Chapitre 38º

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...Oui, nous allons avoir une belle vie.

— Je crois que la coutume veut qu’on scelle les fiançailles par un baiser, non ?

      Sans attendre sa réponse, il l’enlaça et prit possession de sa bouche.

      — Ensuite, il faudra que je t’achète une bague de princesse.

      — Pas si vite. Pour épouser quelqu’un comme moi, tu vas devoir respecter le protocole et demander officiellement ma main à mon frère, le roi de Brestania.

    Sophia inspira longuement, les yeux fermés, faisant appel à tout son courage. Puis elle les rouvrit et avança dans la salle du trône du palais royal de Brestania, escortée par un majordome et Ben. Ses talons aiguilles claquaient sur le sol de marbre. Elle leva les yeux vers les tableaux représentant ses ancêtres. Cela faisait une éternité qu’elle n’était pas venue dans cette pièce. Quelques années plus tôt, c’était ici que son frère avait été couronné, après la mort soudaine de leur père.

      Les lourdes portes de bois sculpté se refermèrent derrière eux. Sa vie avait bien changé depuis la dernière fois qu’elle avait vu son frère. Elle aussi avait bien changé. Elle avait découvert la Californie, elle avait traversé le Pacifique en bateau, elle s’était aventurée dans la chaleur étouffante de l’Outback australien, puis dans la campagne anglaise enneigée, elle avait arpenté New York, la ville qui ne dort jamais.

      Et aujourd’hui elle était de retour dans son île natale.

      Elle aurait dû se sentir chez elle, à l’aise, mais avait plutôt l’impression d’être une étrangère dans son propre pays. Sans doute parce qu’elle était accompagnée d’un homme qui s’apprêtait à demander sa main au roi.

      À quoi pensait Ben, debout à côté d’elle ? Était-il impressionné par les deux trônes devant eux ? Des trônes décorés de diamants, de rubis et d’émeraudes aussi gros que des balles de ping-pong. L’un d’eux était vide cependant, son frère n’ayant toujours pas trouvé l’épouse idéale — ce qui ne l’empêchait pas d’accumuler les aventures d’un soir. L’égalité entre hommes et femmes se faisait encore attendre, à Brestania  : Phil avait le droit de coucher avec autant de femmes qu’il le désirait alors qu’elle avait été forcée de rester vierge jusqu’à sa nuit de noces.
Elle s’attarda sur les traits de son frère : visage autoritaire, regard noir… Contrairement à elle, il était né pour régner.

      Sur un signe du majordome, ils s’arrêtèrent à quelques pas de Philippe.

      — Si j’ai bien compris, lança celui-ci à Ben sans s’embarrasser des règles élémentaires de politesse, vous avez offert l’asile à ma sœur, vous lui avez assuré une protection efficace. Je vous en suis très reconnaissant. La princesse Sophia s’est conduite d’une façon inappropriée. Tout est heureusement rentré dans l’ordre aujourd’hui. Pour vous remercier, je souhaiterais vous récompenser. Des terres, de l’argent… Je suis prêt à vous offrir de votre récompense.

— Une récompense est inutile, Altesse. Je n’ai fait que mon devoir.

      Nerveuse, Sophie serra les poings pour s’empêcher d’intervenir. Ben ne se rendait-il pas compte que refuser l’offre de Phil était une erreur ? Ici, jamais personne ne refusait une proposition du roi…

      Les deux hommes restèrent silencieux, les yeux dans les yeux, comme s’ils jaugeaient leurs forces respectives. Phil semblait avoir de plus en plus de mal à cacher son impatience et son énervement.

      — Comme vous voudrez. Concernant votre intention d’épouser ma sœur, je suis désolé mais, pour des raisons que je n’ai pas à vous énoncer, ce n’est pas possible Sans un mot, Ben serra la main de Sophia dans la sienne. Agissait-il ainsi pour que Phil ne voie pas à quel point ses doigts tremblaient ? Si oui, c’était une bonne idée.

      — Je comprends très bien vos réserves, Altesse. Sophia est votre sœur, vous l’aimez, vous êtes attentif à son bien-être. Je comprends également que je ne suis pas l’époux que vous imaginiez pour elle. Cependant, même si je suis un roturier, je suis très riche. J’ai donc les moyens de la protéger. Vous n’avez aucun souci à vous faire concernant son avenir.

      — Ce n’est pas la question, jeta Phil, tranchant. J’ai fait quelques recherches sur vous. La réputation de votre famille est… nuancée, et c’est le moins que je puisse dire.

      — Je ne nie pas l’histoire mouvementée de ma famille. Sachez cependant que jamais je ne ferai de mal à votre sœur. Et rien de ce que vous pourriez dire ne vaincra ma détermination. J’ai bien l’intention d’épouser Sophia, avec ou sans votre permission ; même si je préfère évidemment recevoir votre approbation. Avant de quitter New York, je lui ai juré que je lui serais fidèle. Je répète ce vœu aujourd’hui, en votre présence. Je jure d’être le meilleur époux possible.

      Tenaillée par l’angoisse, Sophia ferma les yeux. Tout à coup, elle n’avait plus aucune force. Elle était prête à s’évanouir. La tension qui régnait dans la pièce l’épuisait, l’étouffait. Personne ne parlait jamais à Phil de cette façon. Et personne ne l’interrompait non plus.

      Seigneur, toute cette histoire allait très mal finir…

      *  *  

UN Millionnaire Pas Comme Les AutresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant