Chapitre 3º

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La fébrilité de Sophia avait augmenté d’un cran. Elle avait du mal à respirer. Pourquoi se mettait-elle dans cet état ? Ce n’était pas la première fois qu’elle préparait du thé, elle en faisait dix fois par jour.

      Elle attrapa la théière. Pourquoi Ben suivait-il tous ses mouvements ? Pourquoi était-il ici, d’ailleurs ? Brady lui avait pourtant affirmé qu’il ne l’attendait pas dans l’Outback avant le printemps ; à ce moment-là, elle aurait quitté l’Australie depuis longtemps.

      Plus que quelques semaines avant Noël… Entre le soleil, la chaleur quasi tropicale et tous ces oiseaux colorés qu’elle n’avait jusqu’à présent vus que dans des documentaires, elle n’y avait même pas pensé. À la demande des ouvriers agricoles, elle avait néanmoins décoré la ferme avec quelques guirlandes. Elle avait même acheté un petit sapin dans la supérette du village. Tout cela était un peu dérisoire, mais cela la changeait des fêtes de Noël de son pays.

      Des images de son passé envahirent son esprit. Elle repensa aux Noëls traditionnels, dans son île natale. Elle n’avait même pas besoin de fermer les yeux pour revoir les guirlandes dorées, les bonbonnes de biscuits, l’énorme sapin éclairé par de vraies bougies installé dans la salle du trône. En dessous du sapin, une impressionnante pile de cadeaux attendait d’être distribués aux enfants de l’île par Sophia et son frère.

      Une vague de solitude l’assaillit. Tout à coup, elle se sentait fragile, vulnérable. Il serait tellement facile de tout abandonner et de rentrer à la maison. Le problème était qu’elle n’en avait pas envie. Elle devait d’abord décider quelle vie elle voulait mener.

      La bouilloire se mit à siffler. Si seulement Ben Parker pouvait aller boire son thé dehors, ou dans ses appartements ! N’importe où mais loin d’elle.

      Il s’appuya contre le bord de la fenêtre et la dévisagea. Il semblait n’avoir aucune envie de partir ; ni, contrairement à la plupart des gens,être gêné par le silence. Ne voyait-il pas qu’en la fixant ainsi, il la mettait mal à l’aise ? Il fallait à tout prix qu’elle se reprenne, qu’elle parle, qu’elle fasse quelque chose. Pourquoi ne parvenait-elle pas à se comporter comme s’il s’agissait d’un simple inconnu avec lequel elle devait juste échanger quelques mots polis ?

      — Vous arrivez directement d’Angleterre ?

      Elle sortit une bouteille de lait du réfrigérateur.

      — Non, répliqua-t-il, le visage était fermé, et la voix sévère. J’étais en voyage d’affaires au Moyen-Orient. Je suis arrivé à Brisbane hier et je me suis dit que ce serait dommage de ne pas venir jusqu’à la ferme, j’étais si près. À titre d’information, sachez que je ne vis pas en Angleterre.

      Son regard gris était aussi acéré qu’une tranchante lame d’acier.

      — Je croyais…

      — … Que mon accent était anglais ? acheva-t-il à la place de Sophia. Il l’est. Il paraît qu’on ne perd jamais l’accent du pays dans lequel on est né, mais cela fait longtemps que je n’ai pas séjourné en Angleterre. À propos d’accents, je n’arrive pas à reconnaître le vôtre. Je ne crois pas en avoir jamais entendu un similaire. Êtes-vous grecque ?

      — Du sucre ? Du lait ? bafouilla-t-elle, désireuse de changer de sujet.

      — Ni l’un ni l’autre. Je bois mon thé nature.

      Elle lui tendit une tasse. Si seulement il pouvait bouger un peu, se dit Sophia. Adossé ainsi, les jambes tendues, son pantalon moulait un peu trop les muscles puissants de ses jambes. Elle n’avait pourtant pas l’habitude de regarder les hommes. D’ailleurs, si jamais elle avait voulu se rincer l’œil, son comportement aurait été repéré par les prunelles de Ben, qui suivaient chacun de ses mouvements comme des caméras de surveillance. Même l’homme qui avait
été choisi pour elle, réputé être l’un des plus beaux célibataires du monde, n’avait jamais fait battre son cœur de cette façon.

      Pour se donner une contenance, elle fit mine d’enlever des miettes sur la table.

      — Où vivez-vous ? demanda-t-elle.

      — Principalement à New York, même si j’ai passé beaucoup de temps ici lorsque j’ai acheté la ferme. En fait, je voyage beaucoup. Je suis en quelque sorte un nomade des temps modernes. Quant à vous, vous n’avez toujours pas répondu à ma question.

      Il but une gorgée de thé et la regarda avec un sourire malicieux.

      — Que vouliez-vous savoir, au juste ?

      À vrai dire, Sophia n’avait pas oublié sa question. Elle espérait juste que lui l’avait oubliée.

      — Je vous ai demandé si vous étiez grecque.

      Devait-elle mentir ? Non, elle n’en avait pas envie. Mais dire la vérité serait comme dégoupiller une grenade, qui risquerait ensuite d’exploser à tout moment. Son anonymat serait découvert, sa cachette serait révélée et tout le monde lui poserait des questions. Que pouvait-elle dire alors ? Qu’elle était une princesse qui en avait assez d’être une princesse ? Qu’elle était une femme qui avait grandi dans un immense palais, isolée du monde réel ? Qu’elle était une femme qui avait été blessée, humiliée, et qui était venue à l’autre bout du monde pour découvrir si elle était ou non capable de s’en sortir seule ?

      Elle croisa le regard insistant de Ben.

      — Ma grand-mère était grecque. Le grec est ma langue maternelle.

      — Vous parlez d’autres langues ?

      — L’anglais.

      — Évidemment. Et ?

      Gênée, elle se mordilla la lèvre.

      — Je me débrouille aussi en italien et en français
— Dites donc, vous êtes une tête ! Vous avez de nombreuses qualifications, pour une femme qui vient de passer les derniers mois à préparer des sandwichs pour des ouvriers agricoles.

      — J’ignorais que mes compétences linguistiques étaient un handicap pour travailler comme cuisinière dans une ferme, monsieur Parker.

      *  *  

UN Millionnaire Pas Comme Les AutresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant