Chapitre 20. Les disques de mon père

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« Et quand je rentre le soir, que la vie me fait morfler
Il est déjà tard, tu es dans les bras de Morphée
Ce monde me brise, je n'suis pas infaillible
Et c'est pas le show-biz qui fait les bons pères de famille
Hip-hop ma rengaine, malgré les offenses
J'veux pas qu'le rap game te vole ton enfance
Bizarre la roue tourne, si tu manques de repères
Tu me reprocheras un jour ce que je reproche à mon père »

Sur la pointe des pieds je quitte mon lit dans lequel Naël dort encore, étendu à plat ventre sur le matelas.

J'ai un peu mal au cœur et en même temps je suis soulagée.

Ça ne pouvait arriver qu'ici, parce qu'ici nous sommes encore loin de la réalité parisienne, de la réalité de mon trouble, de celle de mon incapacité à avoir une relation stable.

Après avoir fixé de longues secondes son dos bronzé qui se soulève régulièrement au rythme de sa respiration, je m'habille en silence, récupère mon sac et mes affaires. Puis quitte ma chambre sans faire de bruit.

Il doit être environ cinq heures du matin, les premières lueurs du jour percent et je ne suis pas surprise par la silhouette encapuchonnée, assise au bord de la piscine. Un carnet à sa droite, un stylo entre les lèvres, mon père contemple la vue sur la mer qui s'éveille.

Mon cœur un peu courbaturé trouve la force de se serrer à nouveau devant ce tableau que j'ai pourtant vu tant de fois.

Le génie que j'ai adulé, haï, insulté, supplié, sans pourtant cesser d'aimer complètement. Je me sens prête maintenant, à tenter de retrouver ce lien si fort qui me liait à lui quand j'étais plus jeune.

— Papa...

Il tourne vers moi son profil si similaire au mien et hausse un sourcil.

— T'es déjà levée ?

Je hoche la tête et viens m'assoir près de lui.

Il ne dit rien tout d'abord, puis me jette un regard un peu lent.

— T'as laissé Naël tout seul alors, c'est pas cool ça.

Un petit hoquet d'étonnement et un instant d'inquiétude me traversent, mais il pose son bras sur mon épaule pour me pincer la joue avec un sourire amusé.

— Je t'ai entendue hurler cette nuit, dit-il, je suis sorti en me disant que t'avais p't'être besoin de parler, mais j'ai vu que Naël était plus rapide.

Je ne réponds pas, il n'ajoute rien. Un petit moment de silence se fait entre nous, puis il se lève et me tend la main pour m'aider.

— On va prendre un petit dej en ville, puis j't'emmène voir des coins que t'as jamais vu ? demande-t-il.

— D'accord.

Il parait soulagé et se passe la main dans les cheveux en me détaillant quelques secondes.

— Attends moi à la voiture, j'vais prévenir Maman.

Je le regarde s'éloigner vers la maison. Comme s'il ne pouvait pas se contenter de lui laisser un petit mot ou de lui envoyer un message.

Il y a quelques semaines, j'aurais été profondément agacée qu'il prenne la peine de remonter jusqu'à leur chambre, pour embrasser ma mère et lui dire qu'on s'en va, maintenant... Je crois que je m'en fous.

Quand il me rejoint il s'est un peu changé et un sourire satisfait flotte sur ses lèvres.

— Elle te souhaite une bonne journée, dit-il en se plaçant au volant.

Ce qu'on laisse à nos mômesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant