Chapitre 42º

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Sophia plissa le front. Une production à gros budget ? Que voulait-il dire par là ? Elle ne parvenait pas à lire en lui. Son visage était fermé. En fait, depuis le fiasco de la veille, leur relation était tendue ; Ben ne l’avait même pas touchée. Le point positif, c’était que cette distance physique avait libéré Sophia de sa crainte d’un nouvel échec.

      Refoulant ses questions dans un coin de son esprit, elle se laissa guider parmi les autres danseurs.

      De nombreuses raisons pouvaient expliquer la distance qui était apparue entre eux. Peut-être Ben avait-il changé d’avis et renoncé à l’épouser en la voyant évoluer dans l’environnement empesé du palais. Le temps était sans doute venu d’avoir une conversation sérieuse avec lui. Sophia décida d’être courageuse et prit le taureau par les cornes :

      — Tu es toujours d’accord pour annoncer le mariage demain ?

      — Je ne reviens jamais sur ma parole
Sophia tiqua. Cette réponse ne la rassurait pas beaucoup, manquait un peu trop d’enthousiasme et de conviction à son goût.

      Le morceau se termina et un aristocrate en vue d’Isolaverde, qu’elle connaissait depuis sa plus tendre enfance, vint lui demander une danse. Elle refusa au prétexte qu’elle avait envie d’un verre. C’était une excuse, elle avait encore moins envie de boire que de danser. Elle cherchait surtout une distraction, de manière à pouvoir observer discrètement Ben, qui venait d’inviter une beauté locale à danser.

      Son cœur se serra. Pourtant, Sophia ne pouvait pas en vouloir à la sculpturale créature. Quelle femme refuserait de passer un moment entre les bras de Ben ? Certes, il était roturier, mais il était d’abord l’homme le plus séduisant de la soirée.

      Le couple virevoltait sur la piste. Se faisait-elle des idées ou avait-il vraiment l’air plus détendu que lorsqu’il était avec elle ? À la décharge de son fiancé, il n’avait pas dû éprouver un grand plaisir à danser avec une femme aussi chaleureuse qu’un iceberg…

      Elle tenta de demeurer impassible, mais impossible de refouler la jalousie qui montait en elle. C’était stupide, Ben ne faisait que danser de façon tout à fait innocente. Elle le croyait lorsqu’il affirmait qu’il lui serait fidèle, tout comme elle le croyait lorsqu’il lui affirmait qu’il n’était pas le genre d’homme à revenir sur sa parole. Tout cela, c’était avant, cependant, avant qu’elle reste de marbre entre ses bras, avant qu’il découvre à quoi ressemblait la vie dans le palais royal de Brestania.

      Elle ferma les yeux. L’air lui manquait, tout à coup. Nerveuse, elle se réfugia derrière un grand pilier de marbre et s’adossa contre le mur pour tenter de se reprendre. Pourquoi se mettait-elle dans cet état ? Rien n’avait changé. Elle avait lié son avenir à celui d’un homme qui lui promettait la sécurité du mariage, mais aucun sentiment.

      Exactement comme Josh autrefois...
Sophia comprit qu’elle était de nouveau tombée dans un piège. Sauf que, cette fois-ci, le piège était pire. Bien pire.

      Elle connaissait Rafe plus intimement qu’elle n’avait jamais connu personne. Elle avait été sa maîtresse, avait partagé son lit. Elle lui avait préparé à manger. Il l’avait invitée à des soirées, à des spectacles. Ils avaient fait du shopping ensemble, avaient arpenté les rues enneigées de New York. Et, au fil des jours, elle était tombée amoureuse de lui. Oui, le piège était mortel pour elle…

      La musique changea soudain et l’orchestre se lança dans un fox-trot. Elle n’avait aucune raison de paniquer. Demain, Ben glisserait sur son doigt une bague ornée d’un gros diamant. Le peuple de Brestania serait ravi d’apprendre que la princesse allait enfin vivre son conte de fées.

      Sauf qu’il ne s’agissait pas d’un conte de fées.

      Elle était toujours la même princesse docile, incapable d’exister sans l’aide d’un homme puissant. En fait, elle n’avait pas grand-chose à envier aux princesses du Moyen Âge dont les tableaux ornaient le hall d’entrée du palais !

      Comment pourrait-elle s’engager dans une relation à sens unique en sachant qu’elle souffrirait à coup sûr ? Comment pouvait-elle obliger Ben à l’épouser alors qu’elle n’était pas en mesure de respecter le contrat qu’ils avaient conclu, stipulant que l’amour ne rentrerait jamais en ligne de compte ?

      De nouvelles pensées négatives l’envahirent. Elle les refoula, continuant à sourire comme si de rien n’était. Elle dansa avec le Premier ministre, puis avec diverses personnalités. Elle dansa même à nouveau avec Ben, et se força à ne pas l’interroger sur les femmes avec lesquelles il avait dansé.

      Voilà à quoi ressemblerait sa vie avec un homme qui ne pouvait pas l’aimer. Un homme que toutes les femmes désireraient tandis qu’elle serait obligée de taire ses sentiments pour lui Il promena une main douce dans son dos tout en la guidant avec assurance sur la piste.

      — Détends-toi.

      — J’essaye.

      — Alors essaye plus. Bientôt, tout sera terminé.

      En effet, tout serait bientôt terminé. Il avait bien choisi ses mots ! Elle ne pouvait plus se voiler la face, elle le savait désormais. Tôt ou tard, elle devrait affronter la vérité. Elle ne pouvait accepter ce mariage. Pour leur bien à tous les deux, elle devait mettre un terme à cette mascarade. Seigneur, comme c’était difficile…

      — Ben, il faut que je te parle.

      — Je t’écoute.

      — Non, pas ici. Il y a trop de monde. Pouvons-nous aller dans un lieu un peu plus privé ? S’il te plaît, c’est important.

      Il riva le regard au sien.

      — Le bal n’est pas encore terminé.

      Il lui faisait la leçon sur le protocole ? Voilà qui était ironique, songea Sophia.

      — Après le feu d’artifice, et après le départ de mon frère, retrouve-moi dans le cabinet rouge. Tu sais où il se trouve ?
— Oui.

      Tant bien que mal, Sophia parvint à survivre à la soirée. À minuit, les baies vitrées donnant sur le jardin furent ouvertes. Les invités se dirigèrent vers les terrasses, tandis que toutes les cloches de l’île sonnaient pour célébrer l’arrivée de la nouvelle année. Les larmes commencèrent à lui piquer les yeux. Les spectateurs applaudissaient le feu d’artifice. Elle ne pouvait pas se réjouir. Elle était bien trop nerveuse.

      La soirée s’étira encore de longues minutes, durant lesquelles elle se contenta de guetter l’heure. Son cœur battait fort dans sa poitrine lorsqu’elle prit enfin le chemin du cabinet rouge.

      *  *  

UN Millionnaire Pas Comme Les AutresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant