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Phèdre était seule

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Phèdre était seule.

Camille vivait à Truro avec Catesby. Mary était allée les rejoindre avec Margaret. James avait décidé de passer la journée avec Dwight.

Phèdre était seule, et elle détestait ça.

Elle avait toujours grandi entourée de gens qui l'aimaient et s'occuper d'elle. Elle ne s'était jamais sentie délaissée, même lorsque ses cousins avaient quitté Trenwith pour faire leurs études. Même lorsque son père était tombé amoureux d'Evangeline et avait décidé de quitter les Cornouailles pour elle.

Elle avait trouvé une nouvelle famille en France, et voilà que tout lui était arraché.

Phèdre était plus terrifiée qu'elle n'osait l'avouer. Bientôt, elle aurait Aaron avec elle, mais ce n'était pas la même chose.

Trop occupée à ruminer ses pensées à l'ombre d'un arbre, elle ne s'aperçût de la présence de son cousin que lorsqu'il s'assit à côté d'elle.

- Tu sembles triste.
- Je suis triste.
- Le marriage t'inquiète ?
- Je ne sais pas, grommela Phèdre en ramenant ses jambes contre sa poitrine. Certainement. Mon père n'est pas encore arrivé à Londres. Et Evangeline ne lui a rien dit pour Aaron. Elle lui a juste parler de marriage.
- Vous comptez le mettre devant le fait accompli ?
- Non, puisque je ne serai pas mariée à Aaron lorsqu'il arrivera. Mais je veux qu'il le rencontre et qu'il se fasse une bonne opinion de lui avant. Ensuite nous pourrons parler fiançailles et mariage.
- Tu comptes te rendre en Amérique ?

Phèdre haussa les épaules, lasse. Elle posa sa tête sur l'épaule de son cousin et murmura :

- J'aime être avec toi. J'ai l'impression d'être à nouveau une enfant.
- Eh bien si tu insistes... Touchée ! C'est toi le chat !

Il appuya sa main sur le bras de sa cousine avant de se lever et de courir. Phèdre suivit l'homme, outrée.

- Ce n'est pas juste ! Tu ne m'as pas prévenue !

La jeune femme courut derrière Francis et se jeta sur lui de toutes ses forces.

- Touché ! cria-t-elle, son pauvre cousin écrasé par son poids.

Ils se relevèrent tous les deux, hilares, et Francis remarqua :

- Tu courrais moins vite quand tu étais petite.
- Je me suis perfectionnée en France, le taquina Phèdre avant de remarquer deux silhouettes courir vers elle. Voilà mes compagnes.

Isabeau et Charlotte vinrent s'accrocher à sa robe, et la supplièrent à grands cris de venir les voir jouer du piano. Leur grande sœur se laissa tirer à l'intérieur du manoir, suivie de son cousin, et ils s'installèrent tous au salon.

- Je vois qu'elles ont réussi à trouver un public, remarqua Evangeline, qui brodait à côté de tante Agatha.
- Vos filles sont très douées, je ne pouvais laisser passer une occasion de les écouter, répondit Francis, tout sourire.

Phèdre sentit son cœur fondre devant la bonne humeur de ce tableau. Même si ses amis comptaient partir pour le Nouveau Monde, il lui restait sa famille.

Tandis que ses sœurs composaient sur le piano, Phèdre se mit à feuilleter le journal, sous les yeux scrutateurs de Francis.

- Seigneur, les gens ne savent pas qu'il est imprudent d'aller pêcher dans un temps comme ça ? remarqua la jeune femme, les sourcils froncés. Deux hommes se sont fait emportés par les vagues et se sont noyés. What a pity.
- La pire mort qui soit, commenta Francis.
- Tu penses ? J'ai entendu dire que se faire brûler vif était pire...
- Phèdre.

Evangeline n'eut pas besoin de dire plus pour que sa fille se taise. Il était inconvenable de parler de ce genre de sujets devant des enfants, même si les deux fillettes ne les écoutaient pas.

- Eh bien, je ne compte pas rester ici plus longtemps, je dois me rendre à la mine.
- Aujourd'hui ? s'étonna Evangeline. Mais c'est dimanche...
- Le cuivre n'attend pas. Avec Ross, nous pensons qu'en creusant un peu plus, nous pourrions avoir de nouvelles réserves. Mais pour cela, nous devons travailler.
- Sois prudent, sourit Phèdre en serrant le bras de son cousin.

Il sortit de la pièce, au moment même où une servante y entrait avec une lettre.

- Elle est pour Madame Poldark Evangeline.

L'intéressée prit la lettre, la lut en diagonale, et la referma, le visage grave. Elle fit signe à Phèdre de la suivre et elles sortirent de la pièce.

- C'est de ton père. Il a une mauvaise nouvelle, fit-elle à voix basse. Il a vendu ses ateliers, mais à un prix moindre...
- Mais nous avons assez d'argent pour nous installer ici pas vrai ?

Evangeline grimaça. Il y avait encore de l'espoir dans les yeux de sa fille, et elle ne savait pas comment lui annoncer la nouvelle.

- Vous n'aurez pas de dot. Aucune de vous. Nous ne pouvons pas... Nous n'avons plus d'argent...

Phèdre jura, et Evangeline n'eut pas le cœur de la réprimander.

- Il faut que je réfléchisse, murmura Phèdre en se dirigeant vers sa chambre. Laisse-moi réfléchir, je vais trouver une solution.

•_•

Phèdre passa le reste de sa journée à son bureau, l'esprit occupé par les soucis financiers de son père.

Aaron accepterait sûrement de l'épouser sans dot. Mais ses sœurs en auront besoin, et personne ne pouvait être sûr que leurs situations s'arrangeraient. Bien sûr, si elle épousait Osborne, le problème ne se posait plus. Mais plutôt mourir que d'être mariée à un tel homme.

Elle fut interrompue par un léger cognement à sa porte. James entra, le visage grave.

- C'est l'heure de manger ? demanda Phèdre en se rendant compte qu'il faisait déjà nuit. J'étais très occupée et je...
- Restes assise. S'il te plaît.

Phèdre obéit, les sourcils froncés. James s'assît sur le lit, face à elle, et garda sa tête baissée.

- Francis est mort.

La jeune femme ne bougea pas, tétanisée.

- Il y a eu un accident à la mine... Il a percé une poche d'eau, et...
- Non.
- Il ne savait pas nager...
- Non non non...
- Phèdre...
- Non ! hurla-t-elle en se levant. Il ne peut pas... il n'a pas le droit... Ce n'est possible !
- L'enterrement aura lieu demain.
- Je refuse !
- Il faudra que tu y ailles.
- Pourquoi tu ne réagis pas ?

James releva la tête pour soutenir le regard larmoyant de sa protégée. Phèdre tremblait de rage, et son attitude contrastait avec celle du majordome.

James avait déjà vu des gens mourir. Ses camarades de combat. Ses ennemis.

La mort ne discriminait pas, elle arrivait sans prévenir et emportait tout sur son passage. Phèdre avait été épargnée pendant si longtemps.

Il prit la jeune femme dans ses bras et il lui murmura à l'oreille :

- Dors. Tu auras besoin de toutes tes forces demain.

Phèdre se débattit de toutes ses forces pour se défaire de son étreinte, avant d'abandonner complètement et de se laisser tomber contre lui, silencieuse.

Elle ne dormit pas de la nuit.
Elle ne pleura pas dans le cortège qui suivait le cercueil.
Elle n'eut aucune réaction lorsqu'elle se retrouva face à la tombe fraîchement creusée qui était apparue à côté de celle de sa mère.
Elle ne réagit pas non plus aux condoléances que les autres lui donnaient.
Aaron et George avaient tenté de parler avec elle, mais elle les avait repoussé sans ménagement.
Elle ne voulait pas de condoléances. Elle ne voulait pas de mots réconfortants.

Elle avait perdu son cousin, et maintenant, elle était de nouveau seule.

𝑺𝒊𝒏𝒈𝒖𝒍𝒂𝒓𝒊𝒕𝒚Où les histoires vivent. Découvrez maintenant