Chapitre 16. Perdus cette nuit

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« Tous deux on sort on se couche tard
Les gens sont tous de vrais trouillards, sous leurs parapluies
Ils courent, ils courent à leurs devoirs
Et cette grêle tombe à tout hasard
Et moi je m'enfuie
Mais nous on rit, tu me fait boire
On finit vite sur le trottoir, perdus cette nuit
Blanchis devant ce grand ciel noir
Tout devient vite désillusoire
Affalé, j'oublie. »

Nous sommes retournés voir Sneazzy. Mais cette fois, Iris n'a pas pleuré.

J'étais gêné, comme à chaque fois. Parce que qu'on le veuille ou non, le handicap, la maladie, c'est impressionnant et personnellement, cela m'intimide énormément.

Iris s'est assise à côté de lui, elle lui a parlé sans s'arrêter.

Je ne crois pas avoir déjà entendu Iris parler d'une voix plus douce que cet après-midi. Ce n'était pas la même personne.

Pendant presque une heure, j'ai observé ses lèvres se mouvoir sous ses mots, ses mains saisir celles de Moh, les presser, sa tête se poser contre son épaule pendant qu'elle parlait.

Lui non plus, ne l'a pas lâchée des yeux.

Comme si nous étions tous les deux complètement hypnotisés par cette version adorable d'Iris.

Une rose sans épines.

La seule que j'ai vue se comporter de cette façon avec lui, c'est Clémentine. J'ai réalisé qu'en dépit de tout ce qui les opposait, elles se ressemblaient terriblement.

Iris a raconté à Mohammed le souvenir qui lui était revenu au musée, en détails. Il n'a pas répondu, bien sûr, mais il a continué de la fixer et je crois pouvoir dire avec certitude qu'il y avait de l'émotion dans ses prunelles noires.

Son regard, c'est ce qui permet de dire aux médecins que Moh n'est pas totalement déconnecté. C'est ce qui permet à Clem de continuer à espérer que son état s'améliore. Et j'avoue que lorsque j'ai vu l'intensité avec laquelle il fixait Iris pendant qu'elle parlait, j'ai eu envie d'y croire moi aussi.

Cette fille-là, je ne me souviens l'avoir vue que très rarement, qu'avec lui en fait. Certaines fois où il nous gardait quand on était petits, ou alors quand plus tard, Sneazz acceptait qu'elle l'accompagne en studio.

J'aurais aimé qu'Iris se révèle plus souvent. Peut-être que j'aurais pu tomber amoureux d'elle, si elle n'avait pas fait de sa douceur une faiblesse qu'il vaut mieux cacher. Pourtant c'est ainsi, sous son maquillage outrancier, ce ne sont pas seulement ses traits qu'elle camoufle, c'est son âme toute entière. Et elle dénude son corps pour mieux voiler son cœur.

Et puis, même si jamais quelqu'un lui dit qu'il l'aime ou veut l'aimer, elle n'y croira pas, ou elle dira « C'est trop tard, c'était avant qu'il fallait m'aimer ».

Avant de quitter l'hôpital, avant de croiser sa mère dans le couloir, elle a murmuré à Moh qu'il n'y a pas une seule seconde qui passe sans qu'elle ne s'en veuille de ce qu'elle lui a fait. J'ai eu envie de dire que ce n'était pas elle qui avait agi directement, mais au fond, qu'est-ce que ça change ? C'est quand même sa faute, la mienne, celle de Ken et Clem, mais surtout celle de cette ordure de Romain.

Elle a embrassé longuement sa joue, avant de me rejoindre. C'est le moment où j'ai senti qu'elle était à deux doigts de craquer, alors j'ai fait comme au musée, je l'ai ramenée contre moi et j'ai attendu qu'elle se sente prête pour la raccompagner à la maison.

Iris n'a pas voulu prendre le métro, nous nous retrouvons comme deux idiots à marcher sous une pluie glacée de février, je suis gelé sous ma veste humide, elle doit l'être d'autant plus, avec ses jambes juste couvertes par un collant noir à peine opaque.

Ce qu'on laisse à nos mômesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant