Je suis jamais parti en week-end seul avec ma mère. Il y avait toujours au moins mon frère et ma sœur. La plupart du temps, Amir monopolisait l'attention maternelle en lui racontant les moindres détails de sa vie, pendant que Nejma et moi on se chamaillait ou on trouvait des défis pour s'occuper. Mais là ils sont tous en Algérie, ils nous ont laissé tous les deux, moi parce que je taffe et que j'ai déjà utilisé des congés pour Toulon en juillet, et ma mère parce que c'est chaud pour elle de partir avant son jugement.
Vraiment j'arrive pas à comprendre comment ils ont pu partir sereinement alors qu'il y a quand même moyen qu'elle fasse un séjour en taule. Heureusement que je suis là finalement.
— Tu conduis comme ton père, mais étrangement de façon beaucoup plus calme.
J'échange un regard avec ma mère avant de reporter mon attention sur la route, elle est fière de moi je crois. Et ce serait mentir de dire que je le suis pas aussi, la conduire comme ça, c'est un petit achèvement dans ma vie. Pas encore adulte, mais ce genre de moment me fait penser que j'en suis pas si loin que ça.
— Tu sais, Deauville c'est une destination particulière pour moi, dit-elle en baissant un peu la musique.
Elle veut parler, me raconter des trucs, ça me fait un peu peur, on s'ouvre pas souvent l'un à l'autre finalement. Je devrais pas, c'est ma mère, mais c'est comme si je craignais de vraiment la connaître.
— C'est là qu'on est partis pour la première fois en week-end avec ton père, et que j'ai compris que j'allais le laisser prendre une place dans ma vie que je ne pourrais jamais réserver à personne d'autre.
Ma mère, parler de ses sentiments pour mon père ?
Je sais vraiment si je suis prêt pour cette discussion, mais sans broncher, je réponds par un hochement de tête. Après tout, ces derniers temps les choses ont un peu changé, elle s'ouvre plus, depuis « l'accident » on s'est rapprochés, c'est elle qui a proposé ce week-end.
— C'est là aussi que j'ai accepté l'idée que j'allais être mère, et que c'était une bonne chose. Que j'allais m'en sortir parce que j'avais la chance de faire cet enfant, je pensais qu'il y en avait qu'un à l'époque, avec la meilleure personne du monde.
Elle garde ses yeux bleus fixés sur la route, j'imagine même pas les efforts que ça lui demande de me raconter ça. Je suis un peu gêné mais comme à chaque fois que je me rends compte que ce n'est pas juste une femme très forte qui ne souffre de rien, ça me fait du bien de sentir qu'elle est humaine et que nous aussi, on a le droit d'avoir des émotions.
— Je sais que je suis loin d'être la meilleure mère, que bien souvent j'ai pas su m'y prendre. Et je ne vais pas m'abriter derrière le fait que personne ne m'a montré ce que c'était d'être une bonne mère, j'avais plein d'exemple autour de moi, à commencer par ta tante. Mais je ne regrette pas une seule seconde de ma vie depuis que j'ai rencontré ton père, sauf les fois où je vous ai fait du mal à tous les quatre. Et s'il le fallait j'irais en prison cent fois pour vous préserver.
— Parle pas de prison.
C'est sorti plus vite que je ne l'aurais voulu, elle vient de faire une putain de déclaration, mais chaque fois qu'elle envisage la possibilité de finir derrière les barreaux, c'est comme si on m'enfonçait une aiguille dans un nerf. Ça me rappelle à quel point elle est dans la merde par ma faute, c'est elle qui paie pour mes conneries et c'est insoutenable. Si j'avais pas commencé à faire le con au tout début, jamais je me serais retrouvé dans la merde, jamais ma mère aurait eu à tuer pour me sauver la vie.
— Ilyes, la colère que tu avais en toi, celle qui t'a poussé à faire toutes ces choses, c'est nous, tes parents qui y sommes à l'origine. Ça sert à rien de chercher un coupable à tout ça, on a tous nos parts de responsabilités. Jamais on aurait dû te mettre à la porte par exemple. Alors maintenant c'est fait, et tout ce qu'on peut faire c'est se pardonner et avancer ensemble pour se sortir de tout ça.
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Ce qu'on laisse à nos mômes
Fanfiction"On est des produits d'nos environnements, nos mères auraient voulu qu'on grandisse autrement" Naël, Iris, Ilyes et Jade. Quatre destins liés depuis la naissance, Quatre parties d'une même histoire.