Capitulum Tricesimum Quintum

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Friedrich fut tiré de ses souvenirs lorsque sa bien-aimée lui demanda quelle était la direction à emprunter à présent. L'air hébété qu'il porta sur elle dut la convaincre de la nécessité de lui poser la question à nouveau. En effet, il avait à peine entendu qu'elle s'adressait à lui. Ainsi, au bout de quelques minutes de chevauchée dans les rues de la ville, ils mirent pied à terre en face d'une imposante bâtisse. La demeure était immense : il s'agissait du cœur du Comté de Berg, suffisamment riche pour permettre à ses dirigeants de résider dans un bel endroit. À cause du nombre d'années écoulées depuis sa dernière visite, les habitants ne l'avaient pas reconnu. Cependant, le garde posté à l'entrée, après quelques secondes d'hésitation nécessaires à la mobilisation de lointains souvenirs, déclara qu'il allait prévenir Maître Konrad et Maîtresse Brünhilde de sa présence. Le ton de sa voix ne trahissait aucune émotion, à peine une légère surprise, mais il ressortit de lui une froideur à l'image de la température qu'il devait faire à cet endroit au mois de février. Un autre ouvrit les grilles afin de laisser les cavaliers passer. D'une inquiétante couleur noire, elles étaient hautes et comportaient en leur sommet des piques d'apparence acérées.

Le chemin, montant en pente douce, était suffisamment large pour être emprunté par une voiture et son attelage. Pavé de pierres, et surtout par temps pluvieux, il gardait les personnes qui l'empruntaient de l'enlisement dans une mare de boue. La brume, pourtant inhabituelle en cette saison, rendait la progression difficile : il fallait faire attention aux chevaux, afin que l'un d'eux ne se blessât pas en se coinçant un sabot dans les trous dans la voie, ce qui condamnerait l'animal et son cavalier à une chute rude et douloureuse. Fort heureusement, rien de cela n'arriva, et montures comme cavaliers parvinrent sains et saufs en haut de la colline, sur laquelle le château était construit. Celui-ci, d'une grande beauté, était d'une splendeur froide et majestueuse qui, au lieu d'accueillir les nouveaux arrivés, semblait vouloir les faire fuir à tout jamais. De plus, l'atmosphère, alliée à l'humidité apportée par le brouillard, avait l'effet dissuasif recherché, sans compter le claquement des sabots sur la pierre qui n'était rien pour rendre le trajet moins inquiétant.

Derrière une poterne, le château d'allure médiévale était fait d'une espèce d'assemblage de petits bâtiments bâtis de pierres grises reliés entre eux de manière aléatoire, et mêlait à la fois des bâtiments rectangulaires aux toits en pente couverts d'ardoises et de petites tours rondes surmontées d'ardoises plus foncées, presque noires. De chaque côté, ainsi que sur une falaise des plus escarpées, le vide offrait une vue imprenable sur la vallée et sur sa végétation. Cette disposition singulière permettait, à l'époque de sa construction, de voir les ennemis arriver depuis le lointain et de le défendre facilement sur le seul chemin praticable. À intervalles réguliers, des barbacanes rappelaient aux visiteurs le passé guerrier de l'édifice. Les fenêtres, presque toutes minuscules, ressemblaient davantage à des meurtrières et il était légitime de se demander comment la lumière pouvait ne fût-ce que pénétrer dans ce château. Il est vrai que les souvenirs que Friedrich avait de son enfance ne brillaient pas par leur ensoleillement et il fallait souvent se rapprocher des fenêtres, voire les ouvrir, au risque de faire entrer le froid. En effet, exception faite de l'été durant lequel il convenait de tout fermer pour ne point laisser s'échapper la fraîcheur conservée par les pierres, les températures dans cette région obligeaient ses habitants à se vêtir chaudement. Ainsi, à part les vitraux de la chapelle qui laissaient entrer une lumière colorée, ou les grandes baies de la salle de réception, les fenêtres étaient minuscules, à tel point qu'il n'était pas rare de devoir allumer une chandelle en plein jour.

Une fois devant l'entrée principale, les deux cavaliers descendirent de selle, et furent accueillis par une paire de serviteurs vêtus de noir et de gris, qui saluèrent leur maître et lui annoncèrent, sur le même ton monocorde que leur collègue en bas de la colline, que Monsieur et Madame les attendaient.

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