36. MENTAL

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Samedi.

« Dis Siri, joue la playlist Mood » élevai-je la voix avec l'espoir que, de l'autre bout de la pièce, mon tél posé à plat sur le sol réponde à ma requête. Bien sûr, ce ne fut pas le cas. Je dus me lever pour l'atteindre et lancer moi même Apple Music. Tu parles d'une intelligence artificielle! Pfff. Qu'est ce la technologie sans l'homme?!

Affalée sur le canapé, je m'étais réveillée vers midi, la tête en vrac en cherchant des remèdes à mon état semi-végétatif. Il était bientôt 21h et je restai sans nouvelles du Polak. À chaque vibration de mon téléphone, j'espérai secrètement son message m'annonçant un mauvais prank.

Le fond sonore s'accordait désormais parfaitement avec mon état. The Weekend, Post Malone, Kehlani se succédaient tandis que je m'apprêtai à mettre de l'ordre dans le bordel qui s'était accumulé à l'intérieur de mon studio. Tout était en désordre : canapé, lit, cheveux, cœur. En rangeant les vêtements dans mon armoire, je tombai sur des vielles sapes à lui. Un maillot de foot imprégné de son parfum, une veste en cuir portant les vestiges de nos virées nocturnes...Et c'était reparti, mes larmes s'accrochèrent à mes yeux.

22h30.

Je m'accroupis pour reprendre mes esprits. Mon regard se porta soudainement sur mon carnet de notes qui triomphait au dessus d'une pile de bouquins de droit. Je m'en saisis et en le feuilletant, replongeai dans mes souvenirs. Depuis le drame, j'avais pris l'habitude d'adresser des courriers à Isaac et Maman en sachant pertinemment qu'ils étaient vains mais ça m'aidait, c'était rassurant libérateur et curatif.

Je me saisis du vieux crayon que j'avais abandonné dans la spirale du cahier pour vaguer doucement dans l'extase de mon inspiration :

Maman,

Voilà plusieurs semaines que je n'ai pas écrit. J'ai entassé mes états d'âmes au lieu de les cristalliser sur papier comme tu m'avais toujours conseillé.

Ces derniers temps, ma vie a été un peu agitée. Je sombre dans le quotidien métro-fac-dodo. Les cours me boivent, chaque semaine je songe à tout plaquer pour devenir éleveuse de chèvres mais j'me souviens de l'adage qui dit que quand tu étudies, il est impossible d'avoir officiellement raté ta vie. Pas vrai?

La vie parisienne, c'est le pied. Comme papa, m'avait promis, ici tout est d'une indicible grandeur. Le seul hic, c'est qu'il n'est pas là pour profiter avec moi. Il se fait plus remarquer par son absence que par sa présence. Parce qu'il a refait sa vie tu sais? Dans la foulée, sa nouvelle conquête lui a même pondu un enfant. Je ne lui en veux pas, je m'en veux juste d'avoir cru que rien ne pouvait rivaliser avec votre histoire et que le grand amour n'arrivait qu'une fois dans une vie.

...

D'ailleurs, je crois pouvoir être désormais légitime pour parler d'amour.

Maman, j'ai rencontré ce garçon. C'est un rappeur. Je sais ce que tu dois te dire. Mais ne t'inquiètes pas, il est loin du cliché véhiculé par les médias. Et puis, il a marqué ma vie à sa façon.

On se partage nos craintes, nos peines et nos secrets. C'est comme si, au sein de notre histoire je n'avais pas fini de le rencontrer encore et encore. Cette relation s'est imposée comme une trêve, une parenthèse, une plage apaisée au milieu d'une vie fade.

Avec lui je me sens bien. Enfin, je me sentais bien. Il m'a dit qu'il voulait qu'on arrête maman mais c'est le temps qui s'est arrêté. Suis-je amoureuse? Oui. Suis-je mélodramatique? Complètement.

Bunkoeur [ PLK ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant