Chapitre 41

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Elle m'a menti ! Encore ! De toute évidence, elle n'avait jamais eu l'intention de rester à mes côtés.

Assis devant la cheminée du salon, un verre de whiskey à la main, Daemon essayait en vain d'oublier les événements qui venaient de se passer.

Voyant qu'elle n'était pas dans sa chambre, il s'était lancé à sa recherche. Il s'était rué à l'extérieur, hurlant son nom dans les ténèbres. Puis il avait sentit son odeur non loin de là. N'obéissant qu'à son Instinct, il l'avait rejointe. Mais lorsqu'il l'avait aperçue dans la forêt, seule, se préparant à l'abandonner une fois de plus, une fureur sans nom s'était emparée de lui. Le besoin de la marquer l'avait consumé. Il s'en voulait de la façon dont il avait réagit, mais s'en voulait encore plus de s'être laissé berner. Il l'avait attendue si longtemps, l'avait crue quand elle disait vouloir un avenir pour eux, mais elle mentait, visiblement. Tout ce qui sortait de sa bouche n'était que mensonge et trahison. Pour elle, il avait été prêt à faire de nombreux sacrifices, si seulement son intérêt avait été réciproque.

S'il continuait sa veine tentative de séduction, ils risquaient tous deux de souffrir et à la fin, il n'y aurait aucun gagnant.

Il avait cherché son âme sœur pendant des années, et lorsqu'enfin il l'avait trouvée, voilà qu'il devait la laisser partir. Il n'avait jamais connu d'immortels ayant renoncé à celui que le destin avait choisi pour lui. Savoir qu'il ne reverrait plus sa longue chevelure noire de jais cascadeur librement autour de ses larges hanches, qu'il ne pourrait plus toucher sa peau douce comme de la soie, entendre son rire contagieux, amplifia son amertume. Par tous les dieux, même son humour qu'il ne comprenait pas toujours et ses répliques cinglantes lui manquaient déjà.

Sans se rendre compte de ce qu'il faisait, d'un geste brusque de la main il serra son verre de whiskey qui éclata en morceaux. Il regarda les fines gouttelettes de sang couler le long des blessures qui commençaient déjà à cicatriser, songeant qu'aucune douleur ne serait comparable à celle qu'il était en train de vivre.

- Toi non plus tu n'arrives pas à dormir ? fit une voix douce dans son dos.

Jaelyn entra dans le salon, vêtue d'un peignoir fermé sur le devant, les mains posées sur son ventre rond.

- Il semblerait que toi non plus.

- Je cherche Kaya, mais elle n'est pas dans sa chambre. Aurais-tu une idée de l'endroit où elle pourrait être ?

- Kaya ne reviendra pas.

- Vous vous êtes de nouveau disputés ?

Il ne répondit pas, se contentant d'observer les flammes danser entre les bûches.

- Je ne sais pas ce qui s'est passé entre vous, et cela ne me regarde probablement pas mais...

- Cela ne te regarde pas en effet, la coupa-t-il d'une voix douce mais ferme. Mais si tu veux tout savoir, elle est partie de son plein gré.

- Et tu n'as pas essayé de la rattraper ?

- Je ne fais que ça, et ce depuis un siècle. Chaque fois que je fais un pas vers elle, elle semble s'éloigner.

- Il doit forcément y avoir une raison. Elle ne peut être partie ainsi.

- À ma connaissance, ce n'est pas la première fois qu'elle tente de s'évader en pleine nuit sans m'en avertir. Et la première fois, tu as grandement facilité sa fuite si je ne m'abuse.

Elle releva fièrement le menton en guise de défi.

- Et si je me souviens bien, elle était totalement en droit de partir, cette nuit là. Ou dois-je te rafraîchir la mémoire ?

Il émit un grognement de mécontentement. Il n'oublierai jamais la façon dont il l'avait traitée, à quel point elle avait souffert, pas plus qu'il ne pourrait se pardonner d'avoir été à l'origine de ces méfaits.

- Ecoute, Jaelyn. Tu ne connais ta tante que depuis quelques mois, je la connais depuis plus d'un siècle. Avec toi, elle semble se comporter différemment, mais Kaya n'agit jamais que pour servir ses intérêts.

- Sin et toi, vous n'arrêtez pas de dire ça. Mais si vous cessiez de la juger et commenciez par l'écouter, vous verriez qu'il n'en est rien.

- Je ne demande que cela, depuis des siècles. Et à chaque fois, je me heurte à un mur. Elle le répond des phrases toutes faites, "je ne peux rien te dire pour l'instant", "tu sauras tout le moment venu". Ma patiente a des limites, et elle vient de les atteindre.

- Daemon, tu n'es pas juste avec elle. As-tu déjà essayé de penser à ce qu'elle ressent ?

- Où veux-tu en venir ?

- Tu n'as jamais songé que tu lui en demandais un peu trop ? Toute sa vie Kaya n'a agit qu'en obéissant à ses propres règles, sans rendre de comptes à personne.

- Ce n'est pas une erreur de faire confiance aux autres ou de demander de l'aide de temps à autre.

- Certes, mais pour elle ça l'est. Tu demandes à une immortelle qui s'est toujours débrouillée toute seule de changer brusquement ses habitudes. L'unique personne en qui elle a fait confiance la payé de sa vie.

- Tu fais référence à...

- À ma mère, oui. Kaya à vécu sa mort comme un abandon. Il n'y a pas un jour qui passe sans qu'elle ne se sente coupable.

- Est-ce elle qui t'a dit tout cela ?

- Elle n'en a pas eu besoin. Je suis une femme. Lorsque Sin m'a dit que j'étais une devineresse, et son âme sœur qui plus est, je n'ai eu qu'une envie, que tout cela ne soit qu'un cauchemar. Je voyais mon avenir déjà tout tracé, j'avais prévu de devenir nutritionniste, et voilà qu'un inconnu m'annonce qu'il n'en serait rien. En une seconde, ma vie avait basculé, et je passais d'une vie humaine ennuyante mais simple à celle d'une immortelle constamment en danger. Mais s'il y a une chose dont je suis sûre, c'est que pour rien au monde je ne regretterai ce changement. 

Elle accentua ses paroles en posant tendrement ses mains sur son ventre légèrement rebondi. Mais en une fraction de seconde, son visage se décomposa, comme si une vive douleur s'était emparée d'elle.

- Quelque chose ne va pas ? s'inquiéta Daemon en faisant un pas vers elle.

- Non, enfin je ne sais pas. De violentes douleurs m'ont réveillée. Je pensais qu'il s'agissait de contractions, mais ça ressemblait plus à... des brûlures, comme si on me brûlait vive. C'est pour cela que je voulais parler à Kaya. Tu penses que ça pourrait être une vision ?

- Aussi réaliste ?

- Kaya m'a dit que les devineresses étaient liées. Et si ça avait un rapport avec Samia ?

- Samia ?

- Oui, la devineresses que retient prisonnière Klaus.

- Samia, répéta-t-il, comme si ce nom lui était familier. J'ai déjà entendu ce prénom.

Il écarquilla soudain les yeux.

- Kaya ! Je l'ai entendue prononcer son nom lorsqu'elle quittait le château. C'était ce dont elle voulait me parler, tout à l'heure.

Il étouffa une montagne de jurons.

- Qu'ai-je fait ? Je l'ai laissée partir !

Sur le moment il avait cru qu'il s'agissait de la seule solution possible.

- Il faut que je la retrouve ! dit-il en se précipitant vers la sortie.

- Fais-vite. J'ai un mauvais pressentiment, s'écria Jaelyn alors qu'il avait déjà franchit la porte.

Sa mâchoire se serra. Si l'instant d'avant, il ne désirait que la sortir de ses pensées, il n'avait plus qu'elle en tête en ce moment. Dire qu'il avait failli renoncer à son âme-sœur à cause d'un simple malentendu. Ainsi, elle n'avait pas voulu le quitter lui, comme il l'avait cru. Elle hantait ses rêves depuis des siècles durant, il la désirait tout en redoutant qu'elle ne l'éloigne du droit chemin, et lorsqu'enfin il avait eu l'occasion de lui prouver qu'il avait confiance en elle, il l'avait abandonnée. Il se maudissait pour cela. Kaya était sa destinée, sa rédemption, et désormais sa priorité. Il avait de nombreuses choses à de faire pardonner, et sa seule consolation résidait dans le fait qu'il aurait l'éternité pour le faire.

Les Frères De La Nuit -2- La Morsure Du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant