Capitulum Quintum Decimum

153 32 97
                                    

Une fois qu'elle eut allumé quelques chandelles à l'aide d'un briquet à amadou, Friedrich put en voir l'intérieur. Les murs de la cabane, toute de bois bâtie, étaient recouverts de planches grossières, mais agencées avec soin. Bien que modestement meublée, elle était spacieuse : composée d'une pièce à vivre, une table entourée de deux chaises trônait en son centre. La lumière, filtrant à travers les volets, faisait délicatement miroiter les casseroles qui pendaient au mur au-dessus d'un poêle où rougeoyaient encore quelques braises. Éclairant la pièce d'une douce chaleur, le reflet qui l'accompagnait mettait en valeur l'étagère présente à ses côtés, couverte de pots en terre cuite et dont émanaient de doux effluves de sauge et de romarin. Dans un coin, un balai se dressait fièrement, attendant de valser sur le sol à la recherche de moutons de poussière qui, en cet instant, brillaient par leur absence. En effet, en dépit de son apparence rustique, l'habitation était très propre.

Au fond, une porte donnait sur ce qui semblait être la chambre à coucher. Sur un signe de la jeune femme, il s'en approcha : l'espace était occupé par un lit de taille moyenne, une petite table, et à sa grande surprise, une étagère couverte de livres d'apparence disparate et empilés selon un ordre qui lui était inconnu.

« Bienvenue chez moi ! » put-il entendre derrière lui. Lorsqu'il se tourna vers elle, l'étonnement peint sur son visage, elle poursuivit, embarrassée : « Enfin... disons que cette cabane m'appartient. C'est une longue histoire... ».

N'ayant manifestement aucune envie d'aborder ce sujet immédiatement, et afin de faire diversion, elle s'approcha de lui, suggérant avec un sourire : « Je crois, jeune homme, que vous avez grand besoin d'un bain ! ». Celui-ci, gêné, ne comprit pas tout de suite, et tenta de protester, en vain. Elle lui lança une serviette et un objet ovoïde qu'il attrapa au vol, avant d'en prendre une elle-même. Puis elle posa son regard sur lui, l'air d'attendre quelque chose de sa part. Confus, il se rendit tout de même compte après quelques instants que l'odeur de cheval qui, à présent, contrastait tant avec le parfum fleuri du savon venait de lui : il balaya alors la pièce à la recherche d'un baquet ou de quelque récipient qui pût servir à la toilette, mais n'en trouva pas.

La jeune femme s'avança et son sourire s'élargit ; elle ouvrit la porte puis d'un geste de la main, déclara : « Après toi !

— Mais où veux-tu que je me lave ? demanda-t-il, sincèrement étonné.

— Eh bien, dans la rivière, pardi ! Allez, viens. »

Elle l'invita à la suivre, et quelques pas plus loin, s'arrêta au bord du fameux cours d'eau qui faisait entendre son chant. Devant son hésitation, elle ajouta : « Oui, je sais, elle est sûrement un peu froide, mais il n'y a rien de mieux qu'un bon bain frais pour tonifier les muscles après une longue journée de chevauchée. Voyons, ne va pas me dire que tu as peur d'un peu d'eau glacée, tout de même ? ».

Puis, voyant que les piques restaient sans effet, sans prévenir, elle le poussa en déclarant : « Allez, Monsieur le Baron, à la flotte ! » et un plouf sonore lui répondit. Celui-ci se retrouva trempé de la tête aux pieds. En riant, elle lui lança : « Bon, bah maintenant, il faut tout enlever, et savonner tout ça. Hop hop hop, au boulot ! Si tu veux, je me tourne ! À moins que tu ne préfères que je vienne te frotter le dos », ajouta-t-elle avec un sourire malicieux.

Loin de la timidité passagère qui l'avait envahie juste après l'attaque, elle avait retrouvé toute son espièglerie, et malgré le traitement qu'elle lui faisait subir, il en était le premier heureux. Cependant, gêné à l'idée de voir la jeune femme mettre ses menaces à exécution, il s'empressa d'obéir et fut bientôt propre comme un sou neuf. Une fois qu'il fut remonté sur la rive et rhabillé, elle lui demanda de se tourner afin qu'elle pût se dévêtir, et sauta dans l'onde en lui confiant ses vêtements qu'il plia avec soin.

Pour ne pas imaginer la jeune femme dans son plus simple appareil, Friedrich consacra les minutes suivantes à tenter de dénombrer les feuilles de l'arbre qui lui faisait face. Observant un silence religieux, il entendait les clapotis de l'eau, si fort qu'il se demanda presque s'ils étaient faits à dessein. Puis il reprit son compte, se fermant peu à peu au monde extérieur et quelques instants passèrent : il en était déjà à 257 quand il entendit une voix lointaine prononcer son prénom. Ne sachant pas si c'était réel ou si son imagination lui jouait des tours, il allait poursuivre sa distrayante quoiqu'inutile tâche, mais fut définitivement tiré de sa torpeur lorsque cet appel se fit plus fort et plus insistant : « Friedrich, aurais-tu l'extrême obligeance de me lancer le savon ? Je l'ai oublié sur la rive ». Celui-ci, rouge comme une pivoine, les yeux fixés au sol, attrapa l'objet demandé, s'apprêtant à le jeter dans la direction de la voix. « Gare à toi si tu vises mal et qu'il tombe dans la rivière », minauda-t-elle. Le jeune homme, piqué au vif, braqua son regard sur une Estelle triomphante qui souriait et sans paraître le moins du monde gênée par la situation, sembla lui suggérer d'un geste de la main, de le lui lancer. Il visa du mieux qu'il put en tâchant de garder les yeux sur son visage. Lorsqu'elle s'en saisit, il se détourna à nouveau, et alla faire quelques pas à l'écart afin de calmer les battements de son cœur, et dissiper le cramoisi qui teintait à présent ses joues.

Lorsqu'il sentit une main se poser doucement sur son épaule, Friedrich sursauta et fit volte-face, avant de constater avec soulagement que sa compagne portait à nouveau une tenue qui lui permît de la regarder sans risquer une syncope. S'amusant de son trouble, elle lui tendit la serviette qu'il avait oubliée, en accompagnant le geste d'un petit sourire, avant de le dépasser en marchant avec entrain en direction de la cabane.

Quelques instants plus tard, assis à la chaise qu'elle lui avait désignée, il la vit revenir vers lui, les bras chargés de deux assiettes fumantes qui embaumaient la pièce d'une bonne odeur d'épices. La réaction immédiate de son ventre devant la nourriture lui rappela à quel point il avait faim, et il saliva en voyant les légumes qui baignaient dans un bouillon légèrement perlé, surmontés d'un œuf dont le jaune lui sembla alors un petit soleil. En plus de cela, une miche de pain accompagnait le tout. Attendant sagement qu'elle se fût assise pour bouger, il n'osa lui poser les questions qui lui brûlaient les lèvres, préférant qu'elle y répondît elle-même au moment où elle le jugerait opportun. 

MascaradeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant