MATTHIEU

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Il était parti. Comme ça. Sans un mot ou presque. En même temps, je ne pouvais pas lui en vouloir. Echapper à ses parents comptait plus que tout pour lui. Plus que moi, sans doute. Il m'avait dit un jour que je ne pouvais pas comprendre. Et c'était vrai. J'avais grandi, aimé par mon père. Il n'avait jamais levé la main sur moi, pas une fois. Je ne pouvais pas comprendre. Et pourtant, ça faisait tellement mal.

Pourquoi est-ce qu'on était rentrés ? On était tellement heureux, à Paris. Un confort modeste, bien sûr. Mais on était tous les deux. Maintenant, je ne savais pas ce qu'il faisait. S'il allait bien. Ça faisait deux semaines et je n'avais eu aucune nouvelle. Pas un mot.

J'étais retourné au lycée. Mon père m'y avait forcé. J'avais revu les amis d'Isaac. J'avais vu la tristesse dans leurs yeux, à eux aussi.

Ma soeur ne parlait plus à notre père. Je ne parlais plus à mon père.

J'avais vu les parents d'Isaac quand ils étaient venus le chercher chez moi. Ils étaient si froids... Son père m'avait lancé un regard menaçant et je savais que je n'avais pas intérêt à dire un mot. Qui sait s'ils n'auraient pas osé me faire du mal, lui ou Axel ? Après tout ce que m'avait raconté Isaac, je ne doutais plus de rien les concernant.

J'avais pris l'habitude d'aller à Verdun quand je pouvais. Je retournais dans le parc où nous nous étions embrassés pour la première fois. Je ne cessais de penser que s'il revenait un jour, ce serait ici. Assez loin de ses parents mais assez proche pour que je le trouve.

Comme d'habitude, j'attendis une bonne partie de l'après-midi. Sans aucun signe d'Isaac. Il me manquait tellement. Après avoir passé tout mon temps avec lui, avoir vécu toutes ces aventures... Je ne pouvais décidément pas l'oublier comme ça.

-Je savais que tu serais ici.

Mon coeur rata un battement. Il était là. Enfin.

Je me retournais et me précipitais sur lui. Il avait un immense sourire sur le visage et j'étais tellement soulagé que je ne pus dire un mot. Il m'embrassa.

-Je suis désolé..., a-t-il commencé.

-Chut.

Je l'ai embrassé à mon tour. J'avais besoin de ça avant de parler. Besoin de savoir que tout ce qui s'était passé n'était pas un rêve.

-J'avais tellement envie de revenir, a-t-il repris. De te parler. De t'expliquer. Mais j'avais peur. J'ai été lâche, je suis tellement désolé.

-Où est-ce que tu étais ? Qu'est-ce que tu as fait ?

-J'étais ici. A Verdun. Je ne pouvais pas me résoudre à m'éloigner plus de toi. Mais je ne pouvais pas non plus me montrer. Pas au début. Mes parents sont à trente minutes d'ici seulement. A chaque détour, j'ai peur de les croiser, si tu savais...

Alors, il avait été là. Depuis tout ce temps, juste à côté...

-Tu ne risques rien. Je suis sûr qu'ils ne te cherchent même plus.

Je vis Isaac baisser les yeux. C'était un peu brutal, peut-être...

-Je n'en doute pas. Mais juste pour le plaisir de me faire souffrir, si jamais ils me voient, ils m'enverront loin et je ne pourrais plus jamais m'enfuir.

-Tu auras bientôt dix-huit ans, ils ne pourront rien faire.

-J'ai même pas encore dix-sept ans !

-Isaac... Tes parents ne sont pas de tels monstres. Enfin, peut-être que si mais... ils ne vont pas te tuer. Même s'ils t'envoient dans ce pensionnat, qu'est-ce qui pourra t'arriver de pire ?

-Mon frère.

-Quoi ?

-Il va s'en prendre à Axel.

Je l'ai fixé, interloqué. Il ne m'avait jamais vraiment expliqué pourquoi il avait si peur de se retrouver dans ce pensionnat.

-Qu'est-ce que tu racontes ?

-Mon père va s'en prendre à Axel.

-Mais je croyais que c'était le chouchou de tes parents, maintenant ?

-Oui, parce que je suis là. Si je quitte la maison, mon père va recommencer. Il va tuer Axel, cette fois, j'en suis sûr.

-Mais... Comment tu peux le savoir ?

-Chaque fois que j'étais parti, pour des voyages scolaires ou autre, je retrouvais Axel avec des bleus, un bras cassé, la lèvre fêlée... Depuis que j'ai fugué, j'ai peur. Je ne sais pas dans quel état il est et ça me tue.

-Axel te frappe pourtant...

-C'est mon frère... Tout est la faute de mon père. Quand on était petits, on était tellement proches... Je continue de me soucier de lui.

-Tu ne devrais pas. Je comprends ce que tu dis mais il te fait du mal. C'est ton grand frère et il te fait vivre un enfer.

-Je sais. Mais si jamais il meurt, ce sera de ma faute. Parce que je n'étais pas là.

J'ai enlacé Isaac pour le réconforter.

-Ce ne sera jamais de ta faute. Tu n'es pas responsable des actes de tes parents. Tu ne le seras jamais, tu m'entends ?

-Matt ? A-t-il fait en me regardant dans les yeux.

-Oui ?

-J'ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi.

-Vérifier qu'Axel aille bien ?

Isaac m'a souri, tristement.

-Je t'interdis de te mettre en danger, d'accord ? Si tu pouvais juste... le voir. Ne lui parle pas. Juste... vérifier qu'il n'est pas mort.

-Ça te terrorise vraiment, hein ?

Il a acquiescé, silencieusement.

-Je le ferais. Mais à une condition. Je ne veux plus te quitter.

-On peut se retrouver ici quand tu veux. Je ne suis jamais très loin.

-Tu dors où ? Tu as encore de l'argent ?

-Non... Le parc est plutôt confortable.

-Isaac ! Tu dors dans la rue ?

-Non, dans le parc, je viens de te le dire.

-Je rigole pas !

-Ne t'inquiètes pas, ça va. Ça me fait du bien d'être loin de mon luxe et confort habituel. C'est temporaire.

-Ah oui ? Et tu vas faire quoi après ?

-Je me pose la question tous les jours, si tu savais...

-Promets-moi que tu ne partiras pas sans me le dire.

-Evidemment. Je ne ferais plus ça.

Je l'ai embrassé une dernière fois.

-On se retrouve ici dans deux jours ?

-Ça marche. Et si tu ne veux pas que ton père découvre tout, tu devrais arrêter de sourire comme ça.

J'ai ri en prenant le chemin du retour. 

Lost BoysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant