Chapitre 44º

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Il avait tout ce qu’il pouvait désirer. Tout. Alors pourquoi cette impression tenace que quelque chose manquait à son bonheur ?

      Nerveux, Ben arpentait le salon de son appartement new-yorkais. Il agissait comme si tout allait bien : il concluait des contrats, travaillait, fréquentait des soirées. Bref, sa vie continuait. La preuve, il avait même invité une femme au théâtre, la nuit précédente.

      Il arrêta de marcher, se frotta nerveusement la joue, lâcha un long soupir. Cette femme avait dû être déçue. Elle avait sous-entendu qu’elle était prête à partager son lit, mais sa proposition l’avait laissé de marbre. Pire même : à la simple idée de toucher cette femme, la nausée l’avait gagné. Il ne désirait toucher aucune femme. À l’exception d’une seule.

      Sophia.

      Satanée Sophia !

      Il recommença à faire les cent pas. Pourquoi diable ne parvenait-il pas à oublier cette femme ? Leur séparation était la meilleure des solutions, il le savait ; il ne pouvait pas lui offrir ce qu’elle désirait.

      Des images de sa princesse s’insinuèrent dans son esprit. Il revoyait son regard d’un bleu aussi pur que le ciel du Queensland, ses cheveux en cascade sur ses frêles épaules, le sourire distant qu’elle lui avait adressé lorsqu’il avait quitté l’île d’Isolaverde. Il ne parvenait pas à oublier ce regard. Il y pensait sans cesse depuis son retour à New York.

      Que faire ?

      Il serra les poings. Il avait un problème, et il était temps qu’il trouve une solution Sophia terminait son petit déjeuner, dans la salle à manger baignée de soleil du palais de Brestania, lorsque Philippe la rejoignit.

      — Je me demandais si tu accepterais de m’accompagner jusqu’à la plage de menios, aujourd’hui, proposa-t-il.

      Elle repoussa son assiette de fruits et se força à sourire. Elle avait du mal, mais heureusement son frère n’était pas le genre d’homme à savoir analyser le visage des femmes — encore moins leurs états d’âme.

      — Tu veux que je t’accompagne pour une raison particulière ?

      — Je pense construire une maison là-bas et j’aimerais avoir ton avis.

      — Mon avis t’intéresse ?

      — Bien sûr. Pourquoi cet air étonné ?

      Elle ouvrit la bouche, puis la referma. Phil cherchait à l’impliquer davantage, ce qu’elle lui avait demandé avant de fuir en Australie, alors elle ne pouvait pas refuser Résolue à faire bonne figure, elle regagna sa chambre, cacha ses cheveux sous un chapeau de paille, puis fixa son reflet dans le miroir. Elle avait maigri, ses traits étaient tirés, ses yeux cernés. Il fallait à tout prix qu’elle se reprenne.

      Comment ? Elle ne pouvait même pas en vouloir à Ben, il avait toujours été honnête avec elle. Si elle devait blâmer quelqu’un, c’était elle. Elle qui n’avait pas été capable de se contenter de ce qu’il lui offrait. Dès le départ, il avait été clair, il avait exclu tout sentiment. Malgré tout, elle lui avait demandé de l’amour. Quelle idiote !

      Elle avait changé depuis le départ de Ben. Chaque jour, elle devenait plus forte. Parfois, elle arrivait même à passer quinze minutes sans que le beau visage de son ancien amant n’envahisse son esprit ; elle se rappelait alors tout ce qu’elle avait perdu…

      En fait, non, elle n’avait rien perdu. Rien du tout. Elle avait juste mis un terme à une relation qui aurait forcément fini par la faire souffrir ; elle avait juste évité un mariage à sens unique avec un homme incapable de l’aimer. Elle avait été forte, et non faible.

      Un jour, elle serait capable de se féliciter d’avoir fait preuve d’autant de force de caractère. Un jour, mais pas aujourd’hui ; pas encore.

      Philippe avait accepté de lui donner davantage de responsabilités. Il avait également accepté de la laisser partir à Paris suivre des cours de cuisine. Il avait accepté toutes ses demandes sans qu’elle ait besoin de se battre ou d’insister. Finalement, être indépendante était moins difficile qu’elle le pensait.

      Elle s’installa derrière le volant de sa voiture. Tout ce dont elle avait besoin, c’était d’affirmer haut et fort ce qu’elle désirait. Son problème avant de rencontrer Ben, c’était qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’elle désirait. Et aujourd’hui que leur relation était terminée, elle allait être obligée de s’inventer de nouveaux désirs, des désirs qui n’auraient rien à voir avec lui.

      Elle prit la route côtière en direction de la partie orientale de l’île. Le ciel était uniformément bleu, d’un bleu clair qui contrastait avec le bleu sombre et profond de la mer qui étincelait quelques mètres plus bas.

      Assimenios était le lieu le plus pittoresque de l’île, qui comprenait une plage privée de sable blanc réservée à la famille royale et à ses invités.

      Sophia gara sa voiture et descendit sur la plage déserte. Elle avait de nombreux souvenirs, ici. Enfant, elle venait souvent avec Philippe et Marilyn. Elle fit quelques pas sur le sable. Non loin, un yacht était au mouillage. Son regard s’attarda sur les lignes arrondies du bateau, puis revint sur la plage. À présent, un homme se tenait debout face à l’horizon.

      Et pas n’importe quel homme…

      Ben !

      Sophia fit taire la part d’elle-même qui ruisselait de joie. Leur relation était terminée. Dans ce cas-là, pourquoi était-il ici ? Pourquoi venait-il la voir ? Pour la tenter ?

      Elle serra les poings. La colère était en train de la gagner. Tant mieux, car sa saine colère allait lui permettre de ne pas céder à une quelconque tentation. « Tout est fini », se répéta-t-elle plusieurs fois.

      Malgré tout, elle était curieuse. D’autant que son cœur battait si fort qu’il lui faisait mal. Un instant, elle fut tentée de faire demi-tour, de reprendre sa voiture et de rentrer à toute allure au palais. Mais ce serait fuir, et elle en avait assez de fuir.

      Alors, pieds nus, elle se dirigea vers Ben, le pouls de plus en plus affolé à mesure qu’elle s’approchait.

      — Ben.

      — Sophia.

      Elle s’arrêta en face de lui sans le regarder. Elle fixait la surface de la mer, comme si elle préférait admirer son yacht plutôt que lui.

      — À qui est ce bateau ?

      — Je l’ai acheté pour toi.

      Sophia ne put retenir un ricanement.

      — Tu m’as acheté un bateau ? C’est l’équivalent du classique bouquet de fleurs, chez les millionnaires ? lança-t-elle, ironique et cinglante.

      — D’une certaine façon. En fait, je l’ai surtout acheté parce que je le trouvais superbe, et j’imaginais qu’une navigatrice de ton calibre aimerait naviguer dessus. Je me suis mis d’accord avec ton frère…

      — Je peux prendre mes décisions toute seule ! s’emporta-t-elle, les poings serrés. Et ce que pense mon frère m’importe peu. Dis-moi plutôt ce que tu fais ici. Tu apparais comme si de rien n’était, sur une plage privée, sans prévenir…

      *  *  

UN Millionnaire Pas Comme Les AutresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant