Chapitre 06

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À peine passée la porte métallique bleu marine, je les aperçois assis à la même place qu'hier. Semblable à une horde prête à attaquer quiconque oserait s'immiscer dans son territoire, le groupe domine l'amphithéâtre. Mes yeux croisent le regard perçant de Flynn qui me fusille sur place. Il lève sa main, le poing serré, et oriente son pouce vers le bas, comme l'empereur romain dans les arènes. Sa réaction est puérile et je réponds à sa provocation en levant mon poing à mon tour, pouce vers le haut, souriant de toutes mes dents. À ses côtés, Molly me dévisage, l'air narquois. J'ai l'impression d'être à l'école maternelle et je préfère les ignorer.

Je m'assieds à côté d'Élodie, qui fait un signe à David dès qu'il arrive, l'incitant à nous rejoindre. Il semble radieux de retrouver ma meilleure amie. Peut-être a-t-il aussi craqué pour elle ?

J'écoute les explications d'une oreille distraite en prenant quelques notes, si bien que le cours passe à la vitesse de l'éclair. Je glisse mon ordinateur dans sa housse bleue et range mes affaires. Le professeur nous interpelle avant de quitter l'amphithéâtre :

— J'aimerais que vous fassiez un travail de groupe pour la semaine prochaine. Je sais que vous avez l'habitude de travailler individuellement, mais je suis persuadé que les travaux à plusieurs sont l'une des clefs de la réussite. Vous allez pouvoir développer vos compétences en communication et en écoute. Dans votre vie professionnelle, vous serez souvent confrontés à des personnes que vous ne connaissez pas, ou pire, que vous n'appréciez pas. Je vous ai envoyé par mail la liste de vos groupes, d'environ dix personnes. Faites l'étude de cas numéro trois que vous me transmettrez ensuite. N'hésitez pas à revenir vers moi, si vous avez un problème quelconque. Bonne fin de journée à tous.

Les plaintes des étudiants ne tardent pas à s'élever et à se répandre en écho, face à ce devoir annoncé à la dernière minute.

— Oh, sérieux, je suis deg. Il peut pas nous projeter directement la liste des groupes, sur son tableau ? J'ai déjà rangé mon ordi, râle mon amie.

— J'avoue, il est relou. Attends, je vais regarder sur mon téléphone.

J'attrape mon portable, cadeau de mes parents, qui est protégé par une coque jaune vif. Avec sa haute résolution, il possède une très bonne qualité visuelle. Le seul bémol est sa faible autonomie, me contraignant à le recharger plusieurs fois dans la journée. Je le déverrouille à l'aide de mon empreinte digitale et cherche mon application de messagerie.

— C'est qui, Kyle ? me demande Élodie, intriguée. Ton crush ?

Je me tourne vers elle déstabilisée, n'ayant pas remarqué qu'elle regardait mon écran.

— Pas du tout, c'est juste de la pub.

À voir sa mine renfrognée, je comprends qu'elle ne croit pas une minute à mon mensonge.

— Emma... il t'a envoyé plusieurs mails. Ne me prends pas pour une débile. Pourquoi tu mens ?

— D'accord, t'as raison. C'est un ami, mais il n'y a vraiment rien entre nous.

Les sourcils froncés, elle me dévisage en se mordant la lèvre.

— Tu ne m'as jamais parlé de lui.

— Je suis désolée, ma belle. J'en ai pas eu l'occasion. C'est un ami d'enfance de mon frère, je le connais depuis toute petite. Il me harcèle de mails sans intérêt, mais je suis pas spécialement proche de lui.

— Le mec lourd, en fait ! Je comprends pourquoi tu m'as jamais parlé de lui. C'est chiant les gars qui savent pas s'arrêter, rigole-t-elle.

J'acquiesce, soulagée qu'elle m'ait cru. Est-ce que déformer la réalité est considéré comme un mensonge ? J'avais oublié les mails envoyés par Kyle et je m'en veux de ma négligence. Heureusement qu'Élodie n'a pas eu le temps de lire l'objet des messages, sinon elle aurait compris le lien avec Flynn, et ça aurait été difficile à expliquer. En réalité, Kyle est bien mon ami d'enfance et c'est un véritable pilier pour moi. Il est le seul à connaître les véritables raisons de mon intérêt pour Flynn et il me soutient dans mes recherches, en agissant dans l'ombre. Nous formons un duo de choc.

— Alors, ça donne quoi les groupes ? reprend Élodie.

J'ouvre le mail du professeur et et cherche nos noms dans la liste.

— Dommage, on n'est pas ensemble. Ni avec toi non plus, David. On est tous les trois séparés.

J'espérais être avec Flynn, mais la chance n'est pas de mon côté. Dans les films, le hasard vient toujours donner un coup de pouce. Malheureusement, je ne suis pas la protagoniste d'une romance.

— Mince, je ne connais personne dans mon groupe et vous ? questionne mon amie en regardant mon téléphone.

— Juste Mandy et Loris, qui étaient là l'année dernière. Et Jev, aussi, avec qui j'ai parlé hier.

— Pareil, je ne connais personne de mon groupe, répond à son tour David. Il est marrant le prof, comment on est censé les retrouver alors qu'on les a jamais vus ? Je sais même pas à quoi ils ressemblent. Je vais le voir pour qu'il m'indique avec qui je suis.

— Attends, je viens avec toi, se précipite Élodie. À demain, Emma.

Bye, bye.

Je mets la bretelle de mon sac sur mon épaule et attends à la sortie pour trouver un visage connu. Les couloirs se remplissent de monde à une vitesse fulgurante, telle une vague de tsunami emportant tout sur son passage. Certains se bousculent en se taquinant et un garçon vient me heurter, faisant tomber mon téléphone. Il s'excuse à peine et s'enfuit avec ses amis.

— Espèce d'abruti, grommelé-je, en me baissant pour le ramasser.

Une fille rousse vient m'accoster et je reconnais Mandy.

— Salut, ça fait longtemps. C'est sympa de bosser avec toi.

— Oui, ça date ! T'as passé un bon été ?

— Je suis allée voir ma famille, c'était super, et toi ?

— J'ai déambulé avec Élodie.

— Ah, c'est cool, répond-elle, ne sachant quoi dire.

Mandy a l'air d'une fille très douce, mais nous n'avons parlé que très rarement l'année dernière. C'est une connaissance, mais pas une amie, tout comme Loris qui nous rejoint. Nous échangeons quelques banalités, et finalement, nous arrivons tant bien que mal à réunir tous les membres du groupe. L'un des garçons que je ne connais pas propose de nous réunir dans un café et son idée fait l'unanimité.

— Je suis vraiment désolée, mais je ne vais pas pouvoir rester, je bosse dans même pas vingt minutes, interrompt l'une des filles.

— Pareil pour moi, je dois rentrer garder ma petite sœur ! ajoute une autre.

—  Pour ceux qui sont libres, on y va maintenant, et pour les autres, on peut créer un document partagé en ligne, pour modifier le travail plus tard. Ça vous va ? proposé-je.

Tout le monde a l'air d'accord et nous partons. Jev est à quelques pas devant moi. Vêtu d'un tee-shirt blanc et d'un pantalon gris clair, il a plutôt fière allure. Je m'approche à pas de loup et pose ma main sur son épaule. Il sursaute, surpris, et ralentit afin de marcher à ma hauteur.

— Finalement, l'occasion de nous revoir s'est présentée plus vite que prévu, non ? le taquiné-je.

— Tu l'as dit, malgré les deux cents élèves de l'amphi, on se retrouve ensemble, c'est pas banal !

—Bon, j'avoue tout ! J'ai menacé le prof pour qu'il nous mette dans le même groupe ! dis-je les mains en l'air, faussement coupable.

Ma blague le fait rire et illumine son visage. Ses yeux semblent pétiller de petites étincelles.

— Tu connais d'autres personnes ? questionné-je.

— Non, moi j'ai plus l'habitude de rester avec ma bande habituelle, j'ai jamais trop parlé aux autres. Et toi ?

— Juste Mandy et Loris, vaguement.

Nous arrivons rapidement au café et une clochette tinte à l'ouverture de la porte acajou. À l'intérieur, la décoration est à la fois rustique et champêtre. Tables et chaises en bois poli occupent l'espace. Des fleurs multicolores sont disposées dans des vases. Le comptoir rouge domine le lieu et le barman est occupé à servir les clients, assis sur des tabourets.

Avec l'accord du serveur, nous rapprochons trois tables pour tous nous installer. Je fais en sorte de me retrouver à côté de Jev.

Je compte bien profiter de cette opportunité pour me rapprocher de lui et j'ai hâte que le travail commence !

Promis, cette fois je t'envoie en prison !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant