4. PANNA COTTA & TIRAMISU

6.1K 206 18
                                    

Paris

19h30

Papa et moi étions en direction des Champs Elysées. C'était une des rares fois où il avait la soirée libre. Généralement, quand il ne travaillait pas, on profitait pour faire nos soirées pizzas devant une série Netflix ou on se faisait des restaurants quand on avait davantage de temps à tuer.

C'était notre premier week-end sur Paris, on ne s'était pas retrouvés depuis l'emménagement. Alors, il fallait marquer le coup.

À Grenoble, on s'était reconvertis en critiques culinaires pour le guide Michelin. On connaissait tous les recoins : brasseries et restaurants isérois n'avaient plus aucun secret pour nous. J'avais hâte de poursuivre notre carrière à Paris.

• •

Comme dans les films, l'ambiance était très sobre et la musique jazz en fond donnait un effet luxueux.
Papa faisait toujours les choses en grand. Il avait même fait une réservation.

- Reservation pour 2 au nom de Monsieur Jaíme Gónzalez

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

- Reservation pour 2 au nom de Monsieur Jaíme Gónzalez. - Mon père s'avança vers le pupitre de l'hôtesse d'accueil.

- Oui, monsieur « j'aime gonzalèsse » reprenait la bonne femme tant bien que mal. - suivez moi.

Je m'amusais à entendre des personnes francophones prononcer le prénom ibérique de mon père. Ils luttaient mais l'effort n'était pas négligeable.

• •

- Alors Paris? - demanda mon père en empoignant un bout de pain avec vivacité, il mourait de faim.

Je lui racontai comment je m'étais occupée ces derniers jours, les quartiers que j'avais visité, les photos que j'avais prises, les séries que j'avais commencé, celles que j'avais terminé, je ne pouvais m'empêcher de lui spoiler Peaky Blinders, papa feignit l'agacement, nous en rigolâmes tous deux aux éclats.

Le drame qu'on avait vécu fut fédérateur pour nous. Avant ça, c'était maman et moi d'un côté et Isaac et papa de l'autre. Filles et garçons. Maman était mon oreille attentive, je lui disais tout, elle me connaissait par cœur. Depuis, papa était depuis devenu son substitut.

- Ils sont mignons les parisiens? - demanda soudainement mon père d'un air moqueur.

Face à mon mutisme timide, papa poursuivit.

- Le petit rappeur là, le PLK il  était fort sympa, il n'a pas arrêté de parler de toi le premier jour après que tu sois partie.

Je faillis m'étouffer avec le bout de pain dans ma gorge. Papa, souriait en coin de bouche, comme s'il s'imaginait déjà grand père d'un bambin né d'une union fantasmée entre Polak et sa fille.

- Ah bon? - interrogeai-je en tentant de paraître détachée.

De nature perspicace, je n'avais cette fois rien pressenti. Polak et moi avions échangé brièvement entre deux scènes, rien de plus. Je me sentais quand même flattée d'avoir marqué son esprit. C'est fou comme les hommes ne laissent rien paraître.

J'aurais aimé que papa m'en dise plus sur les dires du Polak mais je ne voulais pas non plus lui montrer mon emballement, omettant de mentionner la soirée de demain soir à laquelle Polak en personne m'avait convié car je savais que papa m'aurait charié tout au long de la soirée.

Je me hâtai pour changer de sujet.

- Et toi, les parisiennes?

Il n'y a pas eu d'autres femmes dans sa vie depuis maman. Je ne voulais pas d'une belle mère mais j'espérais voir mon père heureux aussi. Je sais que l'amour d'une fille n'est en rien identique à celui d'une femme. Alors il méritait d'être comblé par cet amour différent.

- Rien en vu - rigola t-il.

Papa rigolait tout le temps. Il faisait tout passer par l'humour, c'était son arme de défense. C'est fou comme les hommes ne laissent rien paraître.

- Pour l'instant - répliquai je.

L'instant d'une minute, papa ne parla plus; il esquissa un sourire léger avant de prendre une bouchée de son tartare traditionnel, mais j'avais lu dans ses yeux qu'il en était tout autrement.

Un silence pudique s'installa. On n'avait jamais vraiment parlé de ce qu'il s'était passé, peut être pour se protéger l'un et l'autre. J'avais 18 ans à l'époque, nous avions consulté tous deux, de notre côté, des psychologues et entrepris des thérapies post traumatiques en tout genre.

Je ne sais pas comment lui l'avait vécu d'avoir perdu l'amour de sa vie, 18 ans de vie commune et son seul et unique fils, foudroyé dans la fleur de l'âge, à 15 ans, tout ça en une soirée. Il ne me l'avait jamais dit, mais je pense traduire ses émotions. Je pense que si je n'avais pas été là il allait sombrer, tout comme moi s'il n'avait pas été là.

Son travail aussi lui prenait beaucoup d'énergie et toute cette rage accumulée par ce sentiment d'injustice et de désespoir, il l'avait mis au service de HK Corp. Le connaissant je sais qu'il n'envisageait pas qu'une nouvelle femme entre dans sa vie de sitôt, car ça signifierait trahir maman.

Le serveur brisa ce silence.

- Un dessert, mademoiselle, monsieur?

- Une panna cotta pour ma fille - commença mon père.

- ...et un tiramisu pour mon père. - completai-je.

- Très bien. - dit le serveur surpris par cette façon étrange de commander nos desserts. Il s'éloigna.

Je lâchai un sourire complice à papa. La panna cotta c'était le dessert préféré de maman et le tiramisu celui d'Isaac. On se comprenait.

A l'arrivée des desserts, papa et moi continuâmes le repas tout en évoquant nos plans futurs, les anecdotes folles de sa profession et ma rentrée imminente.

Quelle belle soirée.

• •

Bunkoeur [ PLK ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant