E P I L O G U E

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Il y a plus de trente ans, j'ai commencé cette longue histoire avec ces simples mots :

Journée de merde.

Aujourd'hui je crois que je pourrais la terminer de la même façon. Pourtant, la personne pour laquelle nous somme tous réunis m'en voudrait énormément.

Résumer ces centaines de pages, ces dizaines de destins liés, par "journée de merde" serait clairement un affront pour nous tous.

Pour l'amour, la haine, les disputes, les larmes, les éclats de rires, les naissances, les mariages et aujourd'hui : la mort.

La main de Clem tremble un peu dans la mienne. Elle comme moi avons essayé de nous préparer depuis des semaines à ce jour funeste, mais la douleur est là, bien présente.

Dans ma vie, j'ai vu partir des grands-parents, des oncles et tantes, des frères aussi. Chaque fois j'ai senti ce vide, cette absence si présente. Pourtant c'est la première fois que cela touche notre cercle intime, réellement proche, l'un de nos piliers au quotidien. La première d'entre nous, celle qui aurait dû être la dernière.

Lucie se mouche à côté de moi et me tend son paquet de mouchoirs, je ne prends même plus la peine d'essuyer mes larmes. Et puis Deen vient de se lever, je sais déjà que je vais sangloter comme un gosse en entendant ses mots.

Derrière ses lunettes teintés, ses yeux cernés trahissent la fatigue accumulée ces derniers mois, les nuits de veille pour arracher chaque seconde, chaque minute, chaque heure de vie.

Il se racle la gorge, je prie pour qu'il ne pleure pas trop.

— Depuis petit, j'entends cette phrase toute faite à chaque fois que quelqu'un meurt : Les meilleurs partent en premier. Chaque fois je me dis que c'est une débilité sans nom.

Il marque une pause, on sait tous très bien où il veut en venir.

— J'aurais jamais pensé que la vie illustrerait cette phrase avec autant d'ironie. Parce que je suis certain que pas un seul d'entre vous va me contredire, si j'affirme que la meilleure personne de cette famille nous a quitté. Je suis là à faire un discours pété pour rendre hommage à une quelqu'un qui mériterait infiniment mieux que ces foutus lignes écrites par un vieux mari plein de chagrin. Mais qu'est-ce que vous voulez, c'est moi qu'elle a choisi d'épouser, c'est moi qui doit faire ce discours. J'ai toujours pensé que ce serait l'inverse, qu'elle ferait un discours à mes funérailles sur le bonheur d'être enfin tranquille.

Je ris jaune, comme nous tous, depuis quatre jours que Violette est décédée, on est estomaqués par la force de Deen, de leurs enfants. À croire qu'elle leur a laissé toute sa joie de vivre et sa volonté en partant.

— Je vais pas faire un long historique de tout ce qu'on a traversé avec Vio, vous le savez. Mais je vais parler de son héritage. Ce qu'elle laisse à nos mômes. Il y a des années je rappais en disant que je voulais que mes gosses soient fils de riches. Putain, j'imaginais pas à quel point ils le seraient, et je parle pas d'argent croyez moi. Ce que laisse Violette à Jade, Romy et Léonard, est infiniment supérieur à toutes les fortunes du monde. Ils sont forts, ils sont joyeux, ils ont le sens des autres et de leur bien être et surtout, ils savent qu'ils ne sont rien les uns sans les autres. J'ai connu Violette pendant presque trente ans, j'ai été marié avec elle pendant vingt-sept ans et je peux vous garantir qu'il y a encore une semaine, je m'émerveillais de sa capacité à tirer de chaque souffrance un plus grand bien. Ça c'est l'héritage de Violette. Elle savait qu'elle allait partir, on le savait tous après les derniers diagnostiques. Pourtant elle a refusé que l'on cède à une sorte de panique générale qui aurait rendu ses derniers instants lourds et remplis de douleur. On a continué à s'aimer très fort comme elle le voulait, on a continué à rire et à faire des projets, et la veille encore de son placement en soins palliatif, elle se lançait avec Jade dans l'organisation de l'anniversaire de ma mère. C'était pas ce foutu tuyau dans le nez qui l'empêchait d'embrasser ses enfants, c'était pas ces putains de métastases dans les poumons qui l'empêchaient de se moquer de mon air grognon. Elle rayonnait toujours. Ça c'est l'héritage de Violette. Finalement je me dis que j'ai de la chance d'être encore en vie, parce que moi aussi j'y ai droit à cet héritage. Plus que ça, j'ai le devoir de le faire fructifier, pour que mes mômes soient encore plus riches quand ce sera mon tour de partir. Vous avez perdu une soeur, une mère, une tante, vous avez tous le droit à cette héritage, et personne n'en sera privé, parce qu'il ne se partage pas, il se multiplie. Et vous avez tous le devoir de ne pas l'enfermer bien soigneusement dans un coffre, mais de le transmettre à votre tour.

Ce qu'on laisse à nos mômesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant