-même.

Distraitement, il tapota sa bouilloire du bout de la baguette, et l'eau se mit aussitôt à frémir. Un autre coup de baguette et une assiette sortit du placard tandis qu'un couteau à beurre tartinait un toast avec application. Il était six heures et demie du matin, ce qui laissait une heure et demie à Henry avant l'arrivée de son assistant et des premiers clients. Il en profiterait pour traiter le courrier. Avec un soupir, il se saisit de la première enveloppe et l'ouvrit, tandis que sa cuillère remuait avec application un thé qu'il ne boirait pas.

Henry était le propriétaire d'un ranch à vocation récréative qui élevait des chevaux ailés, les Ethonans, une race assez commune en Grande-Bretagne mais peu domestiquée. De fait, Henry s'occupait de trente-trois animaux, et il ne connaissait personne qui en eût autant. Il accueillait dans son domaine des sorciers en vacances, offrait des stages d'équitation, des randonnées, et louait même parfois ses précieux chevaux une semaine entière, même s'il jurait à chaque fois qu'il ne recommencerait jamais une pareille chose et que les gens ne savaient vraiment pas s'y prendre.

Il tria ses lettres dans une mécanique désormais bien huilée, factures d'un côté, courrier de clients de l'autre, de fournisseurs dans une troisième pile, et enfin dans le quatrième tas, souvent peu rempli, tout ce qui ne rentrait pas dans les trois autres. Ce jour-là cependant, une lettre attira son attention. Il avait cru au début qu'elle provenait d'un client qui voulait s'inscrire à un stage, mais le texte le détrompa rapidement :

Monsieur,

Actuellement âgée de seize ans, je m'adresse à vous en tant que gérant du domaine A tire-d'aile. En effet, je suis à la recherche d'un stage d'été, et je me suis naturellement tournée vers vous car je souhaite m'occuper d'animaux magiques. Même si je n'ai pas le droit d'utiliser la magie, n'étant pas majeure, je suis tout à fait qualifiée : je travaille pendant l'année dans un refuge pour chevaux blessés moldus, et j'ai eu l'occasion de faire un stage chez un vétérinaire sorcier à Brighton.

J'occuperai le poste que vous voudrez bien me donner, puisqu'en effet je cherche surtout à me constituer une expérience. Je ne demande qu'à apprendre.

Je vous remercie du temps que vous prendrez à lire cette lettre, Monsieur, et j'espère que nous pourrons nous revoir au plus tôt.

Isabel Emerson.

Henry crut tout d'abord qu'il y avait erreur. Une stagiaire ? Pour quoi faire, d'abord ? Et puis ensuite et surtout, il était hors de question qu'il s'embarrassât d'un employé supplémentaire ! D'autant plus qu'il s'agissait d'une mioche. Même pas majeure, franchement, qu'est-ce qu'elle voulait qu'il fasse de ça ? Il jeta la lettre sans ménagement dans la poubelle et retourna à ses factures.

« Bonjour, Henry ! » lança soudain une voix tandis qu'un bruit de porte se faisait entendre.

L'instant d'après, une tête brune ébouriffée et un éblouissant sourire à fossette faisaient leur apparition dans la cuisine d'Henry. Le gérant les salua d'un grognement. Il était huit heures et quart, Lloyd était en retard, comme d'habitude.

« Je vais me faire un café, annonça le jeune homme. Vous en voulez un ?

-Dépêche-toi au lieu de traînasser, gamin, grommela son patron. On n'a pas de temps à perdre, on a dix mômes d'une colonie de vacances qui vont débarquer à neuf heures et demie, il faut préparer les chevaux.

Les Porte-à-fauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant